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Alors que les prêtres célébraient la messe, Brueghel célébrait de son côté les kermesses...
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ET LES GRANDS CONNAISSEURS DE L'ART, OU SONT-ILS ?, Par Jordi Rodríguez-Amat
28 Avril 2011 Catégorie : FOCUS
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Cet article se compose de 9 pages.
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Mon obsession pour mieux tout comprendre m'a obligé, une fois avoir
parcouru toute l'exposition, à revenir en arrière pour recommencer à nouveau
et, comme à la télé avec un flash-back sur une belle action dans un match de
foot, essayer ainsi de rendre mes réflexions encore plus profondes afin de
devenir un connaisseur de l'art.
- Aujourd'hui, il y a celui qui parle d'esthétique sans même savoir de
quoi il s'agit. Qu'est-ce que tu sais de l'esthétique de Kant ? L'as-tu lu, toi
? Et encore de celle de Hegel ? Et de tous les savants du XXe et du
XXIe siècle, et oui, ceux qui s'y connaissent tellement ? Je pense
que tu n'as rien lu de tout ça. À propos de ce sujet, tu sais, il y a des
savants qui s'y connaissent bien et, bien souvent l'un dit tout à fait le
contraire de ce que raconte l'autre. C'est cette dialectique qui donne du sens
à tous les aspects de l'art contemporain.
C'était une femme,
pas vraiment belle mais très attrayante, qui s'exprimait ainsi. Elle était
justement à côté de moi, alors que, fatigué de toutes ces effervescentes
artistiques, je me suis assis sur un banc pour reposer mes fesses. Je voulais,
pour le dire autrement, reposer esthétiquement mon petit ballon.
« As-tu entendu parler de l'esthétique psychologique ? Et de
l'esthétique phénoménologique ? Et de l'esthétique analytique ? », a poursuivi la dame.
« Et oui, je sais bien
que toutes les réflexions autour de l'art et concrètement sur l'esthétique
contemporaine sont certainement complexes », a-t-elle ajouté pour dire encore : « Il y en a qui
parlent de l'esthétique analytique Américaine, d'autres de la chirurgie
esthétique et de l'esthétique évacuative ».
Ah ! Pardon, j'avais mal entendu, elle disait: l'esthétique
évaluative.
- En outre, nous nous trouvons toujours en face d'expressions comme
attitude esthétique, théorie de l'esthétique relative, esthétisation de
l'existence, esthétique de la perception, de l'appréciation, régime esthétique,
expérience esthétique, et encore, expérience esthétique corrélative,
des-esthétisation, esthétique des temps du triomphe de l'esthétique.Est-ce que
tu comprends tous ça, toi?
En demandant tout ça à un jeune homme qui se trouvait assis près d'elle,
ses joues se gonflaient d'orgueil, tant était grand son savoir sur
l'esthétique. De mon coté, je vous avoue, je ne savais plus quoi penser.
Était-elle, peut-être, l'un de ces grands connaisseurs de l'art
d'aujourd'hui ?
La conscience de l'individu, en concomitance avec l'environnement
artistique, l'oblige à faire des réflexions sur la connaissance qu'ont les
experts en art, bien que très souvent ils s'expriment sans aucune clairvoyance
et, le plus souvent, très confusément. D'autre part, l'art n'est pas une
science et l'on ne peut pas y accéder au moyen des raisonnements cognitifs qui
permettent à l'individu de réfléchir, afin de sortir du doute qui se présente
constamment devant lui au moment où une vérité relative est mise en question.
Aujourd'hui l'art est une activité universelle et sa connaissance se présente
toujours versatile par l'hétérogénéité de ses formulations.
On arrive à une certaine connaissance de l'art contemporain au moyen des
études et des lectures, entre autres, sur chacune des manifestations qui le
conforment. L'artiste, incertain lui-même des chemins à suivre, se trouve
souvent submergé par ses doutes jusqu'à
ce qu'il parvienne à conquérir la stabilité conceptuelle du chemin artistique
qu'il a finalement décidé de suivre. À partir de ce moment, il se croit en possession
d'un style qui lui sert comme d'une vérité d'évangile et qui, en plus, lui
permettra de suivre son trajet artistique.
Nous savons,
d'ailleurs, que toute œuvre, artistique ou non, ainsi que tout objet est
susceptible d'être considéré et, à la fois, d'être apprécié sous un point de
vue esthétique. Ces sont, en tout cas, les appréciations des spectateurs qui
déterminent leurs valeurs artistiques. Et ce sont ces mêmes points de vue qui
déterminent des appréciations qui peuvent être très différentes les unes des
autres. Parfois, elles peuvent même être absolument contraires.
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Artcult a le plaisir de
publier des réflexions sur l'art d'aujourd'hui, un essai-fiction écrit à la fin de 2010 par l'artiste Jordi
Rodriguez-Amat (www.rodriguez-amat.cat/ind-fr.htm), un texte assez savoureux sur la manière qu'ont les gens
de réagir face à des œuvres contemporaines.
Le premier dimanche du mois d'octobre 2010, je me trouve dans la file
d'attente du Centre Georges Pompidou à Paris. 11 heures du matin. Exposition:
Arman.
« Qui c'est, celui-là ? »,entends-je dire quelqu'un placé
derrière moi, en montrant une affiche en face de nous: Arman.
