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SYLVIA WILDENSTEIN, LA VEUVE SACRIFIEE SUR L'AUTEL DES INTERÊTS D'UNE CELEBRE DYNASTIE DE MARCHANDS D'ART Par Adrian Darmon
30 Mars 2010
Catégorie : FOCUS

Il était une fois la veuve d'un grand marchand d'art dont les fils issus d'un premier mariage l'incitèrent à renoncer à sa part d'héritage en lui faisant croire que leur père était mort dans le dénuement le plus complet, ce qu'elle fit sans réfléchir avant de se rendre compte qu'elle avait été flouée selon un scénario plutôt démoniaque visant à protéger la fortune d'une célèbre dynastie de galeristes estimée à quelque 10 milliards de dollars…

 

A la lecture de ces quelques lignes, on serait tenté d'imaginer qu'il s'agirait là du résumé d'une fable moderne adaptée par les studios Disney et racontant les malheurs d'un ex-reine de beauté ayant épousé un prince charmant qui la combla d'amour et de cadeaux au grand dam des fils de ce dernier qui dès sa disparition auraient été déterminés à la transformer derechef en une sorte de Cendrillon septuagénaire qu'aucune fée bienveillante ne saurait sauver.

 

En vérité, le script de ce thriller qu'Alfred Hitchcock aurait vraisemblablement aimé réaliser n'a même pas été écrit mais le plus incroyable est d'apprendre qu'il ne s'agit nullement d'une fiction mais bien d'une histoire réelle qui pourrait avoir pour titre « Trust me Sylvia » ou « Wild Einstein, la nouvelle théorie de la relativité de la richesse » ou encore « La Veuve pas joyeuse ».

 

Bref, il s'agit tout simplement de l'histoire incroyable de Sylvia Wildenstein, seconde épouse du légendaire marchand d'art Daniel Wildenstein, qui a vécu d'incroyables tourments après la disparition de ce dernier le 23 octobre 2001 lorsque ses beaux-fils Guy et Alec lui ont fait croire que leur père était mort ruiné alors qu'il possédait en réalité des milliers de tableaux de maîtres, d'innombrables chevaux de course, des avoirs conséquents et des biens immobiliers en France et à l'étranger.

 

Eprouvée par la mort de Daniel Wildenstein auprès duquel elle avait passé des nuits entières à son chevet après son opération pour un cancer de l'estomac, l'inconsolable Sylvia avait ainsi accepté de renoncer à sa part d'héritage quinze jours après l'enterrement de son mari  lorsque ses beaux-fils vinrent lui faire comprendre qu'elle risquait de supporter les lourdes dettes de la succession en ignorant que l'essentiel de la fortune du défunt était dissimulé derrière un écran constitué de trusts domiciliés dans divers paradis fiscaux.

 

Subissant l'humiliation d'être répudiée sans plus de façon par ses beaux-fils et le reste de la famille Wildenstein, l'infortunée Sylvia avait sombré dans une profonde dépression avant de se ressaisir 18 mois plus tard pour solliciter l'aide de l'avocate Claude Dumont Beghi qui comprit rapidement que la déclaration de succession de Daniel Wildenstein évaluée modestement à 42,9 millions d'euros n'était rien moins qu'une mauvaise blague faite à sa cliente.

 

M° Dumont-Beghi engagea donc deux référés pour annuler cette déclaration de succession laquelle incluait des inventaires invraisemblables concernant la collection de Daniel Wildenstein réputée totaliser en fait près de 10 000 tableaux dont la valeur globale pouvait déjà être susceptible d'être estimée à plus de 9 milliards d'euros. C'est ainsi que l'avocate obtint d'abord gain de cause, la cour d'appel de Paris estimant en avril 2005 que Mme Sylvia Wildenstein, née Roth, était mariée sous le régime de la communauté et que de ce fait ses droits d'héritière devaient être rétablis tout en reconnaissant que ses beaux-fils s'étaient appropriés l'intégralité de la fortune de leur père, laquelle restait à être déterminée tant en France qu'à l'étranger via le travail d'un expert, la plaignante se voyant pour sa part octroyer une avance de 15,5 millions d'euros à valoir sur ses droits dans le partage de la succession.

