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Avoir une santé de fer pour un vieux ne l'empêchera pas de finir rouillé tôt ou tard
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Judaica
HISTOIRE DE LA SPOLIATION DES COLLECTIONS D'ART PAR LES NAZIS par Adrian Darmon
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Cet article se compose de 24 pages.
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Dès leur arrivée au pouvoir en 1933, les nazis avaient élaboré des plans pour mettre la main sur les collections d'art appartenant à des Juifs en Allemagne et même ailleurs puisque leur intention était de créer une Europe nouvelle lorsque les conditions s'y prêteraient. En publiant «Mein Kampf» une dizaine d'années auparavant, Hitler avait clairement fait état de ses intentions au sujet des Juifs et de la politique qu'il entendait mener en vue de créer un «Reich de mille ans». En parvenant au pouvoir, il pouvait dès lors pleinement mettre en pratique ses idées surtout que l'antisémitisme ambiant en Allemagne était à son point culminant d'autant plus que les Allemands avaient eu à faire face à une terrible crise économique durant plusieurs années. Le discours de Hitler en faveur du redressement allemand et de l'effacement de la honte de la défaite de 1918 trouva donc un large écho auprès d'une population désireuse de retrouver la prospérité et prête à se lancer avec ferveur dans la reconstruction du pays. Il y eut ainsi peu d'esprits lucides qui eurent le cran de contester le programme totalitaire des nazis. Ce fut le 30 janvier 1933 que Adolf Hitler fut nommé chancelier du Reich par le président Hindenburg. Le 5 mars, le Parti National-Social Ouvrier Allemand (NSDAP) obtint 44% des voix aux élections du Reichstag alors que le mois suivant des expositions contre l'art moderne furent organisées dans plusieurs villes allemandes, Hitler ayant déjà clairement défini ses critères en matière d'art.
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Dès leur arrivée au pouvoir en 1933, les nazis avaient élaboré des plans pour mettre la main sur les collections d'art appartenant à des Juifs en Allemagne et même ailleurs puisque leur intention était de créer une Europe nouvelle lorsque les conditions s'y prêteraient. En publiant «Mein Kampf» une dizaine d'années auparavant, Hitler avait clairement fait état de ses intentions au sujet des Juifs et de la politique qu'il entendait mener en vue de créer un «Reich de mille ans». En parvenant au pouvoir, il pouvait dès lors pleinement mettre en pratique ses idées surtout que l'antisémitisme ambiant en Allemagne était à son point culminant d'autant plus que les Allemands avaient eu à faire face à une terrible crise économique durant plusieurs années. Le discours de Hitler en faveur du redressement allemand et de l'effacement de la honte de la défaite de 1918 trouva donc un large écho auprès d'une population désireuse de retrouver la prospérité et prête à se lancer avec ferveur dans la reconstruction du pays. Il y eut ainsi peu d'esprits lucides qui eurent le cran de contester le programme totalitaire des nazis. Ce fut le 30 janvier 1933 que Adolf Hitler fut nommé chancelier du Reich par le président Hindenburg. Le 5 mars, le Parti National-Social Ouvrier Allemand (NSDAP) obtint 44% des voix aux élections du Reichstag alors que le mois suivant des expositions contre l'art moderne furent organisées dans plusieurs villes allemandes, Hitler ayant déjà clairement défini ses critères en matière d'art.
Une fois parvenu au pouvoir, il ne perdit pas de temps pour appliquer un programme de terreur qui prévoyait d'abord la mise à l'écart des Juifs. Le 1er avril 1933, les nazis organisèrent une journée nationale de boycott des magasins juifs et entreprirent d'éliminer les Juifs de l'administration, du barreau et de nombreuses professions, notamment à caractère culturel. Le plan hitlérien de l'éradication des Juifs en était à ses prémices mais les personnes concernées eurent du mal à imaginer l'envergure qu'il allait prendre. Une minorité se décida cependant à quitter l'Allemagne alors que le 10 mai, les nazis organisèrent le premier autodafé de livres censurés à Berlin. Le 10 septembre 1935, lors du congrès du parti nazi à Nuremberg, Hitler prononça une violente diatribe contre l'art moderne. Cinq jours plus tard, les nazis appliquèrent les Lois de Nuremberg stipulant la perte des droits civiques pour les Juifs et interdisant tout mariage ou relation sexuelle entre Juifs et Aryens. A partir de cet instant, de nombreux Juifs se rendirent enfin compte des menaces qui pesaient sur eux et se décidèrent à fuir à l'étranger mais ceux qui étaient allemands depuis plusieurs générations, notamment le peintre Max Liebermann, qui mourut en 1935, ne comprirent pas encore la portée des lois votés contre eux.
