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L'audace n'est pas toujours payante mais ne rien faire ne paie jamais...
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Biographies
Artcult vous propose une sélection de biographies de grands maîtres. Sélection par Adrian Darmon.
PAUL CEZANNE
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CEZANNE, L'ANTI-CLASSIQUE
Né à Aix-en-Provence le 19 janvier 1839, Paul Cézanne était le fils naturel d'un chapelier et de son ouvrière, Honorine Aubert, que celui-ci n'épousa qu'en 1844.
En 1847, le chapelier devint financier après avoir racheté la société bancaire Barges en faillite et fonda la banque Cézanne et Cabassol à Aix-en-Provence l'année suivante.
Cézanne, doté alors d'un caractère assez espiègle, étudia au collège Bourbon et devint l'ami intime d'Emile Zola. Ce fut à partir de 1856 qu'il fréquenta l'Ecole de dessin d'Aix avant d'obtenir son baccalauréat de lettres avec mention deux ans plus tard.
Inscrit à la Faculté de Droit d'Aix, il manifesta cependant son intention de devenir peintre en s'installant en 1859 dans un atelier au Jas de Bouffan, une propriété que son père venait d'acheter.
Ayant vaincu les réticences de son père, Cézanne vint à Paris en 1861 et vécut rue des Feuillantines. Fréquentant l'Académie Suisse, il rencontra Pissarro et Guillaumin mais échoua au concours d'entrée des Beaux-Arts. Suite à cet échec, il se résigna alors à prendre un emploi dans la banque de son père, ce qui ne l'empêcha pas de continuer à peindre et décorer le Jas de Bouffan de scènes de quatre saisons dans un style plutôt académique.
Cézanne revint en novembre 1862 à Paris et se réinscrivit à l'Académie Suisse où il retrouva Pissarro et Guillaumin et se lia d'amitié avec Monet, Bazille, Sisley et Renoir. Il fut alors impressionné par les œuvres de Delacroix et de Courbet et se mit enfin à produire des œuvres plus personnelles, notamment des portraits, des compositions dans des tons peu colorés et dans un style plutôt caricatural comme le portrait de son père lisant le journal « L'Evénement ».
En 1864, Cézanne revint à Aix dépité de s'être vu refuser ses envois au Salon. Trois ans plus tard, il vira au baroque en peignant des compositions plutôt érotiques comme «L'Enlèvement», «L'Orgie» ou «La Tentation de Saint-Antoine» en travaillant tantôt à Aix, tantôt à Paris jusqu'en 1870.
Cézanne, qui avait fait la connaissance en 1865 de Manet lequel l'avait encouragé à poursuivre sa carrière après l'avoir complimenté au sujet d'une de ses natures mortes, rencontra Hortense Fiquet, un jeune modèle, qu'il emmena avec lui en 1870 à l'Estaque alors qu'il fuyait la guerre. A cette époque, les influences qui conditionnèrent son oeuvre se rapportèrent surtout aux grands maîtres comme Le Tintoret ou Goya dont il s'inspira pour peindre «Une Moderne Olympia».
Cézanne revint à Paris en 1871 et Hortense lui donna un fils, Paul, l'année suivante. A partir de là, il reprit ses relations avec Pissarro qu'il admirait et rejoignit ce dernier à Pontoise.
L'INFLUENCE PROFONDE DE PISSARRO
Ce fut donc surtout à partir de 1872 que Cézanne commença à s'exprimer pleinement en travaillant à Pontoise puis à Auvers-sur-Oise où il vint vivre durant deux années auprès du docteur Gachet. Il peignit dans la région de nombreux paysages sous l'influence de Pissarro en adoptant des tons plus clairs et surtout en appliquant sur la toile des touches divisionnistes.
Travaillant dès lors surtout en plein-air, Cézanne exposa ses œuvres en compagnie des peintres impressionnistes en 1874 en montrant notamment «Une Moderne Olympia», un paysage à Auvers et la «Maison du Pendu» (Auvers).
Ses peintures déclenchèrent l'hilarité parmi les visiteurs mais Cézanne ne fut pas trop ébranlé par les critiques et les quolibets. Il trouva même des admirateurs, notamment en la personne du comte Doria qui lui acheta «La Maison du Pendu à Auvers» (Musées Nationaux, Paris) alors que Victor Choquet, un fonctionnaire amateur d'art, devint son ami et lui servit de modèle à plusieurs reprises.
De 1874 à 1877, Cézanne travailla assidûment à Paris et à Aix en produisant notamment «Le Bassin du Jas de Jouffan» dans un style qui s'écartait de l'Impressionnisme ou « La mer à l'Estaque », une œuvre résolument avant-gardiste pour son époque et primordiale concernant la suite de sa carrière.
Il refusa en 1876 de participer à la deuxième exposition impressionniste en préférant suivre sa propre voie avec l'ambition cependant secrète d'être admis au Salon. L'année suivante, il accepta néanmoins d'exposer avec les Impressionnistes et présenta 17 natures mortes et paysages peints à Pontoise et à Auvers.
Après s'être querellé en 1878 avec son père qui ne goûtait guère son métier et sa liaison avec Hortense Fiquet, Cézanne se retrouva démuni mais put heureusement bénéficier de l'aide matérielle de Zola. Plutôt bourru de caractère, il devint à cette époque plus irritable et décida de vivre à l'écart de la société.