Au Centre Georges Pompidou, il y a toujours du monde. Il faut toujours
faire la queue. À Paris, dans tous les musées, dans toutes les expos, il y a
toujours du monde. Il y a la queue partout. Aujourd'hui, comme tous les
premiers dimanches de chaque mois, le Musée National d'Art Moderne est gratuit.
Par contre, pour visiter cette expo, il faut payer. Et ce n'est pas donné. !
Pourquoi y a-t-il tellement du monde si ce n'est pas gratuit ? Gratuit ou
pas, il y a toujours du monde ici. C'est la folie, l'anxiété du savoir. Tout le
monde veut connaître. L'on croit qu'en sachant plus on est plus heureux. Ils
courent là où ils pensent trouver quelque chose qui les aidera à en savoir
plus. Ils veulent tout comprendre, tout savoir, comme les grands connaisseurs
du monde de l'art qui prétendent tout comprendre. Et bien, moi aussi je suis
ici parce que je veux savoir, tout savoir. Mais dans le domaine de l'art,
est-il possible de savoir quelque chose, de s'y connaître un tout petit peu ?
Ah, quelle question, mon Dieu !
Comment ceux que l'on considère comme les monstres sacrés de l'art
contemporain peuvent-ils prétendre à exposer leurs œuvres au Centre
Pompidou ? Bref, ceux-là veulent nous faire croire qu'ils sont les grandes
lumières de l'art et, en plus, ils se gonflent d'orgueil en se croyant être les
grands génies de l'art d'aujourd'hui. On les voit toujours avec des grandes lampes
en train d'éclairer les chemins de l'esthétique
contemporaine ou, mieux encore, de démontrer la superbe conceptualité
artistique contemporaine. Moi, je ne peux pas faire autrement que les croire.
Mon ignorance à moi dans ce sujet ne me permet pas autrement.
Mon ticket à la main, j'entre doucement comme si j'allais entrer au
paradis. Tout d'un coup, je me trouve à l'intérieur et, en regardant à droite
et à gauche, j'aperçois toute sorte des spectateurs. Il y a celui qui regarde
sans rien comprendre, comme s'il découvrait des objets tombés d'une autre
galaxie. Il y a aussi celui qui croit tout savoir, et qui, la poitrine bien
gonflée, fait comme si tout cela
n'était en rien nouveau pour lui. Ah ! Il s'y connaît celui-là ! Il y a aussi
le débutant, celui qui dit qu'il ne comprend rien. Et moi ? Et oui, moi aussi
je suis là. Il y a encore celui qui a une idée de ce que l'art doit être et
déclare que ça ce n'est pas de l'art. Sans rien dire, Il pense plutôt que c'est
du lard.
Subitement, j'entends une jeune femme dire: « C'est de l'art,
ceci? »
Quelle question ! Dirait l'un des ces connaisseurs qui croient tout
savoir.
« Mais, est-ce que tu ne vois pas que nous sommes dans un musée. En
plus, l'on dit que c'est un artiste très connu »,lui répond un jeune
homme qui paraît très amoureux d'elle.
Je marche çà et là en regardant un peu partout. Titre de l'œuvre ? C'est
évident, l'artiste intitule toutes ses œuvres. Le titre aide toujours à mieux
comprendre. Colère de Mandoline (une mandoline écrasée sur un panneau en
bois), Poubelle des Halles (tout sorte de déchets dans une caisse en
verre), Tuez-les
tous, Dieu reconnaîtra les siens (une trentaine de vieux vaporisateurs à tuer
des mouches). Accumulation des machines à écrire dans une boîte en bois
(je me demande à nouveau pourquoi il intitule ses tableaux ? On le voit bien) Butterfly
Variations (un violon coupé en petits morceaux et collé sous forme de
papillon sur un autre panneau en bois). Ah ! J'aime bien cette œuvre-là. Le
Fauteuil d'Ulysse (un fauteuil, à moitié brûlé).
Un peu fatigué de lire autant de titres…. Mon Dieu! Quelles jambes.
Et oui, c'est une jeune femme qui veut nous montrer la merveille de son corps.
Entre vingt et vingt-cinq ans, pas plus. Son corps est parfait ! Elle sait se
déplacer, elle a du style, chaussures à demi-talon. Jupe très courte, vingt
centimètres au-dessus des genoux. Je dois vous avouer que pendant un long
moment j'ai hésité entre observer la jeune femme ou me concentrer à regarder
les oeuvres exposées.
Ici, l'esprit ne peut pas demeurer passif et je me demande, qu'est-ce
qu'il se passerait si cette même exposition avait été présentée dans un autre
endroit sans le glamour du Centre Pompidou et sous un nom d'artiste tout à fait
inconnu ? Quels seraient alors les points des vues de tous ces spectateurs ?
Celui qui regarde tout un peu étourdi, sûrement qu'il n'y serait pas allé. Et
celui qui croit tout savoir ? Sûrement, il n'y serait pas allé non plus.
Qu'est-ce qu'il devrait foutre dans un espace sans prestige ? Et celui qui dit
qu'il ne faut rien comprendre à ça ? Que l'art contemporain est fait pour ne
rien comprendre ? Celui-ci serait entré voir l'expo si par hasard il était
passé à côté et avait du temps à perdre. Il serait le seul à dire: ceci
c'est de l'art. Et moi, est-ce que j'y serais allé ? Et non, je n'y serais
pas allé. Qu'est-ce que je devrais foutre là ?