En France, l'administration des musées avait dès 1936 mis au point un plan de protection des œuvres d'art en cas de guerre avec l'Allemagne et l'année suivante, elle avait dressé une liste des œuvres importantes conservées dans des musées parisiens et provinciaux avant de les mettre à l'abri dans des églises et abbayes de plusieurs départements qui devaient servir de dépôts en cas de conflit armé. Les menaces de Hitler étaient donc prises au sérieux par le gouvernement français mais l'opinion publique, confrontée au cauchemar du dernier conflit, désirait la paix avant tout. Les nazis organisèrent du 19 juillet au 30 novembre 1937 l'exposition «Entarte Kunst» (Art Dégénéré) à Munich, en présentant notamment des œuvres d'art moderne confisquées comme des expressions de la dégénérescence judéo-bolchevique de l'Allemagne. Dans le même temps, les musées allemands furent vidés de toutes les œuvres jugées litigieuses. En mars 1938, les musées étaient «purifiés» après l'enlèvement de près de 16 000 œuvres considérées comme «dégénérées». Quelques milliers de Juifs seulement cherchèrent refuge dans des pays voisins de l'Allemagne, notamment la France, alors que ceux qui préférèrent se rendre en Palestine ou aux Etats-Unis furent bien moins nombreux. Le 12 mars 1938, les Allemands entrèrent en Autriche qui fut déclarée unie au Reich puis le 26 avril, les nazis firent publier un décret obligeant les Juifs à déclarer tout ce qu'ils possédaient et ce, afin de les exproprier. Les Juifs allemands ou autrichiens n'eurent devant eux que quelques mois pour se décider à fuir mais ce furent en général les mieux nantis qui le firent. En mai 1938, une commission fut créée en Allemagne pour l'exploitation des œuvres d'art «dégénéré» qui avaient été confisquées. Alfred Rosenberg, Adolf Ziegler, Heinrich Hoffmann, Karl Haberstock et Robert Scholz en devinrent ses responsables. Une salle de vente fut ouverte au château de Niederschonhausen près de Berlin alors que quatre marchands réputés, Karl Buchholz, Bernhard Boehmer, Hildebrand Gurlitt et Ferdinand Möller, furent chargés de commercialiser ces œuvres après les avoir achetées en devises à des prix intéressants. Les Allemands furent toutefois autorisés à acquérir ces œuvres contre des devises ou en échange d'œuvres qui pouvaient intéresser Hitler et les nazis. Le mois suivant, un décret stipula que l'Etat allemand ne devait payer aucune indemnité pour les œuvres d'art «dégénéré» qui avaient été saisies. Le 14 juin 1938, le ministre de l'Intérieur Frick entérina «l'aryanisation» des biens juifs en confirmant le transfert à l'Etat de la propriété des entreprises juives, celui-ci ayant la faculté de pouvoir les revendre à des citoyens allemands.
Dès le 27 septembre 1938, la France organisa le départ du premier convoi de chefs d'œuvre du musée du Louvre pour le château de Chambord mais à la suite des Accords de Munich signés le 30 du même mois, ce transfert fut interrompu. Ces accords avaient été arrachés par Daladier, président du Conseil, qui fut étonné de retrouver des foules en liesse à son retour mais savait que la France serait tôt ou tard obligée d'entrer en guerre contre l'Allemagne. Néanmoins, le gouvernement n'intensifia pas ses efforts pour moderniser son armée alors que Paris vivait ses derniers mois de liberté. Les nazis organisèrent la «Nuit de Cristal» les 9 et 10 novembre 1938 à travers toute l'Allemagne, brûlant des maisons, des synagogues et des commerces juifs alors que 30 000 juifs furent arrêtés et internés dans les camps de Dachau et de Buchenwald. Cette répression marqua les esprits à l'étranger mais aucun gouvernement n'adressa de mise en garde sérieuse à Berlin. Le 15 mars 1939, l'Allemagne envahit la Tchécoslovaquie en prenant pour prétexte la situation précaire des Allemands vivant dans les Sudètes. Alors que la menace d'une guerre approchait à grands pas, les nazis organisèrent cinq jours plus tard un autodafé d'environ 5000 œuvres d'art «dégénéré». Le 6 juin 1939, Hitler nomma le Docteur Hans Posse, directeur du musée de Dresde, comme l'unique responsable des acquisitions via des achats ou des saisies du futur musée de Linz qui, selon l'ambition du chancelier allemand, était destiné à accueillir la plus grande collection d'art germanique ainsi que des chefs d'œuvres d'art étranger. Le 30 juin, la galerie Fischer organisa à Lucerne une vente de 126 œuvres d'art «dégénéré» au profit des musées allemands alors que le 24 juillet, Martin Bormann, secrétaire particulier de Hitler, informa le Reichkommissar Buerckel et d'autres officiels que les collections saisies dans les territoires qui venaient d'être conquis devaient être conservées intactes afin de permettre au chancelier ou à Posse de faire leur choix pour le musée de Linz. L'ambition des nazis était alors nettement affichée de se comporter en conquérants dans les pays envahis et de ramener des trésors artistiques comme trophées de guerre à Berlin. Le 23 août, malgré la longue campagne menée par les nazis contre les bolcheviques, Les Allemands signèrent à Moscou un pacte de non-agression germano-soviétique. Deux jours plus tard, alors que la guerre menaçait plus que jamais, les musées de Paris fermèrent leurs portes. 37 convois emportèrent entre le 27 août et le 28 décembre une grande partie des collections nationales de Paris vers seize châteaux, dont celui de Chambord. Certaines collections de particuliers juifs, confiées aux musées nationaux, furent aussi envoyées à Chambord, à Brissac et à Sourches par la même occasion.
