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Un peintre qui mène une vie dissolue en fait voir de toutes les couleurs à son épouse...
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L'EXPERTISE N'EST PAS UNE SCIENCE EXACTE Par Adrian Darmon
26 Mai 2011 Catégorie : FOCUS
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Cet article se compose de 7 pages.
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Pour qu'une oeuvre soit reconnue authentique il convient nécessairement
d'obtenir l'avis d'un expert sinon elle ne vaudra rien ou si peu mais
contrairement à ce qu'on pourrait croire, l'opinion d'un spécialiste- qu'il
accepte ou refuse l'authenticité d'une pièce qui lui est présentée- n'a pas de
caractère immuable vu que le domaine de l'expertise évolue au fil du temps
d'autant plus que demain les analyses scientifiques seront certainement
appelées à jouer un rôle plus important au niveau des authentifications.
Ayant émergé à partir du milieu du XIXe siècle, les experts ont longtemps
basé leurs aptitudes sur leur savoir et leur flair pour ensuite tenir compte à
partir des années 1950 d'un élément supplémentaire de poids pour conforter leur
jugement, à savoir la provenance d'une oeuvre qui leur est soumise. Aujourd'hui, leur verdict
découle de leur conviction en fonction de la stylistique et d'autres critères
comme le support, la touche et d'autres indices susceptibles de confirmer
l'authenticité d'une oeuvre alors que sa provenance constituera à leurs yeux un
argument certain pour les amener à délivrer un certificat d'authenticité.
L'expertise d'une oeuvre paraissait toutefois bien plus simple lorsque le
monde de l'art se limitait à l'existence de quelques centaines de
collectionneurs à travers la planète mais elle est devenue bien plus ardue à
partir du moment où le marché a commencé à vraiment se développer au milieu des
années 1980.
Depuis 25 ans, le nombre des collectionneurs a littéralement explosé tout
comme celui des ventes aux enchères alors que durant cette dernière décennie,
le marché de l'art a pris l'apparence d'une place financière en attirant des
spéculateurs de tous horizons. Les prix des oeuvres recherchées n'ont donc pas
cessé d'augmenter pour rendre ce marché dynamique mais le succès de celui-ci
n'a pas manqué de provoquer un accroissement spectaculaire des plagiats.
Il va sans dire que les faux sont devenus la hantise des experts qui
préfèrent ne pas prendre le risque de délivrer d'opinion positive sur une pièce qu'ils examinent lorsqu'ils sont en proie au doute. Après tout, ce sont des êtres humains
même si certains d'entre eux ont fini parfois par se comporter comme des
démiurges. Il n'en reste pas moins qu'en authentifiant une oeuvre, ils deviennent
les garants de son authenticité et s'exposent de ce fait à être poursuivis en
justice s'ils se sont trompés. Dès lors, ceux-ci ont pris le parti jouer la
prudence à outrance quitte à susciter le mécontentement parmi une multitude
d'amateurs.
Cela posé, l'expertise aujourd'hui est devenue à certains égards un
problème au point que nombre de spécialistes en sont venus à négliger l'analyse
poussée d'une oeuvre pour se focaliser avant tout sur sa provenance. Trouvée
dans une foire à la brocante, la toile d'un grand maître de l'Impressionnisme
aura ainsi des chances infimes d'être reconnue comme authentique. Munie d'une
belle provenance, l'affaire sera par contre pratiquement entendue.
Par ailleurs, l'accroissement des ventes aux enchères et le développement
de domaines restés longtemps négligés ont fait qu'il n'y a plus eu suffisamment
de spécialistes pour examiner les oeuvres soumises aux grandes maisons de vente
lesquelles ont fait appel à des collaborateurs disposant pour la plupart d'une
courte expérience professionnelle pour préparer leurs catalogues. Ceux-là ont
d'abord eu la tâche d'effectuer des tris parmi les pièces proposées par des
vendeurs afin d'estimer si elles étaient vraiment valables avant de les
soumettre à des experts patentés. On imagine déjà que leurs sélections un peu
hâtives ont été de nature à engendrer des erreurs.
Exemple: une personne ne connaissant pas grand chose à l'art a hérité
d'un objet. Envisageant de s'en séparer, elle sollicite une grande maison de
vente où elle est reçue par un jeune employé, assistant de l'expert du
département concerné pour cet objet. Celui-ci l'examine sommairement et répond
à son interlocuteur qu'à son humble avis cette pièce n'est pas d'époque, en
conséquence de quoi son estimation sera minime. Mais qui dit que l'objet n'est
pas authentique si son examen dépendant d'un néophyte en matière d'expertise
s'arrête là?