Mon obsession pour mieux tout comprendre m'a obligé, une fois avoir
parcouru toute l'exposition, à revenir en arrière pour recommencer à nouveau
et, comme à la télé avec un flash-back sur une belle action dans un match de
foot, essayer ainsi de rendre mes réflexions encore plus profondes afin de
devenir un connaisseur de l'art.
- Aujourd'hui, il y a celui qui parle d'esthétique sans même savoir de
quoi il s'agit. Qu'est-ce que tu sais de l'esthétique de Kant ? L'as-tu lu, toi
? Et encore de celle de Hegel ? Et de tous les savants du XXe et du
XXIe siècle, et oui, ceux qui s'y connaissent tellement ? Je pense
que tu n'as rien lu de tout ça. À propos de ce sujet, tu sais, il y a des
savants qui s'y connaissent bien et, bien souvent l'un dit tout à fait le
contraire de ce que raconte l'autre. C'est cette dialectique qui donne du sens
à tous les aspects de l'art contemporain.
C'était une femme,
pas vraiment belle mais très attrayante, qui s'exprimait ainsi. Elle était
justement à côté de moi, alors que, fatigué de toutes ces effervescentes
artistiques, je me suis assis sur un banc pour reposer mes fesses. Je voulais,
pour le dire autrement, reposer esthétiquement mon petit ballon.
« As-tu entendu parler de l'esthétique psychologique ? Et de
l'esthétique phénoménologique ? Et de l'esthétique analytique ? », a poursuivi la dame.
« Et oui, je sais bien
que toutes les réflexions autour de l'art et concrètement sur l'esthétique
contemporaine sont certainement complexes », a-t-elle ajouté pour dire encore : « Il y en a qui
parlent de l'esthétique analytique Américaine, d'autres de la chirurgie
esthétique et de l'esthétique évacuative ».
Ah ! Pardon, j'avais mal entendu, elle disait: l'esthétique
évaluative.
- En outre, nous nous trouvons toujours en face d'expressions comme
attitude esthétique, théorie de l'esthétique relative, esthétisation de
l'existence, esthétique de la perception, de l'appréciation, régime esthétique,
expérience esthétique, et encore, expérience esthétique corrélative,
des-esthétisation, esthétique des temps du triomphe de l'esthétique.Est-ce que
tu comprends tous ça, toi?
En demandant tout ça à un jeune homme qui se trouvait assis près d'elle,
ses joues se gonflaient d'orgueil, tant était grand son savoir sur
l'esthétique. De mon coté, je vous avoue, je ne savais plus quoi penser.
Était-elle, peut-être, l'un de ces grands connaisseurs de l'art
d'aujourd'hui ?
La conscience de l'individu, en concomitance avec l'environnement
artistique, l'oblige à faire des réflexions sur la connaissance qu'ont les
experts en art, bien que très souvent ils s'expriment sans aucune clairvoyance
et, le plus souvent, très confusément. D'autre part, l'art n'est pas une
science et l'on ne peut pas y accéder au moyen des raisonnements cognitifs qui
permettent à l'individu de réfléchir, afin de sortir du doute qui se présente
constamment devant lui au moment où une vérité relative est mise en question.
Aujourd'hui l'art est une activité universelle et sa connaissance se présente
toujours versatile par l'hétérogénéité de ses formulations.
On arrive à une certaine connaissance de l'art contemporain au moyen des
études et des lectures, entre autres, sur chacune des manifestations qui le
conforment. L'artiste, incertain lui-même des chemins à suivre, se trouve
souvent submergé par ses doutes jusqu'à
ce qu'il parvienne à conquérir la stabilité conceptuelle du chemin artistique
qu'il a finalement décidé de suivre. À partir de ce moment, il se croit en possession
d'un style qui lui sert comme d'une vérité d'évangile et qui, en plus, lui
permettra de suivre son trajet artistique.
Nous savons,
d'ailleurs, que toute œuvre, artistique ou non, ainsi que tout objet est
susceptible d'être considéré et, à la fois, d'être apprécié sous un point de
vue esthétique. Ces sont, en tout cas, les appréciations des spectateurs qui
déterminent leurs valeurs artistiques. Et ce sont ces mêmes points de vue qui
déterminent des appréciations qui peuvent être très différentes les unes des
autres. Parfois, elles peuvent même être absolument contraires.
Revenons à
notre dame. Elle s'adressait à un homme qui était à sa droite, moi à sa gauche.
Le monsieur, la dame et moi-même formions une sorte de sandwich. Elle en était
le jambon.
Au bout d'un instant, ce monsieur, cravate plutôt bourgeoise, lui répond
après mûre réflexion: « Aujourd'hui, l'art est en décadence! »
Ces deux spectateurs, si on peut les appeler comme ça, n'arrêtaient pas
de parler et moi, bouche bée, je n'arrêtais pas de les écouter.
- Tu vois comme la simple destruction d'un violon,
Pointant une œuvre composé d'un violon écrasé sur un panneau de bois,
sous verre et avec un cadre, la dame a repris : "Est présentée
comme une œuvre d'art ! »
Et plus loin, submergé dans une espèce de résine, il y avait de détritus
que l'artiste était allé rassembler tel un éboueur. « Ne crois pas
que l'art est en décadence ? », a-t-elle insisté
À un moment donné, j'ai voulu croire qu'elle s'y connaissait la dame,
bien que je doutais de considérer qu'elle soit comme ces savants qui
connaissent tout dans le monde de l'art.