UNE GUERRE ACCOMPAGNEE IMMEDIATEMENT DE PILLAGES Le 1er septembre 1939, les troupes allemandes envahirent la Pologne et le 3, la France et la Grande-Bretagne déclarèrent la guerre à l'Allemagne. Toutefois, durant plusieurs mois, l'armée française se contenta de rester sur la défensive le long de ses frontières avec l'Allemagne en laissant ainsi le temps à Hitler de mettre au point ses préparatifs pour une offensive brutale laquelle eut lieu le 10 mai 1940 avec l'invasion des Pays-Bas, de la Belgique et du Luxembourg. Cinq jours plus tard, le front français était percé du côté de Sedan et les troupes françaises et britanniques étaient en pleine débandade face à l'avancée des tanks allemands. Sur les routes, des milliers de personnes se mirent à fuir les combats tandis que l'armée anglaise tentait de retraverser la Manche à partir de la poche de Dunkerque laissant derrière elle des milliers de prisonniers. Face à la menace d'une invasion de Paris, les autorités françaises firent évacuer d'autres œuvres d'art de l'autre côté de la Loire et vers d'autres lieux. Le 10 juin, le gouvernement décida de quitter Paris qui vit l'entrée des troupes allemandes quatre jours plus tard. Le 17, le maréchal Pétain devint chef du gouvernement français alors que le lendemain le général de Gaulle, qui avait quitté Bordeaux pour Londres à bord d'un avion de la RAF, appelait les Français à la Résistance. Le 22 juin, les autorités françaises et allemandes signèrent l'Armistice de Rethondes et deux jours plus tard, le général Keitel, chef du haut-commandement de la Wehrmacht adressait une lettre au contre-amiral Lorey, directeur du musée militaire de Berlin, lui ordonnant de prendre les mesures nécessaires pour le retour immédiat des trophées de guerre d'origine allemande se trouvant à Paris. Le 30, Hitler signait un ordre établissant la mise en sécurité des objets appartenant à l'Etat français ou à des particuliers, notamment des Juifs, Otto Abetz, ambassadeur du Reich à Paris, se voyant être investi de cette responsabilité par von Ribbentrop, ministre allemand des Affaires étrangères. Le 1er juillet 1940, Otto Abetz ordonna au commandant militaire de Paris la saisie des collections françaises des musées de Paris et de province, ainsi que le recensement et la saisie des œuvres d'art possédées par les Juifs dans les territoires occupés. Les objets précieux devaient être transférés à Paris, à l'ambassade d'Allemagne. Concernant les collections publiques, les Allemands se contentèrent d'une main-mise administrative sur les dépôts. En moins de quinze jours, un plan mûri de longue date qui prévoyait le pillage de trésors artistiques en France fut donc mis en œuvre à une grande échelle.