En 1882, Antoine Guillemet, un artiste ami de Zola, parvint toutefois à le faire admettre au Salon avec une œuvre mais il préféra rester et travailler en Provence où il puisait l'essentiel de son inspiration.
En 1883, il parcourut la Provence en compagnie de Monticelli puis en 1886, il épousa Hortense en présence de son père qui mourut peu après en lui léguant une fortune considérable.
Désormais à l'abri du besoin, Cézanne se fâcha brutalement avec Zola qui ne comprenait plus sa peinture et qui se servit de son personnage pour incarner dans « L'œuvre » le peintre Claude Lantier qui, prenant conscience de son impuissance se suicide.
En 1887, il exposa à Bruxelles à l'invitation du groupe des XX. L'année suivante, il séjourna à Paris où il vit fréquemment Van Gogh, Gauguin et Emile Bernard puis, grâce à Choquet, il figura à l'Exposition Décennale Universelle.
Atteint du diabète, il s'isola encore plus à partir de 1891. L'année suivante, il séjourna à Fontainebleau puis en 1894, il fut l'invité de Monet à Giverny où il rencontra Rodin.
Sa première exposition personnelle eut lieu chez Vollard en 1895 puis en 1896, il rencontra le jeune poète Joachim Gasquet, qui devint un de ses plus fervents défenseurs.
Cézanne travailla du côté de Gardanne en 1897 et 1898 et réalisa alors des lithographies. En octobre 1898, la mort de sa mère provoqua chez lui une intense douleur qui l'amena à vendre le Jas de Bouffan. Il s'installa alors à l'écart de sa femme et de son fils dans un appartement à Aix puis exposa en 1899 trois peintures au Salon des Indépendants. Après la mort de Choquet, sept de ses œuvres furent vendues pour 17 600 FF.
En 1900, il fut invité à l'Exposition Universelle alors que la Galerie Nationale de Berlin acheta un de ses paysages. Ce fut alors que Maurice Denis peignit son «Hommage à Cézanne» qui dans cette oeuvre rassemblait autour de ce dernier Bonnard, Redon, K.X. Roussel, Sérusier, Vuillard et Denis lui-même, un tableau culte qui fit de lui un chef de file reconnu parmi des artistes qui allaient révolutionner le domaine de la peinture.
En 1901, il exposa à la « Libre Esthétique » à Bruxelles ainsi qu'au Salon des Indépendants tout en aspirant à recevoir des honneurs officiels sachant malgré tout qu'il était déjà devenu une légende aux yeux de nombreux artistes.
Antidreyfusard, Cézanne se vit refuser la Légion d'Honneur qu'il avait sollicitée. En 1904, il visita Paris et Fontainebleau alors qu'une salle entière lui était consacrée au Salon d'Automne.
En 1905, il exposa encore au Salon d'Automne et au Salon des Indépendants et en 1906, il fit sa dernière apparition au Salon d'Automne. Le 15 octobre, surpris par un orage en peignant dans la campagne «Le Cabanon de Jourdan», il fut victime d'une congestion et mourut sept jours plus tard en se plaignant de n'avoir pas atteint le but qu'il s'était fixé.
De nombreuses expositions furent consacrées à Cézanne après sa mort et durant tout le XXe siècle tant en France qu'à l'étranger. La première rétrospective de ses œuvres n'eut lieu cependant qu'en 1936 au Musée de l'Orangerie alors que la seconde fut organisée en 1995 aux Galeries Nationales du Grand Palais.
PLUSIEURS PERIODES DANS LA CARRIERE DE CEZANNE
Il y a dans l'œuvre de Cézanne plusieurs périodes à prendre en compte. La première va de 1862 à 1871, une décennie pendant laquelle il peignit surtout des portraits comme ceux de Valabrègue d' Emperaire ou de son père. Il produisit également des œuvres dans un esprit post-romantique puis d'autres dans un genre érotique.
Portrait de Louis-Auguste Cézanne, père de l'artiste (Londres, National Gallerry)
Influencé par la peinture du peintre provençal Loubon (1809-1863), Cézanne resta assez classique en conservant durant cette première période les acquis de ses études effectuées à Paris en produisant des œuvres d'école dans un style encore gauche allant jusqu'à pasticher Ingres (qu'il n'appréciait cependant guère), Lancret ou Dorival. Il y eut cependant un tournant dans sa carrière suite à sa rencontre avec les peintres du Salon des Refusés de 1863 et à ses interprétations de grands maîtres comme Le Gréco, Véronèse, Le Tintoret puis Delacroix, Couture et Courbet dont l'influence se révèla dans « Le Baigneur au Rocher », peint entre 1860 et 1866.
Cézanne s'inspira également de Sebastiano del Piombo avant de produire en 1866 un premier chef d'œuvre romantique, le « Portrait du Négre Scipion » désormais au Musée de Sao Paulo.