 

Ces deux procès ont mis quelque part en lumière le rôle joué par Guy et Alec Wildenstein, notamment au cours d'une réunion tenue en compagnie de leurs avocats de Paris, Londres, New York et Zurich. Ce jour là, Sylvia Wildenstein fut carrément cernée de toutes parts afin de comprendre qu'il était de son intérêt de renoncer immédiatement à la succession de son mari en raison de nombreux risques, notamment fiscaux, qu'elle ne pourrait à l'évidence assumer alors que ses interlocuteurs lui avaient sciemment caché l'état véritable de la fortune de Daniel Wildenstein.

 

Victime d'un abus de faiblesse selon son conseil, Sylvia Wildenstein avait donc été écartée sans ménagement de la succession de celui qui avait été son compagnon durant 40 ans.

 

Détenant exclusivement les éléments de cette succession, Guy et Alec ont ensuite tenté de freiner les procédures engagées à leur encontre en recourant à diverses parades juridiques pour ne pas payer l'avance octroyée par la Cour d'appel à leur belle-mère. Ils ont ainsi allégué au passage que leur père était convaincu d'être marié sous le régime de la séparation de biens organisé par la loi américaine pour aller jusqu'à réclamer des dommages et intérêts colossaux à titre de préjudice en signalant que la somme allouée à Sylvia dépassait de loin la part censée lui revenir dans la succession sans oublier que l'attention donnée par la presse à leurs déboires judiciaires avait gravement porté atteinte à leur réputation.

 

En réponse à leurs arguments, Claude Dumont-Beghi s'est sans cesse attachée à démontrer que la valeur donnée à la succession de Daniel Wildenstein semblait ridicule du fait que ce dernier était déjà à la tête de l'Institut portant son nom lequel était l'éditeur des nombreux catalogues raisonnés qu'il avait lui-même rédigés ou co-signés notamment sur Monet, Ingres, Velasquez, Gauguin, de La Tour, des maîtres dont il possédait des dizaines d'œuvres importantes sans compter que l'Institut disposait de 400 000 livres et répertoires représentant le plus important fonds de recherche au monde et qui avec ses locaux pourrait valoir au bas mot plus de 400 millions d'euros…

 

Bref, dans une décision rendue le 20 juin 2006, la Cour de Cassation a confirmé irrévocablement Mme Sylvia Wildenstein dans ses droits d'héritière selon le régime de la communauté puis, à la suite de cet arrêt, les experts nommés pour estimer les biens du défunt ont remis le 31 décembre 2006 leur rapport dans lequel les meubles corporels de ce dernier étaient évalués à plus de 121 millions d'euros auxquels pouvait être ajouté une somme de 380 millions d'euros représentant la valeur des tableaux de Bonnard qu'il avait acquis sans que la preuve soit apportée que cet achat avait été effectué au nom de la société Wildenstein & Co Inc.

 

Basant leur travail sur trois hypothèses après avoir estimé que Sylvia Wildenstein possédait des chevaux évalués à près de 600 000 euros et des bijoux susceptibles de valoir jusqu'à plus de 5 millions d'euros, les experts avaient repris une liste de biens énumérés par les parties, et notamment par Sylvia, avant d'apprendre juste à la fin de leur travail l'existence de trusts familiaux dans lesquels une part substantielle du patrimoine des Wildenstein aurait été transférée. Faute d'éléments probants en leur possession, les experts avaient donc été dans l'incapacité d'estimer l'état réel de la fortune de Daniel Wildenstein, vraisemblablement dix fois supérieure au montant global figurant sur leur rapport.

 

Quoi qu'il en soit, Sylvia Wildenstein n'a jamais pu obtenir les avances réclamées à titre de provision à l'issue des jugements qui lui étaient favorables pas plus que la remise par les fils Wildenstein de documents concernant ces fameux trusts où la plus grande partie de la fortune patrimoniale était à l'abri, un point que la pugnace Claude Dumont-Beghi a voulu mettre en exergue.

 

Las, le 1er octobre 2008 la 2e chambre de la Cour d'appel a cassé les deux premiers jugements en faveur de Sylvia Wildenstein en décidant non seulement que la première déclaration de succession était la seule valable mais que l'évasion du patrimoine de son mari dans des sociétés étrangères et des trusts était conforme à la tradition familiale de transmission des biens aux héritiers directs et que de ce fait, elle ne pouvait être imputable à ses fils et n'avait pas nécessairement pour objectif de léser leur belle-mère.