Poursuivant son excès de zèle, Abetz adressa le 4 juillet à la Gestapo la liste des quinze principaux marchands d'art Juifs de Paris, chez qui il requit une perquisition d'urgence de la police avec saisie des œuvres qu'ils détenaient. Parmi ces marchands visés figuraient Seligmann, Wildenstein, Alphonse Kann, qui avait fui à Londres, Paul Rosenberg et Bernheim-Jeune. Pris de court, la plupart de ces marchands n'avaient pas eu le temps de mettre leurs collections à l'abri. Le 10 juillet 1940, le maréchal Pétain reçut les pleins pouvoirs de l'Assemblée Nationale installée à Vichy alors que le 15, une ordonnance allemande notifiait aux Français des territoires occupés l'obligation de déclarer à la Kommandantur compétence tous les objets transportables de valeur supérieure à 100 000 FF. Une deuxième ordonnance, publiée le 30 juillet, fit état de l'interdiction de tout déplacement, modification ou aliénation des objets d'art sans autorisation préalable. Cet ordre est interprété par le comte Metternich, chef du Kunstschutz, comme une obligation de conserver intactes jusqu'aux négociations de paix la totalité des collections françaises. Abetz se montra hostile à cette interprétation mais Metternich obtiendra cependant un arrêté rétablissant la situation en faveur du Kunstschutz et autorisant seulement les délégués de l'ambassade ou du ministère des Affaires étrangères à étudier les inventaires, ce qui signifiait que tout transfert d'œuvres d'art leur était formellement interdit. On constate que dès le début de la guerre, les Allemands eurent pour souci de vouloir saisir ou de contrôler d'énormes quantités d'objets d'art dans les territoires occupés afin d'alimenter le réservoir du musée de Linz et que ceux-ci avaient préparé de longue date un plan d'intervention dans ce sens. Le 23 juillet, le gouvernement de Vichy vota une loi établissant la déchéance de la nationalité française pour les citoyens ayant quitté la France. A la fin du mois de juillet, l'Einsatzstab Reichsleiters Rosenberg (E.R.R), un service dirigé par le théoricien du régime nazi Alfred Rosenberg, qui était à l'origine chargé des opérations de saisies des bibliothèques et des archives, s'installa à Paris pour mener la «lutte contre le judaïsme et la franc-maçonnerie». Dès septembre 1940, il devint le service officiel de confiscation des biens juifs et francs-maçons en Europe occupée. Les opérations de l'E.R.R en France devaient être dirigées par le baron Kurt von Behr.
En août 1940, Joseph Goebbels demanda au docteur Kümmel, directeur-général des Musées nationaux du Reich, de dresser une liste des œuvres d'art et objets précieux d'origine allemande se trouvant dans les pays occupés afin de les récupérer ou, en cas de disparition, d'obtenir une compensation par l'octroi d'autres œuvres. Les 6 et 7 août, l'Alsace et la Lorraine furent annexées à l'Allemagne et les biens des Juifs et des francs-maçons furent aussitôt transférés aux organisations nazies. Le 16 août 1940, Abetz adressa une lettre au maréchal von Brauchitsch proposant à ce dernier un projet de réglementation pour la saisie des objets d'art publics, privés et surtout «juifs». L'opération fut confiée au baron von Künstberg alors que le Kunstschutz chapeauté par le comte Metternich devait se limiter à prêter une assistance technique au service de von Künstberg qui devait établir les listes et les transmettre à Abetz. Ce dernier et le Führer devaient alors décider si les objets devaient être ou non transférés en Allemagne. D'autre part, une caisse spéciale devait être créée pour les sommes provenant de ces objets afin de constituer un acompte pour les réparations de guerre. Dès le 31 août, Abetz adressa à Berlin une documentation complète sur les tableaux des collections publiques confisquées en zone occupée et fit parvenir au ministère des Affaires étrangères du Reich une liste des trente tableaux les plus précieux trouvés dans les hôtels particuliers israélites de Paris. Le pillage orchestré par les nazis ne connut ensuite plus de répit. Le 8 septembre 1940, l'état-major de la Wehrmacht imposa des commissaires-gérants aux entreprises juives que leurs propriétaires avaient quittées. Deux jours plus tard, le gouvernement de Vichy décida que des administrateurs provisoires prendraient en charge les entreprises et les immeubles dont les dirigeants ne pouvaient exercer leurs fonctions. On constate ici avec quelle rapidité les autorités de Vichy s'empressèrent de satisfaire aux exigences allemandes. Le 13 septembre, le tribunal des Hautes-Pyrénées ordonna de mettre sous séquestre et de liquider les biens du baron Maurice de Rothschild trouvés à Argelès-Gazost. Recourant au droit de préemption, les musées se firent attribuer les œuvres d'art saisies. Là encore, les autorités de Vichy ne se privèrent pas d'aller au-delà des intentions initiales des Allemands en participant au pillage de biens appartenant à des Juifs avant même l'adoption par l'Etat français d'un statut spécial les concernant.