Avec « L'Orgie », qui figure dans une collection particulière à Paris, Cézanne revint vers Delacroix qui avait peint quelques années auparavant «Héliodore chassé du Temple » (Eglise Saint Sulpice). Puis il fit référence à Corot dans «Le Poêle dans l'Atelier» peint vers 1867 avant de prendre exemple sur Manet avec «Le Déjeuner sur l'Herbe» produit en 1869.
Il fit ensuite le portrait de Paul Alexis (un admirateur de Zola) lisant à Zola, aujourd'hui au Musée de Sao Paulo resté inachevé en raison de la guerre, un tableau qui demeuré oublié dans la maison de l'écrivain à Médan et qui ne fut retrouvé par Mme Zola qu'après la mort de son mari.
Avec «Les Voleurs de l'Ane», peint entre 1869 et 1870, Cézanne s'inspira de Decamps et de Daumier puis avec « Une Moderne Olympia », il pasticha quelque peu Manet et Goya.
Cézanne continua à s'inspirer de Delacroix dans «La Barque de Dante» ou « Hamlet et Horatio », deux œuvres peintes entre 1870 et 1873 mais rechercha néanmoins un langage plus personnel dans ses portraits en recouvrant sa toile d'un empâtement épais étendu au couteau afin de rendre la couleur plus intense et de donner un sens au volume sans pour autant utiliser des contrastes de lumières.
Toujours sous l'influence de Daumier et de Courbet, il produisit ainsi de nombreux portraits dont celui d'Achille Emperaire (1829-1892) qui était un nain, représenté engoncé dans un fauteuil à haut dossier, décharné, caricatural, pathétique, avec de longues mains pendantes.
Ces œuvres-là, peintes d'une main malhabile, complètement anachroniques par rapport à l'académisme en vogue durant les années 1860 et 1870, recèlent cependant une puissance rare et d'une modernité annonciatrice de l'Expressionnisme.
Admirateur de Corot et de peintres provençaux, Cézanne peignit des paysages aux couleurs violemment contrastées, du moins jusqu'en 1870, année au cours de laquelle il commença une recherche de simplification formelle qui caractérisa plus tard ses vues de la nature. Encore une fois, ces œuvres n'avaient de quoi séduire le public, plus attiré alors par les œuvres d'une facture classique ou par celles des peintres de Barbizon. Certaines d'entre elles, comme la rue des Saules à Montmartre, peinte entre 1867 et 1869, et qui annonce quelque part Utrillo, paraissent révolutionnaires pour l'époque.
UNE DEUXIEME PERIODE FECONDE
Cézanne s'intéressa aussi assez tôt, et ce, dès 1860, au genre de la nature morte sous l'influence de Manet ou de peintres du XVIIe siècle et peignit de nombreuses oeuvres montrant des fruits, des pichets, des tables dressées et des vanités.
La deuxième période va de 1872 à 1878. Elle concerne son séjour à Pontoise et à Auvers au cours duquel il subit l'influence de Pissarro en éclaircissant ses couleurs et en adoptant une touche divisionniste tout en étant proche des Impressionnistes de par le style. Ce fut durant ces années-là, qu'il travailla en plein-air en développant son propre style mais déjà en 1874, il s'écarta de l'Impressionnisme pour finalement créer ses plus beaux chefs d'œuvre entre 1885 et 1895, sa période la plus intéressante avec des œuvres comme «La Commode», «Le Mardi-Gras», les portraits de Madame Cézanne ou « Le Vase Bleu ».
L'influence de Pissarro fut donc marquante sur son œuvre puisqu'il appréhenda la nature à la manière de ce dernier qui, à la différence d'autres artistes impressionnistes, recherchait la construction et une synthèse picturale dans la lumière même.
Les deux peintres travaillèrent souvent ensemble et peignirent parfois les mêmes paysages, Cézanne allant même jusqu'à copier un tableau de Pissarro, « Louveciennes » en 1872. Avec «La Maison du pendu à Auvers» (1872-73), l'artiste trouva un nouveau processus technique en obtenant une vibration lumineuse malgré l'épaisseur habituelle de la matière. Ce tableau fut exposé en 1874 chez Nadar à la première exposition des artistes impressionnistes et suscita des réactions scandalisées du public. Petit à petit, Cézanne structura ses paysages pour parvenir à trouver son propre style surtout à travers «La Mer à l'Estaque » peint en 1876 (Collection Mrs Richard J. Bernhard-New York) où il décrivit cette œuvre comme une carte à jouer, « les toits rouges sur la mer bleue. Le soleil y est si effrayant qu'il me semble que les objets s'enlèvent en silhouettes… en bleu, en rouge, en brun, en violet. Je puis me tromper, mais il me semble que c'est l'antipode du modèle », écrivit-il notamment au sujet de ce tableau.
Il peignit aussi des toits à Paris entre 1874 et 1877, un thème que Van Gogh reprit à son compte.
Dans ses natures mortes, Cézanne exalta alors la forme, la lumière mettant en relief la sphéricité pleine d'un fruit et soulignant le plan de la table, les fleurs étant rendues avec une consistance presque charnue. Là encore, l'influence de Manet resta présente dans ces œuvres.