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Pour qu'une oeuvre soit reconnue authentique il convient nécessairement
d'obtenir l'avis d'un expert sinon elle ne vaudra rien ou si peu mais
contrairement à ce qu'on pourrait croire, l'opinion d'un spécialiste- qu'il
accepte ou refuse l'authenticité d'une pièce qui lui est présentée- n'a pas de
caractère immuable vu que le domaine de l'expertise évolue au fil du temps
d'autant plus que demain les analyses scientifiques seront certainement
appelées à jouer un rôle plus important au niveau des authentifications.
Ayant émergé à partir du milieu du XIXe siècle, les experts ont longtemps
basé leurs aptitudes sur leur savoir et leur flair pour ensuite tenir compte à
partir des années 1950 d'un élément supplémentaire de poids pour conforter leur
jugement, à savoir la provenance d'une oeuvre qui leur est soumise. Aujourd'hui, leur verdict
découle de leur conviction en fonction de la stylistique et d'autres critères
comme le support, la touche et d'autres indices susceptibles de confirmer
l'authenticité d'une oeuvre alors que sa provenance constituera à leurs yeux un
argument certain pour les amener à délivrer un certificat d'authenticité.
L'expertise d'une oeuvre paraissait toutefois bien plus simple lorsque le
monde de l'art se limitait à l'existence de quelques centaines de
collectionneurs à travers la planète mais elle est devenue bien plus ardue à
partir du moment où le marché a commencé à vraiment se développer au milieu des
années 1980.
Depuis 25 ans, le nombre des collectionneurs a littéralement explosé tout
comme celui des ventes aux enchères alors que durant cette dernière décennie,
le marché de l'art a pris l'apparence d'une place financière en attirant des
spéculateurs de tous horizons. Les prix des oeuvres recherchées n'ont donc pas
cessé d'augmenter pour rendre ce marché dynamique mais le succès de celui-ci
n'a pas manqué de provoquer un accroissement spectaculaire des plagiats.
Il va sans dire que les faux sont devenus la hantise des experts qui
préfèrent ne pas prendre le risque de délivrer d'opinion positive sur une pièce qu'ils examinent lorsqu'ils sont en proie au doute. Après tout, ce sont des êtres humains
même si certains d'entre eux ont fini parfois par se comporter comme des
démiurges. Il n'en reste pas moins qu'en authentifiant une oeuvre, ils deviennent
les garants de son authenticité et s'exposent de ce fait à être poursuivis en
justice s'ils se sont trompés. Dès lors, ceux-ci ont pris le parti jouer la
prudence à outrance quitte à susciter le mécontentement parmi une multitude
d'amateurs.
Cela posé, l'expertise aujourd'hui est devenue à certains égards un
problème au point que nombre de spécialistes en sont venus à négliger l'analyse
poussée d'une oeuvre pour se focaliser avant tout sur sa provenance. Trouvée
dans une foire à la brocante, la toile d'un grand maître de l'Impressionnisme
aura ainsi des chances infimes d'être reconnue comme authentique. Munie d'une
belle provenance, l'affaire sera par contre pratiquement entendue.
Par ailleurs, l'accroissement des ventes aux enchères et le développement
de domaines restés longtemps négligés ont fait qu'il n'y a plus eu suffisamment
de spécialistes pour examiner les oeuvres soumises aux grandes maisons de vente
lesquelles ont fait appel à des collaborateurs disposant pour la plupart d'une
courte expérience professionnelle pour préparer leurs catalogues. Ceux-là ont
d'abord eu la tâche d'effectuer des tris parmi les pièces proposées par des
vendeurs afin d'estimer si elles étaient vraiment valables avant de les
soumettre à des experts patentés. On imagine déjà que leurs sélections un peu
hâtives ont été de nature à engendrer des erreurs.
Exemple: une personne ne connaissant pas grand chose à l'art a hérité
d'un objet. Envisageant de s'en séparer, elle sollicite une grande maison de
vente où elle est reçue par un jeune employé, assistant de l'expert du
département concerné pour cet objet. Celui-ci l'examine sommairement et répond
à son interlocuteur qu'à son humble avis cette pièce n'est pas d'époque, en
conséquence de quoi son estimation sera minime. Mais qui dit que l'objet n'est
pas authentique si son examen dépendant d'un néophyte en matière d'expertise
s'arrête là?
Il y a six mois, le possesseur de deux bustes réputés
dater de la fin du XVIe a pris rendez-vous avec le département d'une grande
maison de vente à Paris. Verdict: « des fontes tardives ».