Le 17 septembre, Hitler donna l'ordre à la Wehrmacht d'accorder toute l'aide possible à l'E.R.R en précisant que Rosenberg était autorisé à transférer en Allemagne les biens culturels qui lui semblaient précieux et à les sauvegarder dans ce pays. Hitler décréta également que les cessions faites après le 1er septembre 1939 à l'Etat français ou à des particuliers devenaient inopérantes et illégales. Le 26 septembre, les responsables de l'Hôtel Drouot à Paris demandèrent l'autorisation de reprendre leur activité de vente aux enchères. Elle fut accordée par le docteur Bunjes du Kunstschutz, à condition de lui adresser tous les catalogues et de signaler les œuvres évaluées à plus de 100 000 FF ainsi que les noms et adresses de leurs acheteurs. A partir de là, le marché officiel d'œuvres d'art se développa en même temps que le marché noir, auquel participèrent aussi bien des Français que des étrangers. Là encore, on note une coupable absence de scrupules de la part de nombreux professionnels du marché de l'art et surtout des commissaires-priseurs de l'époque qui n'eurent apparemment pour seul souci que de s'enrichir en vendant des biens saisis d'une façon contestable. Le lendemain, les Allemands promulguèrent une ordonnance au sujet des Juifs qui devaient être désormais recensés et désignés par la mention «Juif» apposée sur leurs cartes d'identité. Il fut interdit aux Juifs qui avaient fui la zone occupée d'y revenir. Dès lors, la nasse se referma sur les Juifs et plutôt rapidement car les autorités de Vichy se chargèrent avec zèle du recensement en se servant simplement de leurs archives, permettant ainsi aux Allemands d'appliquer au plus vite leurs mesures.
Par ailleurs, le conseil des ministres de Vichy décida d'adopter le 3 octobre un «statut des Juifs», excluant par la même occasion ces derniers des principales fonctions publiques et culturelles. Au début du mois d'octobre, l'E.R.R alla saisir la bibliothèque Tourgueniev, créée à Paris par des réfugiés russes. Cette collection comprenant plus de 100 000 volumes fut envoyée à Berlin puis apparemment à Prague où les nazis désiraient fonder un « centre d'études slaves». cette collection fut saisie à la fin de la guerre par l'Armée Rouge et envoyée à Moscou. Le 5 octobre, une loi fut votée confiant au gouvernement français la gestion et, le cas échéant, la liquidation des biens mis sous séquestre de tous les émigrés. Le 8, le chef de l'administration militaire allemande donna l'ordre d'enlever de l'ambassade d'Allemagne à Paris les objets d'art saisis par Abetz et de les transporter au musée du Louvre. Le 28, le docteur Turner fit saisir par la Feldpolizei deux cents caisses d'œuvres confisquées mises en dépôts par l'ambassade dans les locaux de la firme de transports Schenker, en vue de leur expédition en Allemagne. Le 30, plus de 400 caisses d'œuvres saisies, accumulées au Louvre ou se trouvant encore à l'ambassade d'Allemagne, furent transférées au jeu de Paume qui devint le principal lieu de rassemblement des œuvres saisies par l'E.R.R. Peu de fonctionnaires français eurent le cran de tenter de s'opposer à cette décision.