Tasse, Verre et Fruits (1873-77)
Dans ses portraits, l'humanité de l'artiste se manifesta alors encore plus profondément. La violence manifestée dans les premiers portraits s'effaça en faveur d'une certaine sérénité révélant une introspection aiguë en frisant parfois l'abstraction comme dans les cheveux de sa femme dans le portrait qu'il fit d'elle entre 1872 et 1877. Certains de ses autoportraits ont dû certainement influencer Van Gogh comme celui au chapeau de paille aujourd'hui dans la collection W.S Parley à New York.
Portrait de Cézanne (1879-82) (Berne, Kunstmuseum)
Cézanne produisit également d'autres œuvres en conservant le style romantique de ses débuts, encore sous l'influence de Delacroix (« Scène fantastique » - Collection particulière-Zurich, « Don Quichotte », « Apothéose de Delacroix » Paris-collection particulière, « Scène Légendaire », de Manet (« Une Moderne Olympia » peinte en 1873-74) et même Pissarro. Il peignit également une quantité de baigneurs et de baigneuses traités de la même façon que les arbres et les eaux et faisant donc partie intégrante du paysage, des œuvres annonciatrices de sa volonté de passer de la représentation de la réalité à la construction abstraite de volumes.
Cinq Baigneuses, 1885-87 (Bâle, Kunstmuseum)
La période constructive de Cézanne se situe entre 1878 et 1887 lorsque l'artiste se détacha du groupe des Impressionnistes suite à l'échec de l'exposition à laquelle il avait participé en 1877. A partir de là, il chercha en lui-même la motivation et la signification de son art pour être capable de défendre théoriquement le résultat de ses essais.
Maison et ferme du Jas de Bouffan (Prague, Narodni Galerie)
Cette période est primordiale dans la carrière du peintre qui chercha dans les paysages un champ d'expérience visant à la construction en réduisant la forme à des éléments essentiels pour parvenir à l'essence des choses. S'adonnant à la peinture en plein air, il étudia et reprit le sujet de toutes les façons possibles et dans toutes les conditions. « Le Petit Pont » (Musées Nationaux-Paris) fut un des paysages les plus célèbres de Cézanne qui appliqua sur la toile une touche régulière modulant la lumière et l'ombre dans les passages du vert au bleu, au jaune en donnant un grand relief à la forme géométrique. Dans « Rochers à l'Estaque » (Musée de Sao Paulo), l'artiste retint son attention sur le rocher en étudiant surtout le dynamisme de ses volumes. Son tableau« Gardanne » peint entre 1885 et 1886, peint en couleurs fondues sans touches régulières aurait ainsi inspiré les premiers paysages cubistes de Braque, Picasso et Derain.
Cézanne se servit souvent du sujet de l'arbre pour rythmer l'espace en insistant sur son effet de verticalité et s'attacha également à peindre des routes tournantes comme pour mieux éclater ses compositions mais c'est le thème de la mer et de l'Estaque qui l'amena à faire des recherches encore plus audacieuses en chargeant les masses de l'eau et des montagnes d'une fonction spatiale et volumétrique.
La montagne Sainte-Victoire fut également un motif cher à Cézanne dès sa jeunesse. Il y trouvait du feu dans ses blocs et un élan ainsi qu'une soif impérieuse du soleil le jour alors qu'elle exhalait une mélancolie la nuit. A partir de 1885, elle fut pour le peintre l'expression de son idéal constructif et il en tira partie pour sa simplification et son ordonnance pour aboutir au monumental.
Dans ses natures mortes produites après 1880, Cézanne accentua sa volonté de simplifier la forme en procédant par touches régulières et constructives, les objets assumant un volume évident et acquérant une structure avant tout chromatique, les compositions étant articulées par le relief des plans nettement contrastés. Son « Vase bleu », peint entre 1885 et 1887, exprima une nouvelle évolution dans sa recherche avec une ligne bleue cernant les contours des objets alors que le vase de fleurs s'insérait dans une composition d'une structure plus compliquée.
Dans ses portraits, Cézanne alla vers encore plus de sérénité et ne chercha plus à scruter l'intériorité de ses sujets. Il appliqua plus de finesse dans ses toiles et produisit de nombreux autoportraits pris sous des angles divers comme pour faire tourner l'image qui se détachait nettement du fond. Dans son autportrait peint entre 1880 et 1882 (Kunstmuseum, Berne), il précisa son analyse géométrique en des jeux d'angles, de triangles et de parallèles en détachant le visage sur un fond cylindrique. Dans un autre autoportrait (Musées Nationaux, Paris) qui appartint à Pissarro et à Mirbeau, il manifesta aussi sa volonté d'abstraire et de simplifier.
Il continua encore ses séries de baigneuses et de nus en s'inspirant à nouveau de Manet ou de Courbet, continuant à relier les figures au paysage et certaines œuvres ont certainement dû influencer Picasso durant la période Rose de ce dernier.
Le Pont sur la Marne à Créteil (Moscou, Musée Pouchkine) (1888)
LA PERIODE SYNTHETIQUE, FRUIT DE TOUTES LES RECHERCHES PRECEDENTES DE CEZANNE
La dernière période de Cézanne, qui se situe entre 1888 et 1906, a été surnommée «synthétique». Durant ces 18 années, le peintre vécut de plus en plus à l'écart de la société surtout à Aix et dans ses environs où il reçut la visite de jeunes artistes comme Camoin ou Emile Bernard qui furent très intéressés par ses méthodes de travail.