Présentés en vente comme ayant réalisés tardivement, ils n'ont atteint que 3000
euros au marteau. Toutefois, quelques semaines plus tard, l'ancien propriétaire
a eu la stupeur de constater que ses bustes étaient présentés comme d'époque et
affichés à 160 000 euros dans la vitrine d'un grand antiquaire de la Rive
Gauche.
Bref, cet exemple démontre
qu'il y a eu une erreur manifeste de la part de cette maison de vente où un
amateur d'art éclairé a présenté récemment deux pièces de la Renaissance pour
lui aussi s'entendre dire qu'elles étaient tardives. Ayant des connaissances
affirmées dans ce domaine, celui-ci a rétorqué que le spécialiste de cette
maison faisait fausse route du fait qu'elles avaient été exposées dans une
Biennale après avoir été examinées par un comité d'experts, qu'en outre, elles
avaient fait l'objet de diverses publications et qu'elles avaient été
authentifiées par l'expert connu pour être le plus réputé pour cette catégorie
d'objets. Conclusion : il n'est donc pas conseillé de venir les mains dans
les poches lorsqu'on sollicite un spécialiste, ce qui fait qu'il est primordial
d'avoir des arguments solides pour le contredire si jamais il doute de
l'authenticité de ce qu'on lui soumet.
L'ERREUR PEUT ÊTRE
INHUMAINE
Il ne faut surtout pas de leurrer, l'expertise n'est nullement une partie
de plaisir pour celui qui pense faire authentifier sans problème une oeuvre en étant persuadé mordicus qu'elle est de la main d'un maître.
Déjà, les experts ont fini par devenir terriblement frileux à la suite de
divers scandales de faux qui ont ébranlé le marché de l'art ces dernières
années. L'affaire la plus retentissante a eu lieu en 2010 en Allemagne où un
faussaire du nom de Beltracci a écoulé un nombre important de plagiats,
notamment des oeuvres d'artistes expressionnistes allemands, par le biais de
son épouse et de sa belle-sœur qui ont réussi à faire gober à la maison
Lempertz de Cologne que celles-ci provenaient d'une certaine collection Jagers
prétendument constituée au moment où les nazis s'évertuaient à détruire tout ce
qu'ils considéraient comme de l'art dégénéré.
Même le grand expert Werner Spiess, spécialiste incontesté de l'œuvre de
Max Ernst, s'est laissé prendre en authentifiant des faux de Beltracci vendus
également par d'autres maisons de vente importantes comme Christie's. Autant
dire que le scandale a frigorifié les experts lorsqu'il s'agit d'authentifier
des œuvres réputées inédites sur le marché...
On serait alors tenté de se demander à quoi se résumerait l'expertise si
tout était affaire de provenance en matière d'authentification et vu le nombre
croissant de faux en circulation sur le marché, on finirait par comprendre
l'attitude de plus en plus réservée des experts sauf que ceux-ci n'ont guère
pris la peine de faire progresser leur profession depuis ces trente dernières
années.
La tiédeur des experts est devenue comme un mur difficile à abattre pour
ceux qui les sollicitent sans avoir suffisamment d'arguments pour les amener à
examiner attentivement une œuvre en faisant abstraction de sa provenance. Mais
au-delà de ce problème, il convient aussi de tenir compte du fait que chaque
spécialiste a son caractère propre. On peut donc tomber sur quelqu'un
d'aimable, de distant ou franchement désagréable, c'est selon, ou pire, avoir
affaire à un personnage pouvant se comporter comme un bandit.
Plus d'un amateur a été confronté à des situations embarrassantes,
notamment lorsqu'un expert a pu se montrer jaloux de constater que celui-ci
était en possession d'une pièce pouvant lui rapporter gros à partir du moment
où un certificat d'authenticité lui serait délivré.
Dans d'autres cas, des experts se sont permis de réclamer des
pourcentages conséquents- parfois jusqu'à 50%- sur la valeur d'une oeuvre en
échange d'un certificat. D'autres en sont venus à exiger d'être payés avant
même d'examiner une œuvre et de décider qu'elle était authentique ou non.
D'autres encore n'ont accepté d'authentifier des pièces qu'à condition de
pouvoir les racheter eux-mêmes à un prix en général peu conforme à la réalité
du marché. Ce sont là des pratiques peu dignes qui ont été malheureusement
employées par certains spécialistes imbus de leur puissance au point de se
montrer malhonnêtes.