« La simple destruction d'un objet ou un tas de déchets dans une
caisse en bois ne peut jamais être considéré comme une œuvre d'art »,
lui a répondu le Monsieur avant d'ajouter : « Tu m'as parlé
d'esthétique. Qu'est-ce que tu trouves d'esthétique ici? L'esthétique est une
partie de la philosophie qui traite de la beauté.
La dame, cheveux très courts et teintés, a rétorqué:-« Il faut
accepter l'esthétique dans ses multiples appréciations, définitions et
interprétations ».
Le monsieur, sans même regarder la dame, lui a
balancé : « Mais si l'esthétique appartient à la philosophie
de même que la logique, quel sens peut avoir tout ceci ? La logique est une
partie de la philosophie qui étudie entre autres les lois du raisonnement et
ici il n'y a absolument rien de logique.
« L'art d'aujourd'hui, celui que nous appelons art contemporain, a
des valeurs et des concepts qui ne peuvent pas être évalués sous les mêmes
paramètres qui nous servent pour apprécier l'art des époques passées », a répondu la dame pour ajouter « D'autre part, je sais qu'il y a des gens qui
disent qu'il faut trouver un autre nom pour désigner ce que nous appelons art
contemporain. On l'appelle comme ça à cause de la ressemblance que l'on peut
établir avec les définitions que nous faisons de l'art d'autres époques. Il
faut que tu saches que l'art, aujourd'hui, ce n'est pas une philosophie, ce
n'est pas une science, ce n'est pas, non plus, une religion.
« Ce n'est rien », a affirmé le Monsieur
« Tais-toi et laisse-moi parler ! »,
a dit la femme en reprenant « L'art contemporain, c'est une activité de
l'être humain qui n'existait pas auparavant.
Le bon homme, qui, à mon avis, semblait raisonner convenablement, lui a
répondu: « Ceux qui, comme toi,
disent qu'ils comprennent ce que vous appelez art contemporain veulent faire
croire au monde, pardon, à quelques-uns que ce que vous croyiez être des
nouvelles formes de la création humaine a un sens. Mais toutes ces réflexions
sont illogiques et absurdes.
- Mon ami. Le monde n'est pas statique, bien au contraire, il est
toujours en constante évolution et révolution et l'artiste, en tant qu'être
sensible, ne peut pas s'éloigner de ce monde. C'est pourquoi le créateur doit
être un révolutionnaire.
Le monsieur, qui se trouvait de l'autre côté de la dame par rapport à
moi, parlait très fort et je n'avais aucun mal à entendre tout ce qu'il disait.
Évidemment, moi je ne les observais pas et, craignant qu'ils puissent
interrompre leur conversation, je faisais mine d'être tout à fait absent.
- Ce que toi et peu
d'autres appelez art contemporain ce n'est que se foutre du monde.
Écoute-moi !
C'était le monsieur qui parlait maintenant
- Avant et maintenant,
toute personne qui se consacrait ou qui aujourd'hui se consacre à une activité
humaine doit, obligatoirement, faire des études profondes ou exercer
longuement, toujours avec de grands efforts, pour développer ses capacités afin
d'être capable de bien agir dans son métier. Celui-ci, que vous appelez un
artiste contemporain, n'a besoin de faire aucun effort pour accéder à une
préparation professionnelle qui lui permette de faire ce que vous appelez des œuvre d'art et la
seule chose qu'il fait c'est de se consacrer à faire des bêtises comme celles-ci.
La dame qui n'était pas très belle, mais qui aujourd'hui avait mis du
bleu autour des yeux, lui a répondu :Ce que tu vois là et que tu dis
que ce n'est de l'art exige aussi des grands efforts pour être créé. La simple
idée de détruire tous les concepts qui définissaient l'art précédemment est
suffisante pour démontrer que pour accéder à faire cela il faut se dépouiller
de préjugés qui soumettent l'être humain. Cela exige aussi un certain
état personnel, lequel permet à l'artiste d'accéder à de nouvelles formes de la
pensée et de la création humaines. Mais, je sais que tu n'arrives pas à saisir
tout cela. »
Et la dame, qui continuait avec ses profondes réflexions, lui a
dit : Maintenant, écoute-moi bien !Tu sais, même très bien, que dans ce
monde tout est relatif, qu'il n'y a rien d'absolu, y compris l'existence de
l'être humain elle-même. En outre, il n'y a rien de statique dans ce monde,
même pas la pensée humaine, laquelle est en constante évolution. Tu dis que
l'art contemporain ce n'est pas de l'art, que tout ceci n'a pas de sens. Tu dis
ça parce que tu n'acceptes pas que le non-sens puisse être accepté comme de
l'art. L'absurde, mon ami, peut il aussi avoir un sens, le sens de l'absurde
élevé au niveau le plus haut de la création artistique contemporaine. Et
l'esthétique dont je t'ai parlé avant, elle-même est relative. L'art,
aujourd'hui, détruit des principes établis et le fait volontairement,
consciemment. Tu dis que seulement un petit groupe de gens y croit, et là je
suis tout à fait d'accord, un jour ce sera patrimoine de la culture
universelle : la logique de ce qui est illogique et l'évaluation de ce qui
est absurde élevées à oeuvre d'art. Et ça c'est de l'art parce qu'il a été fait
par des artistes. Et si l'artiste dit que c'est de l'art, je te dis, mon ami,
ça c'est de l'art. N'oublie pas que tout long de l'histoire ce sont les
artistes qui ont fait évoluer l'art. Et aujourd'hui comme avant, ce sont les
artistes qui font évoluer ces nouvelles formes de l'esprit humain. Si nous
réfléchissions sur l'évolution de l'art tout au long du XXe siècle,
nous verrions comme tout a évolué de manière continue. Petit à petit, chaque
artiste a développé de nouvelles idées pour arriver à ce que nous voyons ici.