Le Garçon au gilet rouge, Zurich Collection Bührle
Cézanne travaillait alors continuellement sur le motif et reprit, sauf à de rares exceptions comme avec « Les Joueurs de cartes» ou « Les Arlequins » les principaux thèmes étudiés au cours de sa carrière afin d'en préciser les données et de les synthétiser.
Il finit par aboutir à une géométrie rigoureuse dans ses portraits en leur donnant une majesté monumentale et en travaillant avec plus de spontanéité pour réaliser une synthèse des rapports unissant la figure à son environnement. Dans le portrait de « Madame Cézanne dans la serre » (Metropolitan Museum, New York), une grande partie de la toile resta découverte mais cet inachèvement fut un facteur de grâce et d'élégance. Dans le portrait de « Madame Cézanne » (Musée de Sao Paulo) peint entre 1890 et 1894, le peintre réalisa une nouvelle synthèse de la figure et du décor accroissant ainsi la présence monumentale de l'image.
Ambroise Vollard, dont Cézanne peignit le portrait en 1899 (Paris, Petit Palais) fut le marchand qui, cédant aux instances de Pissarro, contacta l'artiste pour exposer ses œuvres en 1895. L'exposition fit sensation même si le public fut scandalisé car elle permit à de nombreux jeunes peintres d'avant-garde de le découvrir et de le saluer comme un maître.
Vers 1888-1890, il peignit une brève série d'arlequins aux formes vigoureuses et amples et accusant une certaine fixité qui firent plus tard impression sur le jeune Picasso. Cézanne fit probablement référence à Watteau dans ces œuvres tout en n'oubliant pas son admiration pour Delacroix.
Les Joueurs de cartes (Londres, Home House Trustees)
Il produisit également sa série des joueurs de cartes entre 1890 et 1892 après avoir fait une étude poussée de ses sujets en synthétisant le geste et en saisissant une harmonie entre de nombreux rapports tout en conférant une profonde individualité à ses sujets.
Reprenant encore le thème des baigneurs et des baigneuses, il essaya d'équilibrer les rapports entre figures et paysage pour aboutir à l'intégration réciproque de ces éléments et en renforçant l'unité de sa composition et sa force expressive.
Les Grandes baigneuses (Philadelphia Museum of Art)
Il travailla dit-on plus de sept ans à la réalisation des « Grandes Baigneuses» (Museum of Art of Philadelphia) entre 1898 et 1905, un chef d'œuvre d'imagination architectonique. Il s'agit là de l'œuvre la plus aboutie de la série avec l'ouverture centrale sur le paysage qui devient l'élément d'union de la formulation de cette composition.
Par rapport au paysage, Cézanne parvint à une unité de composition grâce à la fusion fluide et transparente des couleurs en accentuant la force synthétique de chaque œuvre. Avec «Les Rochers dans le Bois» (Kunsthaus, Zurich), il engendra par le renouvellement continu de la présentation et des renversements de perspectives une profondeur émotive neuve et intense afin de faire goûter la nature dans son éternité.
Le Cabanon de Jourdan, la dernière oeuvre de Cézanne restée inachevée (Milan, collection R. Jucker)
Durant les cinq dernières années de sa vie, il produisit des œuvres plus épurées qui annoncèrent le Fauvisme et l'abstraction pure et « Le Cabanon de Jourdan », sa dernière œuvre restée inachevée servit quelque part de point de départ au Cubisme avec la forme géométrique du cabanon quoique les arbres qui l'entourent expriment un certain lyrisme dont il n'était pas parvenu à se défaire qui consistait à faire exploser la forme sous la poussée de ses sensations colorées.
La Montagne Sainte-Victoire (Zurich, Kunsthaus)
La montagne Sainte Victoire fut également un terrain d'exploration favori de Cézanne entre 1890 et 1905 tout comme les natures mortes où la simplification synthétique des lignes de contour fut plus accentuée et où les éléments de la composition furent vivifiés par une couleur intense posée en touches fondues, la facture rapide et concrète laissant présager les synthèses de l'école cubiste.
A partir de 1895, il affirma l'indépendance de sa vision en multipliant les angles de perspective pour accentuer la structure volumétrique des objets comme dans son tableau « Pommes et Oranges » (Musées Nationaux, Paris). Il annonça la synthèse cubiste avec encore plus d'acuité dans « Oignons et Bouteille » (Paris, Musées Nationaux) et produisit des tableaux de fleurs qui influencèrent nombre de grands peintres dès le début du XXe siècle, notamment Matisse.
A partir de 1895, Cézanne chercha donc à travailler la forme et le volume ainsi que l'espace considéré comme une entité géométrique vue à travers les contrastes de couleurs. Il préconisa alors de traiter la nature par le cylindre, la sphère, le cône, le tout mis en perspective considérant la nature comme étant plus en profondeur qu'en surface avec la nécessité d'introduire dans les vibrations de lumière représentées par les jaunes et les rouges une dose suffisante de bleutés pour faire humer l'air.