Au milieu des années 1990, un chineur à l'œil aiguisé avait trouvé une
œuvre d'un artiste impressionniste au marché aux Puces de Saint-Ouen. Sûr de
son authenticité, il avait contacté l'expert du peintre qui, en échange d'un
certificat exigea d'obtenir 50% du prix de la revente du tableau, ce que son
interlocuteur n'osa pas lui refuser en comprenant qu'il valait mieux pour lui
d'encaisser deux millions de francs (300 000 euros) plutôt que rien du tout.
A la même époque, un
marchand des Puces présenta un magnifique dessin à un expert-marchand qui après
l'avoir examiné l'attribua évasivement à un maître flamand en lui proposant de
le mettre en vente à Drouot avec une estimation de 30 000 francs (environ 5000
euros), ce qui représentait déjà une certaine somme. Sentant que le discours de
l'expert ne semblait pas très franc , le marchand lui répondit qu'il allait
réfléchir à sa proposition et préféra prendre rendez-vous avec une grande
maison de vente où son dessin, estimé alors à 700 000 francs ( près de 110 000
euros) fut finalement vendu au prix record de 1,5 million de francs (230 000
euros) !. De deux choses l'une, soit le premier expert consulté n'avait
pas eu les yeux en face des trous en examinant ce dessin, soit il avait tenté
de tromper le marchand pour que le dessin soit adjugé bien en-dessous de sa
valeur, peut-être en faveur d'un de ses amis professionnels. Quoi qu'il en
soit, ce jour là le spécialiste n'a pas été du tout à la hauteur…
Récemment, le Musée
Pompidou a reçu en dation une œuvre datée de 1915 de l'artiste allemand Lyonel
Feininger qui après avoir fait carrière en Allemagne s'installa aux Etats-Unis.
Soucieux de son authenticité, les responsables du musée contactèrent l'expert
Achim Moeller, galeriste à New York et spécialiste de ce peintre. Ce dernier
exigea des honoraires ainsi qu'un pourcentage sur la valeur de l'œuvre pour
donner son avis mais le musée refusa au prétexte qu'il s'agissait d'un don et
non d'une toile à mettre sur le marché. En conséquence de quoi, Moeller décréta
que l'œuvre n'était pas authentique.
Quelques mois après avoir
refusé ce don, le musée a appris avec stupeur que cette œuvre valant au bas mot
plus de deux millions d'euros allait passer en vente à la fin du mois de mai
2011 chez artcurial à Paris et ce, nantie d'un certificat du même Moeller qui,
suite à l'acceptation du groupe de vente de lui régler les honoraires qu'il
réclamait, a pu déterminer que celle-ci
avait appartenu à un banquier d'origine juive et qu'elle figurait dans
le catalogue d'une exposition organisée en 1929 à Berlin sans compter que la
veuve de Feininger l'avait répertoriée dans un ouvrage publié en 1959 sous sa
direction. Résultat, le musée Pompidou a accusé Moeller de l'avoir lésé, ce qui
a rendu furieux l'intéressé qui s'est estimé insulté mais il n'en reste pas
moins que les responsables du musée auraient pu compulser ses propres archives
ou effectuer des recherches au sujet de ce tableau pour ne pas s'exposer à un
avis négatif de l'expert.
L'erreur est humaine mais
n'oublions pas que le mal est aussi malheureusement un travers de l'homme
surtout dans un domaine où des individus sont détenteurs de pouvoirs dont ils
peuvent abuser à outrance pour x ou y raison. Tout en ayant droit de vie ou de
mort sur une oeuvre, certains experts un peu trop imbus de leur puissance ont
ainsi pu se croire infaillibles ou céder parfois avec duperie à l'appât du
gain.
Quant à dresser la liste
des erreurs ou des multiples abus commis dans le domaine de l'expertise que ce
soit pour des tableaux, des sculptures, des meubles ou des objets d'art, cela
nécessiterait en fait des dizaines de pages vu le nombre de scandales relatés
dans la presse depuis plus de 60 ans.