Après un combat acharné contre un panel de redoutables avocats, M° Dumont-Beghi n'a pu alors obtenir que la réintégration dans la succession d'un tableau du Caravage , "Le Joueur de Luth", estimé à 100 millions d'euros qui avait été prêté au Metropolitan Museum ainsi que la réévaluation à 20 millions d'euros et non deux millions de la propriété de Marienthal possédée par Daniel Wildenstein.

Le 20 mai 2009, la Cour de cassation n'a pas plus donné satisfaction à Sylvia Wildenstein en rejetant l'essentiel de ses demandes, notamment au sujet des trusts, et en allant même jusqu'à considérer que son mari n'avait acquis aucun bien à titre personnel pendant les années où il avait été marié.

 

Pourtant, quelques jours auparavant, de nouvelles pièces prouvant que d'autres trusts en dehors de ceux évoqués en justice- les David et Sylvia trusts- n'avaient pas été déclarés par les fils Wildenstein, notamment le Delta Trust, Sons Trust ou David Trust  détenant notamment les propriétés du Kenya et des Îles Vierges, des tableaux, des œuvres d'art et des élevages de chevaux, M° Dumont-Beghi signalant qu'un trust était un instrument idéal pour tourner certaines interdictions et éviter des taxes fiscales alors que dans le cadre d'une succession ouverte en France par un citoyen français résidant dans le pays, Daniel Wildenstein était soumis à la loi imposant le rapport de tous les trusts au jour de son décès.

 

Ces trusts auraient donc dû être rapportés spontanément surtout qu'en s'abstenant de le faire, les bénéficiaires s'étaient rendus coupables de recel de succession alors qu'après la disparition de leur père des millions d'euros leur auraient été distribués via ces montages à l'étranger.

 

Loin de s'avouer vaincue, Madame Sylvia Wildenstein a engagé un recours en révision le 3 juin 2009 puis déposé plainte auprès du parquet pour abus de confiance concernant le SonsTrust  faute d'avoir reçu les éléments qu'elle avait réclamés.

 

C'est peut-être à partir de ce moment là qu'elle a mesuré à quel point il serait  difficile de démêler les savants systèmes mis en place pour préserver le fabuleux patrimoine de la dynastie Wildenstein où comme dans tout autre grande famille, les femmes ont été d'habitude tenues à l'écart des affaires de leurs époux, ce qui n'a pas empêché Sylvia de revendiquer sa part sur la galerie de New York du fait que celle-ci dépendrait d'un trust créé par Georges dont les seuls bénéficiaires auraient été son fils Daniel et sa fille Miriam, dont les parts seraient revenues à Guy et Alec après sa mort en mai 1994.

 

Pour M° Dumont-Beghi, ce trust était une donation se devant d'être rapportée à la succession de Daniel Wildenstein. Or, la galerie de New York disposerait d'un stock de tableaux de maîtres valant entre 6 et 10 milliards de dollars…

 

A cela, il aurait convenu d'ajouter la galerie Wildenstein & Co de Londres puisqu'elle aurait appartenu à 99,9% à Daniel Wildenstein laquelle a été évaluée par ses fils à près de 320 millions d'euros alors que de nombreux tableaux n'auraient pas été intégrés à cette valorisation sans oublier les sommes transférées (près de 23 millions d'euros) par cette galerie à celle de New York depuis le décès de Daniel ainsi que les meubles vendus par Christie's au nom de Wildenstein & Co Ltd. le 15 décembre 2005.

 

Ainsi donc la galerie de Londres aurait été sous-évaluée alors que Sylvia Wildenstein a revendiqué un quart en usufruit de la valeur d'un stock qui serait en réalité considérable. Mais là encore, on peut imaginer que Daniel Wildenstein aurait eu avant tout le souci de préserver l'intégralité de sa fabuleuse collection en la destinant en priorité à ses fils pour ne laisser à son épouse qu'une part de ses actifs financiers.