Cézanne alla ainsi loin dans les jeux de contrastes et dans la représentation de formes épurées surtout dans ses aquarelles produites à partir de 1894 dans lesquelles il apporta nombre d'innovations techniques avec des touches légères et translucides en alternant des tonalités chaudes et froides, en précisant les plans, en laissant des espaces vides pour donner une impression de légèreté. Il ambitionna alors de reproduire ces sensations dans des peintures en y laissant des blancs.
En 1897, il peignit des paysages en montrant la montagne Sainte Victoire et travailla également au « Château Noir » près du Tholonet.
En 1905, il acheva « Les Grandes Baigneuses », aujourd'hui au Musée de Philadelphie, une œuvre à laquelle il consacra sept années de labeur.
S'il revint quelque peu au baroque à partir de 1895, Cézanne n'en resta pas moins déterminé à bousculer les formes en les modulant par les contrastes des couleurs.
Toutefois, Cézanne resta un artiste plutôt insaisissable en raison de son caractère et de ses contradictions. Avant-gardiste d'un côté, aspirant aux honneurs de l'autre, vivant de plus en plus comme un misanthrope mais ayant été un gai compagnon pour beaucoup de ses amis durant sa jeunesse, il n'eut pas d'élèves mais eut une influence incroyable sur de nombreux peintres qui allaient révolutionner la peinture juste après sa mort.
UN PARALLELE AVEC VAN GOGH
Cézanne est donc déroutant à plus d'un titre. Atypique, peu doué ou inadapté pour suivre une voie académique mais rêvant de figurer au Salon, copiant malhabilement les grands maîtres mais sachant bien retenir les leçons de Pissarro et les influences de Delacroix ou de Manet. Riche un jour, pauvre un autre puis riche à nouveau jusqu'au restant de ses jours, jouissant d'un statut de privilégié et pouvant ainsi se consacrer tout entier à son oeuvre.
Peut-être pourrait-on le comparer à Van Gogh de par son caractère, son style de vie et ses ambitions sauf que le Hollandais, dont l'existence fut brève, ne fut jamais reconnu de son vivant et n'eut pas les moyens financiers nécessaires pour parachever son œuvre au contraire de Cézanne, à l'abri du besoin après la mort de son père. C'est peut-être aussi autour de ce père qu'il faudrait chercher des réponses à sa vie, lequel ne le reconnut que tardivement et accepta mal sa vocation de peintre. Ce sont peut-être également ses échecs à Paris et la rupture avec Zola qui le rendirent plus solitaire et plus acariâtre et c'est peut-être le fait qu'il ne put jamais se sentir à l'aise dans la capitale qui fit qu'il resta en marge en préférant se fixer en Provence.
Cézanne fut romantique, impressionniste, classique et pré-cubiste durant les périodes qui jalonnèrent sa carrière mais ce sont surtout ses œuvres épurées comme des aquarelles qu'il faut avant tout retenir, celles qui forgèrent sa légende comme ses natures mortes, ses vues de la Montagne Sainte Victoire ou ses Baigneuses tant de fois répétées.
Il n'en reste pas moins que Cézanne fut constamment en proie au doute et chercha obstinément des solutions aux problèmes qu'il se posa sans cesse. A ses yeux, l'Impressionnisme le laissa plutôt sur sa faim car il ne synthétisait pas toute la perception de la nature. Vis à vis de cet adepte de la géométrie, la logique aurait voulu qu'il fut le premier à aller vers une formulation plus nette du Cubisme, un genre qu'il effleura par la réduction de la ligne et du volume et le contrastes des couleurs. S'il n'y parvint pas, ce fut peut-être en raison d'un tâtonnement permanent, de ses contradictions et de sa propension à faire trop souvent référence à Delacroix ou à Manet. Cela ne l'empêcha d'être un pionnier et de tracer le chemin des grands peintres qui bouleversèrent l'art au XXe siècle comme les Expressionnistes et les Fauves puis les Cubistes qui à partir de 1907 se référèrent à son interprétation de l'espace par la géométrie. Mais jusqu'à son dernier souffle, il ne sut pas s'il avait atteint ce à quoi il cherchait à tendre.
Que manqua-t-il donc à Cézanne ? Probablement plus de convivialité à l'égard de ses semblables car en s'isolant à la manière d'un ermite, il ne put défendre sa peinture comme il l'aurait voulu quoiqu'il reconnut n'avoir réalisé des progrès que péniblement et tardivement. On peut voir là un excès de timidité ou un manque de confiance en soi mais la réponse se situe plus au niveau du personnage, intransigeant avec lui-même, insatisfait, vivant à l'écart, rigide d'esprit, ancré dans ses certitudes, acariâtre, paysan de nature mais cependant cultivé, inquiet, montrant plus d'obstination que d'inspiration et ne sachant pas, au contraire de Picasso, tirer parti de situations qui auraient pu lui être favorables à un moment ou à un autre.
On pourrait donc comparer Cézanne à Van Gogh, autre personnage bourru et sauvage, influencé par les grands maîtres puis motivé par sa rivalité avec Gauguin, également décrié mais obstiné dans ses recherches, qui frôla l'abstraction dans ses dernières œuvres et rêva aussi de gloire mais la comparaison s'arrête là car le peintre aixois vécut plus longtemps que ce dernier et put vendre ses œuvres à des amateurs auxquels il manifesta sa reconnaissance tout en jouissant d'une aisance matérielle et en bénéficiant de l'admiration de nombreux artistes durant les vingt dernières années de son existence.