On finirait par croire que
le monde de l'expertise n'est rien moins qu'une sorte de jungle où il faut
avoir le tempérament d'un Tarzan pour déjouer tous les pièges qui se tendent
devant soi lorsqu'il s'agit de faire authentifier une œuvre parce qu'un verdict
négatif peut en outre parfois conduire à de sérieux désagréments, comme le fait
d'être poursuivi pour avoir présenté un faux en étant soupçonné d'en être
l'auteur ou le diffuseur…
Bref, tout le monde n'est pas logé à la même enseigne du fait qu'il
existe souvent un seul expert par artiste et tout dépend finalement sur qui on
tombe. L'ennui est que nombre de décisions ont paru arbitraires au niveau de
l'expertise sans compter que certains spécialistes ont parfois manifesté des
attitudes plutôt bizarres. Exemple: il y a quelques années, une dame ayant
perdu une grosse somme au casino avait confié à un courtier un tableau d'un
grand peintre animalier du XIXe siècle pour le vendre afin d'éponger ses
dettes. L'affaire s'avérant urgente, ce dernier avait été voir l'expert en
titre de cet artiste qui lui avait demandé de laisser l'oeuvre à fins d'examen
pour décréter le lendemain que le tableau n'était pas authentique. Surpris, le
courtier exigea alors de rencontrer au plus vite l'expert lequel refusa de le
recevoir. Déterminé à obtenir satisfaction, le courtier força sa porte pour lui
demander des explications. L'expert ne voulant rien entendre, son interlocuteur
sortit de sa poche un certificat d'authenticité signé de la main de celui-ci
quelques années plus tôt et le contraignit à acheter le tableau sous peine de
provoquer un scandale sur la place publique.
Cela dit, tous les experts ne méritent certainement pas d'être mis dans
le même sac quoique certains d'entre eux auraient bien mérité d'être rappelés à
l'ordre. Il convient aussi de signaler que certaines expertises sont devenues
bien compliquées par la faute de bisbilles entre divers spécialistes qui à
défaut d'en venir aux mains ont eu recours à la justice pour régler leurs
différends. Faire expertiser un Modigliani ou un Renoir pour ne citer que ces
artistes est ainsi devenu un véritable casse-tête. Mais alors, se dira le
lecteur, pourquoi ne pas en venir à créer des comités d'expertise constitués de
plusieurs spécialistes pour rendre les expertises plus simples ?
A cet égard, il apprendra que nombre de comités ont été créés depuis ces
vingt dernières années mais que leurs avis ne sont pas toujours fiables du fait
que des membres de certains comités ont plus de poids que leurs collègues.
De plus, tous les comités ne sont pas du même calibre. Exemple, les Amis
d'un peintre moderne suédois récemment décédé ont créé un comité pour
authentifier ses oeuvres. Un marchand leur en a soumis douze à la fin de 2010.
Verdict: faux. Le marchand est alors revenu à la charge en présentant des
lettres de l'artiste relatives à celles-ci pour que le comité accepte
finalement d'en reconnaître six. Pourquoi pas les autres ? Mystère...
Autre problème: les expertises relevant des ayants-droit, c'est à dire
les héritiers d'un artiste décédé depuis moins de 70 ans. Dans la majorité des
cas, ceux-ci ont une connaissance limitée de l'œuvre du peintre ou du sculpteur
dont ils protègent la mémoire tout en percevant des droits sur chaque oeuvre
vendue.
Là, les exemples d'avis insensés fourmillent à la pelle, notamment de la
part de telle veuve, mariée à 25 ans à un artiste de 35 ans plus âgé appelée à
authentifier des oeuvres peintes par ce dernier alors qu'elle n'était même née,
de telle autre, cocufiée à outrance du temps de son mariage, s'obstinant à
rejeter des oeuvres offertes par son mari à ses maîtresses ou d'autres
ayants-droit qui se sont évertués à expertiser des créations d'artistes sans
avoir jamais mis les pieds dans leurs ateliers.
Finalement, on aurait tort de penser que les certificats d'authenticité
ont un caractère immuable. Il y a 50 ans, les changements d'avis étaient
pratiquement inexistants concernant des oeuvres modernes mais plus fréquents
s'agissant de maîtres anciens. Ainsi, de nombreuses oeuvres auparavant
attribuées formellement à Rembrandt et d'autres artistes ayant vécu entre la
fin du Moyen-Âge et le début du 19e siècle ont été ainsi déclassées suite au progrès
effectuées au niveau de la recherche dans l'histoire de l'art.
Avec l'apparition d'ouvrages documentés et de catalogues raisonnés dès
la fin du XIXe siècle, peu d'œuvres réalisées depuis 1830 ont été remises en
question après avoir été certifiées comme authentiques mais à partir de la fin
du XXe siècle, des expertises relatives à certains artistes modernes ont fini
par être contestées après la mort des spécialistes de leur oeuvre, leurs
successeurs décrétant alors les précédents certificats comme nuls et non
avenus. Inutile de dire que cela aura été de nature à provoquer bien des
disputes juridiques.