Et, en outre, n'oublie pas ce que je viens de te dire : ça c'est de l'art
parce que l'artiste le dit.
Moi, bien que faisant un grand effort pour bien saisir tous ce qu'ils
disaient, je commençais à ne rien comprendre, mais, une idée m'est venue à
l'esprit: est-ce que moi aussi je pourrais devenir l'un de ces artistes
contemporains par le fait de faire des efforts afin de comprendre toute cette
conversation ? La dame a dit que cet art-ci exige aussi faire des efforts.
Tout d'un coup, moi j'ai pensé que ces deux-là devaient être fatigués,
mais, ces énergies et la foi qu'ils mettaient dans leur conversation ne
semblaient pas les décourager.
Ils se sont arrêtés quelques secondes de parler et j'en ai profité pour
jeter un coup d'œil aux jambes de la dame. Bien qu'elle fût assise à côté de
moi, j'ai vu, en regardant du coin de l'œil, que l'un de ses bas avait un trou
au dessus du genou de sa jambe gauche. Cuisses puissantes ! Ai-je pensé.
Peu à peu, la dame a semblé devenir hors d'elle, tellement était
l'enthousiasme qu'elle mettait à faire comprendre au monsieur, ce qu'est l'art contemporain. Même ses joues étaient devenues rouges.
- Vraiment, tu n'y comprends rien. Les structures mentales, la liberté
d'esprit, l'imagination, ainsi que beaucoup d'autres valeurs, sont des éléments
qui permettent de créer de nouvelles formes de l'esprit humain et l'art
contemporain en est une d'elles. Pense pour un petit moment que se libérer des
idées comme celles que tu as de l'art est une manifestation de la liberté dont
je te parle. D'autre part, l'artiste a été et continue toujours à être en
avance par rapport à son temps. Le fanatisme, dans n'importe quelle activité humaine, peut annihiler la
capacité de raisonnement des individus. Les fanatismes religieux, nationalistes
et politiques, entre beaucoup d'autres, en sont des exemples. L'art, à partir
du moment où l'artiste a été considéré un être différent de la plupart des
individus et la considération que ses oeuvres ont été créées sous certaines
inspirations a produit des discussions incessantes tout au long des deux derniers
siècles. Rappelons nous des débats constants au début du XIXe siècle
entre les défenseurs de la peinture romantique et ceux de la peinture
néoclassique, et, à la fin de ce même siècle, entre les peintres appelés pompiers et les impressionnistes. Je ne manquerai pas
d'ajouter que, tout au long du XXe siècle, pas seulement chez les
artistes, mais, aussi, chez tous ceux qui pouvaient avoir un certain intérêt
pour l'art les disputes n'arrêtaient jamais. Quelques uns, ancrés dans des
principes établis, considérés immuables par eux-mêmes, d'autres, disposés à
tout prix à rompre avec ces principes, il s'est produit une dialectique dans
laquelle chacun d'eux avait sa raison. Deux formulations très différenciées
l'une de l'autre puisque pour les uns l'art est immuable, tandis que pour les
autres, l'art est comme la vie et, conséquemment, en constante évolution. Dans
toutes les sciences qui appartiennent à l'esprit humain et non pas au
raisonnement on ne trouve jamais une vérité absolue et c'est la connaissance relative à chaque individu qui indique la forme de sa pensée ainsi que
son chemin à suivre.Il faut changer la manière de voir et d'apprécier l'art
disent les défenseurs des mouvements artistiques contemporains. Les autres,
avec un haut degré de scepticisme par rapport aux premiers, déclarent que l'art
a des principes éternels en dehors desquels l'on ne doit pas sortir. Sous ces
divergences, il faut accepter qu'il y ait un droit inaliénable à l'individu à
défendre ses principes.
Malgré tout, nous devons accepter aujourd'hui que les critères qui
permettent l'appréciation de ce qu'on appelle art contemporain ne doivent pas
être fondés sur des principes pur et simplement esthétiques. Le fait de ne pas
pouvoir évaluer cet art avec les mêmes critères qui nous servaient
précédemment, nous oblige constamment à utiliser l'adjectif contemporain pour
déterminer de quoi est-ce qu'on parle, Certains, y compris des défenseurs de
l'art contemporain, déclarent qu'il devrait prendre un autre nom. Mais le
simple fait que l'évolution a eu ses origines dans l'art, concrètement dans
l'art moderne, et qui ont été les artistes, eux-mêmes, les producteurs de cette
évolution, a fait que l'on continue à parler d'art en lui ajoutant, tout
simplement, l'adjectif contemporain. Il y a aussi ceux qui pensent qu'il faille
changer le nom car les grandes différences des principes conceptuels entre les
arts d'autres moments historiques sont aussi grandes que celles d'aujourd'hui.