Attaqué de son vivant mais encensé après sa mort, Cézanne a permis l'éclosion de nombreux grands artistes qui, à travers ses œuvres, ont pu se sublimer pour aller au delà de son territoire mais d'autres se sont contentés de l'imiter et de sombrer dans un « cézannisme » tiède et sans saveur durant les années 1930.
Adrian Darmon
GACHET :
LE BON DOCTEUR N'ABUSE PERSONNE
Ouverte au public depuis le 30 janvier 1999 au Grand Palais à Paris, l'exposition de la collection du docteur Gachet, ami de Van Gogh, de Cézanne et de nombreux peintres impressionnistes, servira peut-être à confondre ces spécialistes qui n'arrêtent pas depuis trois ans de mettre en cause l'authenticité de près d'une centaine de tableaux du peintre le plus cher du monde.
Ainsi, «L'Arlésienne» du Metropolitan de New York, les «Tournesols» vendus à une société d'assurances japonaise, «Le Jardin à Auvers» ou le «Portrait du docteur Gachet» à Orsay ne seraient rien moins que des faux !
(Sotheby's)
La polémique autour de nombreuses œuvres de Van Gogh risque d'ailleurs de lfaire beaucoup de dégâts. Ainsi, après un article du journaliste Jean-Marie Tasset qui signalait que "Le Jardin à Auvers" était vraisemblablement un faux, le commissaire-priseur Jean-Claude Binoche, qui avait vendu le tableau pour 57,7 millions FF en 1992, a réclamé 10 millions FF de dommages et intérêts au journal depuis que les héritiers de son acheteur, le défunt banquier Jean-Marc Vernes, ont demandé l'annulation de la vente. Ces derniers ont demandé à être remboursés après n'avoir pas réussi à revendre le tableau par l'entremise de M° Tajan en 1996 et ce, en grande partie à cause des articles défavorables parus dans la presse au moment de cette vente.
Il y aurait ainsi une centaine d'oeuvres qui auraient en fait été peintes par des faussaires ou des pasticheurs des tableaux de Van Gogh. Ce n'est certes pas la première fois qu'on remet en cause l'œuvre d'un peintre. Ainsi, Rembrandt a fait les frais d'une révision drastique, le Rembrandt Research Project ramenant à environ 400 le nombre des tableaux qui peuvent lui être attribués avec certitude alors que le précédent répertoire en comptait mille.
L'industrie du faux existe cependant depuis des centaines d'années et a concerné des dizaines de peintres de grand renom, à commencer par Corot qui a été certainement le plus copié ou plagié. Ce n'est donc pas demain la veille que les faussaires cesseront leurs activités.
Le problème ne se situe pas vraiment à ce niveau mais plutôt à celui des experts qui ne sont pas toujours aussi fiables qu'on le pense. Le débat s'amplifie d'ailleurs depuis ces dix dernières années et concernant Van Gogh, les spécialistes du musée d'Amsterdam ne sont pas exempts de reproches. Souvent condescendants et imbus d'eux-mêmes, murés dans leur tour d'ivoire, ils n'ont pas engrangé un bon capital de sympathies à travers le monde.
La controverse au sujet de Van Gogh qui oppose plusieurs clans a mis le marché de l'art en ébullition, surtout quand on songe qu'il s'agit du peintre le plus cher du monde avec une enchère de 470 millions de FF (82,5 millions dollars) enregistrée sur le portrait du docteur Gachet.
Les responsables du musée d'Orsay ont voulu faire taire les polémiques en présentant d'une manière originale la collection Gachet qui comporte, outre des Van Gogh, des oeuvres de Monet, Sisley, Renoir, Pissarro ou de Cézanne.
Certains tableaux exposés dans les musées français font l'objet de contestations et pour lever les suspicions, les responsables des Musées Nationaux ont décidé de faire procéder à des examens en laboratoire concernant huit tableaux de Cézanne, huit de Cézanne, autant du docteur Gachet et de son fils ainsi que des copies réalisées par Blanche Derousse, élève du docteur.
Les analyses permettront de faire la lumière sur l'authenticité des tableaux exposés dans les musées et d'écarter définitivement le docteur et son fils de la liste des possibles faussaires.
Il est vrai que le docteur Gachet s'amusa à copier des oeuvres de Van Gogh, de Cézanne et d'autres peintres. Mais si on compare les originaux avec les copies, on peut d'emblée dire qu'il n'y a pas photo !
Alors qu'il séjournait à Auvers en 1872, Cézanne avait pastiché «l'Olympia » de Manet. Le docteur Gachet en fit une copie dont l'analyse révèle vite les lacunes d'un amateur. Ce serait une incroyable ineptie de faire croire à travers cette copie que Gachet était un faussaire. Avec ces analyses, on peut déjà se faire une idée bien nette du style de Gachet et conclure qu'il ne pouvait en aucun cas être un habile faussaire.
Les copies des oeuvres de Van Gogh réalisées par Blanche Derousse après la mort de Van Gogh en 1890 ne sont que des aquarelles de petit format qui ne sont que des documents et là encore, il n'est pas question de dénicher un faussaire.