L'erreur est certes humaine mais parfois, des experts ont refusé de
délivrer des certificats pour des raisons particulières, notamment quand la
provenance d'une oeuvre était sujette à caution. Exemple: en 2000, un amateur
qui cinq ans auparavant avait chiné dans un marché aux Puces une oeuvre d'un
célèbre peintre fauve avait voulu la faire expertiser par l'intermédiaire d'un
commissaire-priseur. Après avoir consulté l'expert, ce dernier était revenu
voir le possesseur de ce tableau pour l'informer d'un air contrit que le
spécialiste voulait la saisir au motif qu'elle avait été volée.
Revenu de sa surprise, l'amateur s'était alors enquis de savoir à quelle
date l'œuvre avait été dérobée et en apprenant que le vol avait eu lieu peu
avant la dernière Guerre Mondiale, il avait rétorqué que l'expert n'avait aucun
droit de la saisir étant donné que la prescription de 30 ans pour un vol était
largement dépassée, ce à quoi le commissaire-priseur lui avait répondu que
sachant à qui elle avait été volée, le spécialiste avait décrété qu'il ne
délivrerait jamais de certificat d'authenticité tant qu'il serait vivant.
L'expert étant décédé deux ans plus tard, l'amateur en question s'avisa
de contacter Interpol pour savoir si cette oeuvre ne faisait pas partie des
biens spoliés par les nazis. Ayant appris que sa peinture n'était nullement
recherchée comme telle, il se décida plus tard à la soumettre au comité
nouvellement créé pour authentifier les oeuvres de cet artiste pour s'entendre
dire qu'elle n'était nullement de la main de ce dernier, à croire qu'il avait
rêvé lorsque l'expert en titre de ce peintre avait menacé de la saisir, non pas
parce qu'il s'agissait d'un plagiat mais d'une oeuvre volée. En attendant,
l'amateur s'est juré que le jour où il mettrait la main sur une publication
mentionnant ou reproduisant l'œuvre en question, il n'hésiterait pas à attaquer
le comité pour parjure.
ERREURS DANS LES DEUX SENS
Du fait
qu'aucun être humain puisse prétendre être absolument parfait, les experts sont
malheureusement susceptibles de commettre des erreurs dans un sens ou dans
l'autre mais un avis négatif fait que l'erreur devient irrémédiablement
inhumaine pour le possesseur d'un tableau persuadé que celui-ci était
absolument authentique.
Logiquement,
un expert se doit d'être impartial dans son jugement mais plus d'un spécialiste
a commis le péché de céder à des à-priori stupides, notamment vis-à-vis de gens
venus lui soumettre une œuvre à authentifier. A cet égard, un collectionneur
connu sera reçue avec plus de déférence qu'un simple quidam dont l'aspect
vestimentaire laisserait à désirer. Ainsi, une personne ayant l'air débraillé
sera accueillie avec circonspection par l'expert qui examinera alors son
tableau avec une certaine suspicion en se demandant comment celui-ci a pu
atterrir dans ses mains. Mieux vaut alors envoyer à un spécialiste quelqu'un de
présentable pour éviter d'essuyer un refus immédiat.
Anecdote :
un petit chineur mal vêtu alla un jour sonner à la porte d'une spécialiste pour
lui présenter un tableau. En le voyant, celle-ci lui répondit à sa grande
stupeur qu'il s'agissait d'une vulgaire croûte alors que ce dernier n'avait
même pas eu le temps de le déballer et de lui montrer…
Le
problème avec l'expertise est que les spécialistes ne sont pas toujours neutres
puisqu'on compte parmi ceux-ci des marchands dont l'avis n'est toujours pas
désintéressé. Si on soumet une œuvre à un expert qui est en même temps un
professionnel, on risque alors de s'exposer à sa requête de la lui vendre s'il
estime qu'elle est authentique et dans ce cas, la somme proposée sera bien
inférieure à sa véritable valeur. Refuser son offre, c'est souvent se voir
répondre que l'œuvre ne sera pas authentifiée…
Récemment,
le magazine « Le Point » a publié un article relatif à une sombre
histoire concernant un autoportrait non signé de Monet, exposé au musée
Marmottan que Paulette Howard-Johnston, veuve d'un amiral anglais, avait cédé
en 1984 à Daniel Wildenstein après lui avoir signalé que l'œuvre était
attribuée au peintre John Singer Sargent.
Un peu
plus tard, l'acquéreur avait remis la vente en cause au prétexte que le tableau
n'était pas de Sargent mais d'un peintre mineur, ce qui conduisit la veuve à
accepter de rendre la moitié de l'argent contre la promesse que le tableau
serait donné au musée Marmottan.