La seule différence est que le rythme de son évolution est aujourd'hui
extrêmement accéléré. Pareillement, nous voyons que, dans l'histoire récente de
l'art, débuts du XXe siècle, l'art a dû prendre la dénomination de
moderne pour pouvoir élucider les différences en ce qui concerne tout art
précédent. Prenons un livre d'étude générale de l'histoire de l'art et nous
verrons que les principes, les buts, et les différents principes esthétiques
sont aussi grands que ceux d'aujourd'hui. C'est comme si dans l'histoire de
l'art, les disputes entre les modernes et les anciens se répètent constamment.
De ceci il y a des exemples dans toutes les époques. Voyons comment déjà au XVIe
siècle, Vasari appelait l'art des XIIIe, XIVe et XVe
siècles sous la dénomination de gothique, laquelle était synonyme de barbare.
Et, encore aujourd'hui, on s'en souvient des discussions d'il n'y a pas plus de
trente ou quarante ans entre les défenseurs de l'art moderne et leurs
détracteurs. Les uns, figuration si, abstraction non, les autres, tout à fait
le contraire.
Permettez-moi de vous avouer, qu'avant d'entrer dans l'exposition,
j'avais acheté le catalogue et, avec mon popotin bien mis sur une chaise de la
terrasse du Centre Pompidou et devant un café crème qui m'avait été servi par
une belle métisse, je me suis donné à le lire. Ah ! Qu'elle était belle la
métisse ! À Paris, vous le savez bien, il y a beaucoup des belles filles.
Qu'est-ce que vous voulez, Paris c'est Paris.
En commençant à lire les premières pages, bien que le texte ne fût pas
signé, j'ai pensé que celui qui l'avait écrit devait s'y connaître. Est-ce
qu'il était l'un de ces connaisseurs de l'art qui savent tout ? Me suis-je
demandé. J'ai acheté le catalogue parce que moi aussi je voulais en savoir un
peu plus sur l'art contemporain. Après avoir lu quelques pages, je me sentais comme
un hibou, les yeux bien ouverts et l'esprit très éveillé pour comprendre tous
ce qui était écrit là-dedans. Je ne veux pas manquer de vous dire qu'il y avait
deux types de catalogues. L'un était très lourd avec toutes les reproductions
des oeuvres exposées. Il était beaucoup plus cher que celui que j'avais acheté.
J'ai acheté le moins cher et ceci non pas à cause du prix mais parce que j'ai
pensé que pour quelqu'un comme moi, un simple débutant dans le monde de l'art
contemporain, celui-ci me suffirait.
En outre, au moment d'entrer dans l'expo, j'ai lu les placards qui
étaient accrochés partout sur les murs à coté des œuvres. Ces placards,
toujours manipulateurs, expliquaient comment les œuvres de cet artiste étaient
faites avec des déchets qu'il était allé cueillir dans des différents endroits,
les halles, entre d'autres; des bouteilles, toute sorte de vieux objets en
plastiques, papiers sales, des boîtes de conserve vides, des morceaux de
vêtement et autres étaient placés dans des caisses en bois ou en plastique. Je
voulais tout comprendre, mais comme j'avais entendu dire par la dame, l'art
contemporain ne doit pas être compris.
Indépendamment des caractéristiques particulières à chaque période de
l'histoire, l'image a été, tout au long des siècles, soumise à l'impératif de
la description et de la narration visuelle. Souvent, ce qui n'est que
description narrative de l'image a déterminé la signification de l'œuvre et a
montré la réalité subjective du moment. De même, selon une optique
contemporaine, il peut être considéré que la société a été historiquement
répressive avec l'art, en lui exigeant, à tout moment, de la narration et de la
description.
La possibilité de l'existence d'un art ni narratif ni descriptif a
permis, à certains moments du XXe siècle, de créer des discours
relativement libres en ce qui concerne l'image picturale. Ceci a produit un
grand nombre de doctrines esthétiques sur lesquelles quelques artistes ont pu
fondé toute leur création artistique. La destruction des certaines valeurs
descriptives de l'objet a été à l'origine d'une dialectique qui se trouvait à
cheval entre la narration visuelle et certaines valeurs plastique qui les
éloignaient des espaces perspectifs ainsi que de toute perception visuelle du
monde. Il est donc clair que, pour beaucoup d'artistes, la narration soit
devenu une simple anecdote qu'il fille détruire. Pour d'autres, par contre,
l'image descriptive continue à prendre des valeurs artistiques auxquelles on ne
doit pas se soustraire.
Grâce à ça, un grand nombre de mouvements artistiques se sont développés
au long de ce dernier siècle. Cela nous oblige à penser que l'artiste a pu se
libérer de la course frénétique à la recherche des valeurs absolues qui
l'obligeaient au long des cinq derniers siècles. De même, aujourd'hui, certaines
attitudes créatives ont tendance à éviter la production artistique dans des
simples buts esthétiques. C'est à cause de ça qu'aujourd'hui la modernité, ou
encore mieux la contemporanéité, a permis la liberté absolue des attitudes de
l'individu en face à l'art.
Il y a d'ailleurs une forte prédisposition à conceptualiser et théoriser
tout principe artistique qui puisse être traduit en simple action créative.
Chaque artiste a une tendance à définir son travail par des paramètres qui
délimitent son monde particulier afin d'obtenir un style personnel et différent
de tout autre de son environnement.En admettant ouvertement la pluralité de
principes et dans la globalité de la pensée, l'art a, aujourd'hui, la capacité
d'élargir, orienter et à la fois développer les consciences des individus.
Avec mes méditations j'ai eu peur, pour un moment, de ne pouvoir suivre
la suite de la conversation et j'ai tendu à nouveau l'oreille.