Rose Valland, responsable technique du Jeu de Paume, seule française spécialiste du domaine de l'art autorisée à fréquenter les locaux, eut néanmoins l'idée de recueillir tous les renseignements possibles concernant les œuvres saisies et de les communiquer au fur et à mesure à la direction des Musées nationaux. Les œuvres d'art «dégénéré» furent quant à elles reléguées dans les salles du fond du Jeu de Paume et furent utilisées par les Allemands dans des opérations d'échanges avec des œuvres anciennes destinées à l'Allemagne. Le 31 octobre, la direction des Musées nationaux parvint néanmoins à obtenir de l'E.R.R un accord pour l'établissement d'un inventaire contradictoire des œuvres rassemblées au Jeu de Paume, dressé par des représentants français et allemands mais cet inventaire fut annulé sur ordre des Allemands le lendemain. Cette annulation fut la cause après la guerre des difficultés d'identification des œuvres saisies. Toutefois, l'E.R.R sembla avoir scrupuleusement dressé des listes des objets d'art saisis lesquelles furent utiles aux Alliés dans les opérations de récupération en 1945. A la fin du mois d'octobre, le gouvernement de Vichy protesta contre les initiatives de l'ambassadeur Abetz concernant les saisies de biens privés, ce à quoi les autorités allemandes répondirent que les biens des personnes ayant quitté le territoire français ne concernaient pas le gouvernement français puisque celui-ci les avait considérées comme n'étant plus des citoyens français. En fait, Vichy était bien aux ordres de Berlin et ne fit rien pour freiner le pillage allemand. Le 2 novembre 1940, Jacques Jaujard, directeur des Musées nationaux, adressa une lettre au secrétaire général de l'Industrie et du Commerce intérieur, chargé des affaires de séquestre. Se référant à la loi du 10 septembre concernant l'administration des entreprises et immeubles dont les dirigeants ne pouvaient plus exercer leurs fonctions, Jaujard essaya d'assurer la protection des collections des Juifs non déchus de la nationalité française via la nomination d'administrateurs provisoires pour ces collections mais en pure perte. Le 3 novembre, le Maréchal Goering effectua sa première visite au Jeu de Paume et se permit de choisir 27 œuvres saisies pour sa collection. Il revint au Jeu de Paume à plusieurs reprises et signa une ordonnance le 5 par laquelle il donnait sa protection à l'activité de l'E.R.R et établissait le programme d'utilisation des collections juives saisies au profit du Führer et du sien. Amateur d'art, notamment de tableaux de maîtres anciens, Goering ambitionnait de réunir des chefs d'œuvre pour son propre compte, indépendamment de ceux choisis pour le musée de Hitler à Linz.
Le 18 novembre, Hitler adressa un ordre au chef de la Wehrmacht et à plusieurs administrateurs civils d'occupation, stipulant qu'il se réservait toute décision sur les objets d'art confisqués par les Allemands en territoire occupé. Les œuvres choisies étaient destinées à la Mission spéciale de Linz mais cet ordre ne fut pas exécuté de façon rigoureuse, Hitler préférant plutôt se limiter à des opérations commerciales souvent suscitées par ces saisies. Il autorisa toutefois les experts de Linz à compléter leurs achats, en choisissant parmi les œuvres confisquées celles qu'ils estimaient adaptées au projet qu'il avait conçu. En décembre, en remerciement de la neutralité affichée par le général Franco, Pétain offrit à ce dernier des chefs d'œuvre espagnols des collections françaises mais l'administration des Musées nationaux parvint à transformer ce cadeau en échange d'œuvres avec les collections espagnoles. Le 4 du même mois, le gouvernement de Vichy institua la Société de contrôle des administrateurs provisoires, organisation appelée à gérer «l'aryanisation» des entreprises juives en zone occupée. Dix jours plus tard, les autorités de Vichy demandaient une intervention auprès de l'autorité supérieure allemande pour que celle-ci permette à l'administration des Domaines chargée de la gestion des patrimoines séquestrés l'accomplissement de sa mission. Ainsi, six mois après la défaite, les autorités de Vichy s'étaient lancées à fond dans la main-mise des biens juifs en satisfaisant du même coup les Allemands bien au-delà de leurs demandes. Le 31 décembre 1940, Hitler autorisa la sortie de France d'œuvres saisies par l'E.R.R qui poursuivit ses opérations en saisissant dans les mois qui suivirent de nombreuses collections, notamment celles de la famille Rothschild, de Jacques Stern, d'Alfred Lindon ou d'Alphonse Kann. En février, succédant à Laval, l'amiral Darlan devint vice-président du conseil et successeur désigné du maréchal Pétain. Le 8 du même mois, sur ordre de Goering, des œuvres d'art appartenant aux collections juives saisies et destinées à Hitler et à Goering lui-même, partirent pour l'Allemagne. Plusieurs transferts de biens saisis eurent ainsi lieu jusqu'à la fin de l'occupation. On compta qu'entre avril 1941 et juillet 1944, 4174 caisses contenant plus de 20 000 lots quittèrent la France. Durant cette période, Rose Valland parvint néanmoins à recenser une grande partie des œuvres qui transitèrent par le Jeu de Paume mais personne ne tenta à cette époque d'empêcher le départ des convois vers l'Allemagne. En mars, l'E.R.R procéda à un premier échange d'œuvres d'art «dégénéré» saisies et rassemblées au Jeu de Paume avec des tableaux anciens provenant du marché, certains d'entre eux, saisis à des Juifs, étant passés en vente à Drouot.