Dix ans plus tard, lorsque la veuve s'avisa de
consulter le catalogue raisonné consacré à Monet publié par Wildenstein
lui-même, cette dernière découvrit avec stupeur que son tableau était présenté
comme un autoportrait de Monet.
Résolue à réclamer des comptes, la veuve saisit la
justice en 1999 pour faire annuler l'accord qu'elle avait conclu avec Daniel
Wildenstein. L'autoportrait dont la trace avait été perdue durant dix ans,
réapparut comme par enchantement au musée Marmottan.
L'avocat des Wildenstein avait alors déclaré que le
tableau avait été simplement entreposé dans la réserve de Marmottan mais selon « Le
Point » la présence sur le châssis du tableau d'une étiquette portant
le nom de Coutts, en fait la banque gérant un des trusts de la famille du
marchand d'art situé aux îles Caïmans, laissait au contraire subodorer que ce
dernier n'avait livré l'œuvre au musée qu'en dernier lieu. Bref, au bout de 17
années de procédure, la cour de cassation a donné raison à la plaignante
décédée en 2009 à 104 ans. En attendant, cet autoportrait n'a plus été donné à
Monet à Marmottan où il est redevenu un Sargent…
Décédé en octobre 2001, Daniel Wildenstein ne fut pas
que l'expert de Monet, loin de là, puisqu'il avait aussi autorité sur de
nombreux autres peintres, notamment Velasquez, Boucher, Chardin, Joseph
Chinard, Jacques-Louis David, Géricault, Courbet, Gauguin, Berthe Morisot,
Pissarro, Redon, Dubois-Pillet, Jean Béraud, Marquet, Modigliani, Renoir ou
Vlaminck.
Tout puissant sur le marché de l'art, le marchand
d'art avait ainsi toute latitude pour décréter si une œuvre de ces artistes
était authentique ou pas et refuser une offre de sa part était mal venue de la
part de celui qui le sollicitait pour authentifier une œuvre sur laquelle il
avait pour ainsi dire droit de vie et de mort.
« Le Point » » a
par ailleurs rapporté dans sa livraison du 5 mai 2011 l'histoire plutôt
scabreuse d'une toile de Monet représentant des meules qu'un galeriste parisien
avait achetée en piteux état avant de la présenter à Daniel Wildenstein en 1995
par l'intermédiaire d'un courtier en tableaux. A cette époque, le marchand
d'art avait estimé par écrit que l'œuvre n'était pas du maître mais plutôt une
copie réalisée par Blanche Hoschedé-Monet, sa belle-fille.
Déçu, le galeriste vendit sa toile pour 50 000 francs
pour apprendre dix ans plus tard qu'une « Meule » étrangement
identique à la sienne était proposée à la vente aux USA munie d'un certificat
d'authenticité daté de 2005 délivré cette fois par Guy Wildenstein, qui avait
succédé à son père décédé quatre ans plus tôt.
Décidé à tirer l'affaire au clair, le galeriste
contacta son acheteur de l'époque, un Allemand qui en cédant le tableau en 2007
lui offrit une compensation de 700 000 euros payée selon « Le
Point » par une banque luxembourgeoise sur un compte en
Grande-Bretagne. En octobre 2008, l'œuvre fut présentée dans le cadre d'une
exposition organisée au musée Marmottan avec cependant des dimensions
réduites (8 cm de moins en largeur)
affichées dans le catalogue de cette manifestation qui ne mentionnait aucune
provenance, contrairement aux autres œuvres exposées.
Apparemment, l'œuvre avait été raccourcie en largeur
pour que le rapprochement avec le tableau prétendument attribué à Blanche
Hoschedé ne puisse être établi. Bref, l'ancien propriétaire a dénoncé une
magouille, ce à quoi l'avocat de Guy Wildenstein a répondu que celui-ci ne
savait nullement qui était l'acheteur ou le vendeur de ce tableau. Déjà mis à
mal par un procès intenté par sa belle-mère qui l'accusait de l'avoir incitée à
renoncer à l'héritage de son mari évalué selon elle à plus de 5 milliards
d'euros alors qu'on lui avait fait croire que celui-ci n'avait laissé que des
dettes, Guy Wildenstein a été par ailleurs soupçonné d'avoir capté des toiles
de la succession Rouart dont il avait été l'exécuteur testamentaire ainsi
d'autres œuvres à l'origine douteuse découvertes
en octobre 2010 dans les locaux de l'Institut Wildenstein lors d'une
perquisition effectuée par la police.