 

Citoyenne américaine et vivant à Paris depuis 1964, Sylvia Wildenstein née Roth, dont les parents originaires de Hongrie et de Tchécoslovaquie avaient créé une Académie internationale pour la Paix, avait rencontré Daniel cette année-là avant de devenir son épouse en 1978. En 1999, son mari avait créé le Sylvia Trust en la désignant comme bénéficiaire afin de la préserver sa vie durant. Or, 19 tableaux de Bonnard importants auraient fait partie de ce trust situé au port franc de Genève: « Paysage à la maison jaune »,« Vase de fleurs ou fleurs au pichet vert »,« Jardin du midi », « plateau de fruits ou pêches dans une assiette sur une chaise »,« Intérieur au Cannet », « Paysage au Canet, les arbres blancs »,« La route, paysage au Cannet », « Plateau de fruits ou pêches dans une assiette »,« Corbeille de fruits (le Cannet) ou pommes dans un plat sur nappes »,« Coin de maison »,« Nature morte, fruits »,« Paysage du Cannet : vue des toits ou vue panoramique du Cannet »,« Avenue du bois de Boulogne »,« Fruits et cruches or nature morte aux pêches et pot jaune », « Pleine Mer »,« Le jardin : cactus »,« Nu rose à la baignoire » et « Le gant de crin ». N'empêche, selon M° Dumont-Beghi, les héritiers de Daniel ne s'étaient pas privés dès la mort de leur père de prendre possession du « Nu Rose à la Baignoire » qui était accroché au domicile conjugal du 20 avenue Montaigne alors que sa veuve n'a toujours pas eu la jouissance de ces tableaux de Bonnard depuis lors.

 

L'avocate de Sylvia a ajouté que suite au décès de son époux, ce Trust a été immédiatement contrôlé par Alec et Guy Wildenstein et que de ce fait elle avait engagé une procédure en 2004 devant la Cour Suprême des Bahamas qui lui avait permis d'obtenir gain de cause ce qui avait amené ceux-ci à contre-attaquer pour bloquer l'usage de ce Trust dans l'attente d'une décision de cette cour laquelle n'a pas donné suite à la demande de la veuve Wildenstein qui avait invoqué des raisons médicales pour pouvoir vendre ces tableaux.

 

Sylvia Wildenstein a également revendiqué sa part sur les trusts dont les célèbres élevages de chevaux appartenant à son mari faisaient partie d'autant plus que de nombreux purs-sangs n'avaient pas été déclarés à sa mort alors que la valeur de ces élevages n'avait été estimée qu'a quelque 805 millions d'euros, une somme irréaliste aux yeux de la demanderesse.

 

M° Dumont-Beghi n'a pas manqué au cours de sa longue bataille judiciaire de dénoncer selon elle une collusion entre les conseils des héritiers Wildenstein pour engager  alors des actions contre ces derniers pour avoir incité Sylvia Wildenstein à renoncer à la succession de son mari en lui faisant croire que sa situation financière était complètement obérée pour la placer ainsi en situation de faiblesse sans savoir qu'elle était bénéficiaire du SonsTrust et d'autres trusts situés dans des paradis fiscaux.

 

En attendant, une ordonnance a été rendue le 24 juin 2009 au bénéfice de Madame Sylvia Wildenstein, écartant les exceptions d'incompétence et de nullité soulevées mais les héritiers n'ont pas manqué d'interjeter appel de cette décision.

 

Enfin, M° Dumont-Beghi n'a pas hésité à aller plus loin en affirmant que les fils Wildenstein et leurs conseils avaient organisé une fraude fiscale avant le décès de leur père, fraude d'ailleurs dénoncée par sa veuve à l'administration fiscale en avril, mai et juin 2009. Pour M° Dumont-Beghi la succession de Daniel Wildenstein se devrait donc comme tout autre être soumise aux principes d'ordre public en matière de succession et de droit international privé, à savoir  la loi successorale française du 3 janvier 1972 alors qu'en l'espèce, sa veuve a été trompée dans ses droits via des détournements sur le plan civil et fiscal.

 

Dans cette lutte du pot de terre contre le pot de fer, et c'est le cas de le dire puisque la dynastie Wildenstein a su se blinder d'une manière efficace pour protéger son magnifique patrimoine, Sylvia Wildenstein a bien évidemment éprouvé toutes les peines du monde pour obtenir gain de cause au cours d'une interminable bataille judiciaire qui a fait les choux gras de la presse internationale. Face à elle, Guy Wildenstein a semblé déterminé à ne rien lâcher après avoir apparemment commis avec son frère l'erreur de ne pas être assez généreux à son égard après la mort de son mari pour éviter ultérieurement un déballage plus que gênant en justice qui aura déjà eu pour effet de ternir l'image d'une grande dynastie de marchands et faire de Sylvia une martyre du monde des happy few…

 

Adrian Darmon
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