Le 29 mars, les autorités de Vichy créèrent un Commissariat général aux Questions juives qui essaya alors en vain de récupérer pour son compte les œuvres confisquées aux Juifs français par les nazis. D'un autre côté, le commissariat ne manqua pas de répondre aux visées allemandes en menant intensivement une chasse contre les Juifs vivant en France. Le 10 avril, un arrêté fut publié établissant la constitution du Comité supérieur des Séquestres et Liquidations à la direction des Domaines. Il visait à garder en France des œuvres et des objets d'art saisis en s'appuyant sur la loi du 5 octobre 1940 et sur le droit de préemption reconnus aux Musées depuis le 31 décembre 1921 tandis que la direction des Musées de France informait dans le même temps Fernand de Brinon, délégué-général du gouvernement français dans les territoires occupés du danger de saisie des collections juives confiées aux Musées nationaux. En pure perte, car le lendemain, les collections David-Weill, confiées justement aux Musées nationaux, furent saisies au château de Sourches dans la Sarthe par l'E.R.R qui bénéficiait d'informations fournies par des indicateurs français. Le 21 avril, M. Jaujard eut néanmoins le courage d'adresser une lettre au Secrétaire-général des Beaux-Arts l'accusant de son silence au sujet de la saisie des collections juives confiées à l'administration française. Le 24 avril, L'amiral Darlan donna l'ordre au secrétaire général des Beaux-Arts de retirer la Diane au bain de Boucher de son dépôt et de la renvoyer au Louvre. Désiré par von Ribbentrop, le tableau sera l'objet d'une négociation visant à un échange avec d'autres œuvres mais devant l'impossibilité de fournir les Watteau des Musées de Berlin et de Dresde réclamées par les Français, Ribbentrop renonça à réclamer ce tableau le 1er août 1941. Il fut procédé à une première vague d'arrestations massives de Juifs étrangers à Paris le 14 mai 1941 mais personne ne la dénonça ouvertement. Le 2 juin, un nouveau statut des Juifs fut institué par le gouvernement de Vichy lequel élargissait la liste des emplois interdits et étendait le recensement des Juifs à l'ensemble de la France. Cette initiative devait permettre par la suite des rafles à grande échelle menées avec l'aide de la police française. Le 10 juin, l'amiral Darlan adressa une lettre de protestation officielle à Fernand de Brinon, délégué général du gouvernement français dans les territoires occupés, sur les saisies allemandes de collections d'art de Juifs ayant perdu la nationalité française, et des collections juives confiées à l'administration française. Son courrier resta néanmoins lettre morte.
Le 23 juin, dans une tentative visant à protéger le patrimoine du pays, Vichy promulgua une loi sur l'exportation des oeuvres d'art déclarant obligatoire l'autorisation du secrétaire d'État à l'Éducation nationale et à la Jeunesse pour l'exportation d'objets ayant un intérêt national d'histoire ou d'art. Ces dispositions furent applicables aux oeuvres antérieures au 1er janvier 1900 et ne concernaient pas les artistes vivants. Sur les objets proposés à l'exportation, l'État se réservait le droit de préemption. Cette réglementation ne pouvait néanmoins pas s'appliquer aux sorties d'œuvres organisées par l'E.R.R.. Elle resta d'ailleurs en vigueur après la guerre. Le 26 juin, le directeur des Domaines envoya une lettre de protestation à de Brinon pour la saisie des œuvres de la collection David-Weill, "biens privés sous séquestre". La lettre rappelait la convention internationale de La Haye (1907) garantissant les possessions personnelles. Les autorités de Vichy se rendirent compte un peu tard de leur laxisme vis-à-vis du programme de pillage allemand qui commençait à battre son plein. Le 7 juillet, des collections juives, notamment celles de Jacobson, Leven, Roger Lévy ou Reichenbach, confiées aux Musées nationaux, furent enlevées par l'E.R.R. du château de Chambord et amenées au Jeu de Paume. L'E.R.R bénéficia de plus en plus de l'aide de collaborateurs français, dont certains, issus du milieu du grand banditisme, étaient protégés par la Gestapo. Au milieu du mois de juillet, Un premier échange officiel d'œuvres confisquées fut organisé par l'E.R.R. en Suisse. Vingt-deux tableaux impressionnistes provenant du Jeu de Paume et déposés à Neuschwanstein, furent ainsi échangés en faveur de Goering, contre six œuvres anciennes de la galerie Fischer de Lucerne. Après l'accord établi à Berlin, les œuvres entrèrent en octobre en Suisse, accompagnées des documents officiels. Après cet échange et jusqu'à la fin de 1943, l'E.R.R. conclut en Suisse au moins vingt-huit échanges ou trocs officiels sans que Vichy put avoir son mot à dire. Le 22 juillet, le Commissariat général aux Questions juives reçut le droit de nommer des administrateurs provisoires pour les entreprises appartenant aux Juifs. Ces administrateurs pouvaient procéder à la liquidation des biens au profit d'acquéreurs aryens. Les Juifs vivant en France devinrent de plus isolés et exposés à des rafles. L'intervention du 10 juin ayant échoué, le Commissariat général aux Affaires juives adressa le 25 juillet une note de protestation à propos des saisies par les nazis de collections appartenant à des Juifs au Docteur Best, directeur des services administratifs du commandement militaire allemand en France.