De par sa position, Daniel Wildenstein fit des
heureux parmi ceux qui lui soumirent des œuvres à authentifier mais aussi des
mécontents qui se virent opposer un refus ou qui furent poussés à lui vendre
des œuvres en-dessous de leur valeur réelle. Il ne fut cependant pas le seul
expert-marchand parisien à exercer une autorité ne souffrant pas d'être
discutée à propos de certains artistes importants. Cela a donc constitué un
problème de taille dont le monde de l'expertise n'a pas réussi à se
débarrasser, loin de là.
Cela posé, il convient de signaler que des domaines
autres que la peinture posent problème au niveau de l'expertise, notamment la
sculpture où les copies de bronzes pullulent au point que les spécialistes ont
un mal fou à déterminer le vrai du faux, les meubles anciens et même ceux de la
catégorie Art Déco où des estampilles apparaissent comme par miracle sur des
pièces qui en étaient auparavant dépourvues, les pâtes de verre, l'argenterie,
l'archéologie, la Haute époque, la Philatélie, les gravures et bien d'autres
catégories.
Récemment, un meuble décoré de plaques de porcelaine
et portant quatre estampilles- pas moins -d'un grand ébéniste du 18e
siècle a été adjugé pour plus d'un million d'euros à Paris. Présenté 15 ans
plus tôt dans une vente aux enchères sans aucune estampille et avec son décor
de porcelaine daté de 1835, il avait été vendu pour l'équivalent de 15 000
euros…
Pour l'anecdote, on signalera qu'au milieu des années
1960, Plusieurs lots de fers à estamper de plusieurs grands ébénistes furent
vendus à Drouot et qu'ils ne finirent vraisemblablement pas dans la vitrine ou
le tiroir d'un collectionneur de souvenirs….
Les expertises étant devenues extrêmement compliquées,
on pourrait alors se demander pourquoi les spécialistes rechignent à donner des
avis en s'appuyant sur des analyses scientifiques dont les progrès ont été
remarquables grâce au développement de nouvelles technologies depuis ces vingt
dernières années.
Durant moins d'une décennie, les analyses
scientifiques ont ainsi permis de corriger bien des erreurs, comme dans le cas
d'un portrait de Maria Bianca Sforza réalisé sur parchemin, présenté timidement
dans une vente organisée par Christie's au milieu des années 1990 comme un
travail allemand du 19e siècle. Ce portrait avait acquis pour
environ 19000 dollars par une galeriste new-yorkaise au nez et à la barbe d'un
collectionneur qui le convoitait. Cette galeriste n'avait toutefois pas réussi
à trouver un acheteur pour cette œuvre que ce dernier parvint à lui racheter
quelques années plus tard en ayant la conviction qu'elle datait en fait de la
fin du XVe siècle.
Pour en avoir le cœur net, le collectionneur soumit
l'œuvre au laboratoire parisien Lumière et Technologie qui après toute une
série d'analyses, détermina avec certitude qu'elle était de la main de Léonard
de Vinci lui-même, ce que l'expert de Christie's n'avait pas su flairer.
Résultat, ce portrait a désormais été estimé à plus de 100 millions d'euros.
L'an dernier, un marchand qui avait acheté une
sculpture de la fin du XVe siècle pour près de 300 000 euros dans un grand
salon d'antiquaires, a lui aussi fait analyser cette œuvre par ce laboratoire
qui est parvenu à mettre en évidence de multiples empreintes digitales
appartenant à Vinci pour confirmer sans conteste son authenticité et en faire
maintenant une pièce inestimable.
Il va sans dire que les nouvelles techniques
employées par les laboratoires ont permis des avancées spectaculaires dans le domaine
de la recherche comme le décryptage des touches utilisées par les artistes,
l'analyse des pigments, des couches de peinture et des supports ainsi que la
détection de repentirs grâce aux rayons X, aux infrarouges et aux tests de
luminescence.
Il en va de même pour des meubles radiographiés dont
les bois sont datés avec certitude par la méthode de la dendochronologie ou des
bronzes dont les composants peuvent être plus finement analysés mais pour
l'instant, il va malheureusement falloir encore attendre quelques années de
plus pour que les experts se décident enfin à travailler de concert avec les
laboratoires pour limiter les risques d'erreurs.
Le monde s'étant grandement accommodé des progrès
technologiques, l'univers des experts devra donc nécessairement entrer de
plain-pied tôt ou tard dans le XXIe
siècle et abandonner des méthodes appartenant au passé d'autant plus que des
sommes conséquentes sont souvent en jeu et que le marché a besoin de plus de
transparence pour mieux fonctionner.
Adrian
Darmon
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