C'était maintenant le monsieur qui parlait.
- Crois-tu que cet ensemble de fausses dents dans cette caisse-là peut
être considéré de l'art?
La dame commençait à se fâcher, malgré tout, elle lui a répondu :
« Mais est-ce que je ne t'ai pas dit que tu ne peux pas évaluer ces
oeuvres de la même manière que tu le ferais si elles n'étaient pas des œuvres
contemporaines ? »
Moi, je n'aimerais pas voir cette dame dans ma maison en train de
cuisiner. D'autre part je ne crois pas que cette dame sache cuisiner beaucoup.
Quel caractère ! Ai-je pensé. Ses mots et le ton qu'elle leur imprimait
commençaient à ébranler mon esprit. Heureusement, j'aime bien cuisiner, moi.
- Ces sont des nouveaux concepts, des nouvelles actions de l'esprit
humain qui peuvent être absurdes, mais qu'en elles-mêmes doivent être
considérés des oeuvre d'art.
Le monsieur, lui aussi, semblait faire mine d'être fâché et, sans rien
dire, il se grattait le cou.
Finalement, il s'est décidé à parler.
- Et alors, que faut-il évaluer ?
« On ne doit rien évaluer ! », a balancé la dame tout à fait
fâchée
Elle s'était arrêtée de parler un instant, mais son désir de lui faire
comprendre que tout ça c'était de l'art, l'obligea à continuer.
- Ces concepts et ces
nouvelles formes de la création artistique, comme n'importe quoi d'autre dans
ce monde, sont complètement relatifs et ils ne peuvent pas être évalués avec ta
logique. Il semble que pour toi il n'y aurait rien d'autre que la logique. Tu
dois savoir que l'artiste a été et continue à être en avance par rapport à son
époque.
La dame, sans rien dire, a regardé vers le haut en paraissant complètement
essoufflée.
Le monsieur, lui aussi, semblait être irrité. Malgré tout, Il essayait de
ne pas perdre son sang-froid.
« Regarde-moi et écoute-moi bien! », a repris la dame
avant d'ajouter : « Je sais que tu aimes la peinture de
Monet, cette exposition que nous avons visitée avant-hier au Grand Palais. Et
bien, maintenant il y a justement cent ans, les gens disaient de lui exactement
ce que tu dis maintenant de cet artiste. Je te donne encore un exemple. On
disait alors que les femmes enceintes ne devraient pas aller voir les expos des
artistes impressionnistes, sinon elles perdraient leur bébé, tellement elles
étaient affreuses ces peintures-là. Est-ce que tu me crois ou pas?
Pour un petit moment j'ai pensé que la dame allait perdre son maquillage,
tellement elle criait. Est-ce qu'elle va le gifler ? Me suis-je demandé.
Depuis le début j'avais compris que ce monsieur ne partageait pas les
idées de la bonne femme. C'était facile à comprendre que le bon homme agissait
comme la plupart de ceux qui n'acceptent pas l'art contemporain.
Avec une dernière tentative pour faire prévaloir ses idées, l'homme, en
montrant de son doigt une série d'objets à demi-brûlés lui dit d'un ton
ironique:
- Il ne doit pas être un grand artiste, puisqu'il ne finit pas le
travail. Il laisse les objets à demi brûlés.
Selon des textes explicatifs qu'il y avait sur le mur, l'artiste brûlait
des objets et, avant de les laisser consommer totalement, il les éteignait. La
combustion de l'objet faisait partie de l'action de destruction. C'était une
des séries des oeuvres exposées.
La dame, constatant le ton ironique du monsieur, regardait de l'autre
côté sans rien dire.
En jetant un coup d'œil à toute l'histoire de l'art, nous voyons qu'à
n'importe quel période, depuis le moment où un nouveau mouvement artistique est
apparu jusqu'à ce qu'il ait été majoritairement accepté il s'est passé un
temps, plus ou moins long, où les artistes, en quête de trouver leur chemins,
marchaient à tâtons. Il faut aussi ajouter que c'était à partir de la première
moitié du XIXe siècle que l'on a accordé aux créateurs la
dénomination d'inspirées ou, même, de divins. Aujourd'hui, après plus d'un
siècle d'innovations et des nouveaux apports, aussi plastiques que conceptuels,
il apparaît que l'art n'a pas besoin de remplir un but social, religieux ou
autre. L'artiste s'est, finalement, libéré du joug que la société avait fait
retombé sur lui au long de presque toute l'histoire de l'humanité.
D'autre part, nous ne pouvons pas savoir aujourd'hui quel sera le chemin
que suivra l'art contemporain et, moins encore, l'aboutissement de tous ces
efforts. Si nous pensions aux mouvements artistiques qui se sont produits tout
au long du XXe siècle, nous verrions qu'il a fallu de longues années
jusqu'à ce que les artistes, les théoriciens, les galeristes ainsi que les
critiques d'art et les directeurs de musées, entre autres, ont repéré le chemin
qui nous a amené là où nous sommes aujourd'hui. Mais ce chemin n'a pas encore
un aboutissement et il faudra, en plus, un processus de formation et de
sensibilisation de toute la collectivité pour qu'il soit pleinement accepté.
Il faut aussi tenir compte que toute évolution est conjoncturelle et que
le chemin suivi par l'art et celui qui suivra ne sont pas absolus et que tout
évaluation finale dépendra des facteurs que nous ne connaissons pas encore.