Plus intéressantes sont les analyses des tableaux authentiques de Van Gogh qui ont révélé que les couleurs, notamment les rouges et les roses, s'étaient atténuées avec le temps.
On a découvert que Van Gogh avait utilisé une laque de géranium contenant de l'éosine, un composant destiné à raviver les rouges mais qui se dégrade à la lumière. Ainsi donc l'éosine, dont les traces restent présentes dans les oeuvres de Van Gogh, permet d'être un élément important d'authentification. Le docteur Gachet, qui vit Van Gogh de nombreuses fois à l'œuvre, n'utilisa jamais de l'éosine dans ses pastiches alors que son fils, pour réaliser des copies, se servait de toiles différentes de celles utilisées par ce dernier. Décidément, on ne pourra jamais affirmer sérieusement que le docteur et son fils aient pu être des faussaires.
Benoit Landais, qui a été l'un des plus virulents à mettre en doute certaines des oeuvres de Van Gogh, a certes étudié des centaines de documents relatifs au peintre mais son obsession à vouloir voir des faux partout ne repose que sur des éléments qui paraissent le plus souvent simplistes. Landais voudrait que Van Gogh ait toujours peint de la même manière et n'accepte pour ainsi dire jamais la possibilité qu'il ait été moins bon ou moins précis certains jours. Ses démonstrations visant à prouver que le tableau les «Tournesols» est un faux confinent parfois au ridicule et son rejet du «Jardin à Auvers» ne repose que sur des arguments plutôt fallacieux.
Mais Landais a eu la grande chance de profiter des bourdes des spécialistes de Van Gogh, qui pour expliquer pourquoi certains tableaux contestés étaient vrais, ont présenté des conclusions souvent contradictoires et parfois dignes de révélations de tireuses de cartes. N'ayant pas apporté de preuves irréfutables, les experts de Van Gogh ont ainsi involontairement attisé le feu au sujet des faux…
Pour Landais, le faussaire principal de Van Gogh s'appelle Claude-Emile Schuffenecker. Depuis trois ans, lui et ses amis bassinent la presse et le monde de l'art avec cette théorie qui paraît aussi fumeuse que l'affirmation selon laquelle le docteur Gachet serait un faussaire. A la fin, on a fait de Schuffenecker un peintre minable, ce qu'il n'était certainement pas.
Il reste à faire définitivement la lumière au sujet d'une centaine d'œuvres mais si les experts continuent de se bagarrer et parfois de s'insulter, il est probable que la vérité ne sortira pas rapidement du puits. Untel dit que "Les Tournesols" est authentique mais jette le doute sur "Le Jardin de l'hôpital Saint-Paul", un autre se base sur des détails qui n'ont aucune importance concernant l'authentification de ce vase de fleurs. Bref, les alliés d'un moment peuvent devenir ennemis le lendemain au grand plaisir de Benoit Landais et de ses amis qui parviennent ainsi à intéresser les médias à leurs élucubrations.
Bien entendu, il y a probablement quelques faux tableaux dans le catalogue raisonné des œuvres de Van Gogh, peut-être une dizaine ou une vingtaine, mais il y a sans doute plus d'une cinquantaine de vrais tableaux qui ont été déclarés faux par les experts patentés du peintre durant ces trente dernières années.
LE BON DOCTEUR GACHET
Le docteur Gachet, qui ne fit pas de brillantes études, se spécialisa dans les maladies nerveuses. Franc-maçon depuis 1862, il fut un homme de progrès qui se dévoua pour soigner les blessés du siège de Paris en 1870 et inventa à cette occasion un antiseptique recommandé pour les blessures par armes à feu et blanches. Déjà en 1851, il s'était porté volontaire pour lutter contre le choléra dans l'Est. Plus tard, il n'hésita pas à donner de nombreuses consultations gratuites et sauva même dans l'Oise en 1884 un nageur de la noyade.
Serviteur de l'humanité, le bon docteur s'intéressa aux peintres dès son adolescence et collectionna les œuvres de ceux qui n'étaient pas du tout en vogue durant leur époque. Ce fut ainsi qu'il se mit à décorer sa maison d'œuvres de Manet, Monet, Sisley, Guillaumin, Pissarro et Cézanne. Certains tableaux furent achetés, d'autres donnés en échange de soins.
Ce fut seulement en 1890 qu'il reçut Van Gogh chez lui à Auvers et ce, sur la recommandation de Théo Van Gogh. Il eut seulement le malheur de se livrer à la peinture en amateur, ce qui lui vaut aujourd'hui d'être accusé par certains d'avoir été un faussaire. Cette exposition, et les analyses faites de ses pastiches, montreront certainement qu'une telle accusation ne tient pas.
On a aussi accusé le docteur Gachet d'avoir été un profiteur en obtenant à bas prix des chefs d'œuvre. On oublie encore que les tableaux qu'il collectionna n'intéressaient pratiquement personne dans les années 1875-1900 et que le bon docteur avait eu au moins le mérite d'être un grand découvreur.
L'ennui est que la controverse sur Van Gogh ne date pas d'hier et que de nombreux passionnés se sont institués spécialistes du peintre d'une manière quelque peu abusive.
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