Prenons un exemple pour mieux comprendre. Peut-on croire que si n'importe
quel artiste d'un temps passé, qui ait pu être considéré comme un point de
repère dans son temps, levait la tête il comprendrait quelque chose à ce que
nous appelons art contemporain ? Mettons un cas concret ; si Eugène
Delacroix qui, au long de la première moitié du XIXe siècle, avait
révolutionné la peinture en écrasant toutes les normes de l'art classique du
XVIIIe et qui était un point de référence de son temps voyait tout
ce qu'on fait aujourd'hui, est-ce que vous croyez qu'il comprendrait quelque
chose ?
Aujourd'hui tout est valable et si l'artiste, comme a signalé la dame,
dit que c'est de l'art, qui peut en douter ? Moi je ne le ferai pas.
Peu à peu, influencé par leur conversation, je me sentais, de plus en
plus, être un artiste contemporain. Mon esprit avait commencé à penser que
l'art est un absurde, mais l'absurde peut, lui aussi, être de l'art. Sur ce
principe, moi, qui suis un homme très courageux, j'ai voulu aller plus loin que
la dame: l'art c'est tout. Si c'est de l'art, c'est de l'art et si ce n'est pas
de l'art, c'est aussi de l'art parce que moi je le dis.
Si nous acceptons que ce qui est absurde prenne un sens, il cessera
d'être absurde et par conséquent il cessera d'être de l'art. Et non, puisque le
fait de cesser d'être peut être lui aussi de l'art. Moi, comme vous voyez,
influencée par les profondes réflexions de la dame, j'avais pris le chemin. Je
voulais aller beaucoup plus loin. Je me trouvais et j'avais commencé à
réfléchir profondément aussi : La beauté n'est pas de l'art, puisque si
elle était art, elle ne serait pas beauté. Où elle est beauté ou elle est art.
Et bien non, art ou beauté, beauté ou art, c'est toujours de l'art. Parce que
l'art c'est tout. Tout ce qui est logique c'est de l'art, et tout ce qui est
illogique c'est aussi de l'art, puisque par le simple fait d'être logique ou
illogique c'est de l'art.
Créer c'est de l'art et cesser de créer c'est aussi de l'art. Si je dis
que c'est de l'art, n'en doutez pas, c'est de l'art. La dame avait dit : si
l'artiste dit que c'est de l'art, c'est de l'art. Et maintenant je suis
aussi un artiste.
Comme vous le voyez bien, je me trouve déjà dans l'orbite céleste dont
parlait la dame. Je vous dis que maintenant je m'y connais bien. Je suis un
grand maître de l'art contemporain et la dame n'est qu'une apprentie de moi.
Pendant quelques secondes j'avais perdu le fil de leur conversation et
tout d'un coup, en faisant attention à ce qu'ils disaient maintenant, je me
suis rendu compte qu'ils avaient changé le sujet de leur conversation. Ils
parlaient des succès des artistes, des machineries des galeristes, des
critiques de l'art etc. Ceci, ai-je pensé, ça ne m'intéresse pas du tout
maintenant. En outre, j'ai trouvé mon chemin et je suis un artiste. J'ai bien
appris la leçon de la dame et je peux suivre tout seul mon chemin, sans avoir
besoin d'elle.
Cet artiste-là pratiquait la performance. Quelle merveille! On montrait
une vidéo où l'on pouvait voir comment, avec une hache et de grands marteaux,
il détruisait un espace rempli des beaux meubles et de toute sorte d'objets.
C'était une performance qui avait eu lieu dans une galerie quelque part dans le
monde. On voyait comment, en un clin d'œil, il émiettait tout. Quelle merveille
! Le vandalisme élevé au plus haut niveau de la création artistique.
Maintenant, moi aussi je suis un grand artiste, et pourquoi pas mieux que lui ?
Pas aujourd'hui, car je suis fatigué tellement j'ai dû réfléchir à cause de la
dame, mais demain, après m'être bien reposé, je détruirai le monde et je
deviendrai le plus grand artiste de toute l'histoire de l'art. Dieu était le
créateur, moi le destructeur. Ce sera l'esthétique de la destruction du monde.
Quelle merveille ! À partir de ce moment, cet artiste-là sera considéré mon
précurseur, mais, moi je vais le dépasser. Vous vous rendez compte ? Je serai
le plus grand artiste au monde. Quelle merveille!
Et sans défaillir un seul instant, je continue avec mes méditations; si
l'art a besoin des spectateurs et moi je détruis le monde il ne restera
personne pour voir ma grande œuvre artistique. Bon, dorénavant, pas besoin des
spectateurs, l'art peut être art sans spectateurs, tout simplement parce que c'est
moi qui le dis.
Mon art sera sublime. Pas de musées, pas de galeries, pas d'artistes, pas
de spectateurs, rien de rien, tout sera détruit ! Quelle merveille ! Quel grand
artiste ! Et Dieu ? Dieu n'y sera pas non plus ! Lui aussi je vais le détruire.
Avec la destruction de Dieu, je libérerai l'être humain de son créateur. Et moi
? Je me détruirai, moi aussi. Il ne restera rien. Rien du tout, rien de rien.
Quelle merveille!
Et vous, est-ce que vous y serez ? Mais quelle question !
Je suis un génie, n'est-ce pas ?
Jordi Rodríguez-Amat
Le 3
novembre 2010 (Copyright)
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