Le 11 août, suite à la demande des directeurs des Domaines et des Musées nationaux, l'amiral Darlan adressa une lettre, hors des circuits diplomatiques habituels, au commandant militaire en pays occupé, le général von Stulpnagel, pour faire cesser la prévarication des biens juifs. Ces demandes semblèrent faites plus pour se donner bonne conscience qu'autre chose. Durant la deuxième quinzaine d'août, les saisies de collections juives confiées au Musées nationaux se poursuivirent. Les collections Kapferer, Erlanger, Raymond Hesse, Simon Lévy, Léonce Bernheim furent notamment enlevées du château de Brissac.Le 20 août, une deuxième rafle des Juifs étrangers eut lieu à Paris qui se solda par quatre mille arrestations. Le 5 septembre, l'exposition «Le Juif et la France» s'ouvrit au Palais Berlitz à Paris avec le plein consentement des autorités de Vichy. Elle accueillit des milliers de visiteurs qui se laissèrent pour la plupart abuser par la vile propagande orchestrée par les nazis au sujet des Juifs et eut pour effet de préparer le terrain pour des rafles plus conséquentes. Le 3 novembre, les Allemands affichèrent enfin leur position concernant la saisie des collections juives dans un texte adressé par l'adjoint de Rosenberg, Gerhardt Utikal, au général Reinecke, chef du service de l'Administration générale de l'Armée à Berlin. Selon ce texte, les Allemands, en conquérant la France, l'avaient libérée de l'influence de la "juiverie internationale". L'armistice avec le peuple français n'était pas valable pour les Juifs, considérés comme ennemis du Reich. Et puisqu'en France, la plupart des Juifs étaient à l'origine venus d'Allemagne, il fallait considérer la "sauvegarde" de leurs oeuvres comme "une faible indemnité" pour les sacrifices consentis par le Reich dans la lutte contre "la juiverie" dont bénéficiait l'Europe. Cela signifiait entre les lignes que les Allemands entendaient éradiquer toute présence juive en France et ailleurs et que le sort de la communauté juive, forte de plus de 200 000 âmes, était scellé. Dans un mémorandum adressé le 18 décembre 1941 à Hitler, Alfred Rosenberg demanda au Führer son approbation pour la saisie, dans les territoires occupés, de tout le mobilier appartenant à des Juifs émigrés ou en train d'émigrer, afin de fournir en mobilier l'administration de l'Est. Hitler accepta la proposition et confia à Rosenberg les pleins pouvoirs pour cette action. Cela signifiait encore que les Juifs français, dépouillés de tous leurs biens, allaient être privés des moyens normaux d'existence pour être pratiquement jetés à la rue et livrés en pâture aux nazis.
A la fin de l'année 1941, convoqué par Goebbels à Berlin, le comte Metternich, chef du Kunstschutz, obtint que les revendications allemandes d'œuvres d'art, adressées à la France sur la base du "rapport Kümmel", ne devaient être présentées qu'au moment du traité de paix, ce qui signifiait qu'il n'y aurait auparavant pas de transfert d'œuvres d'art des collections nationales françaises revendiquées par les Allemands. Le 20 janvier 1942, Hitler organisa la conférence de Wannsee, près de Berlin au cours de laquelle la "solution finale du problème juif en Europe" fut décidée. Les Allemands avaient songé tout d'abord à la déportation des Juifs vers des régions comme l'Ouganda ou Madagascar mais avaient commencé à massacrer ceux-ci en Pologne et dans d'autres pays de l'Est qu'ils avaient occupés. Des milliers de Juifs avaient été exécutés à la mitrailleuse ou brûlés vifs dans des synagogues ou des maisons mais les nazis trouvèrent progressivement des solutions plus radicales, notamment en gazant des milliers de personnes entassées dans des camions dont les fourgons étaient reliés aux tuyaux d'échappement. Eichmann et d'autres dignitaires nazis eurent alors l'idée d'installer des chambre à gaz dans des camps de concentration qui pouvaient dès leur arrivée, permettre l'élimination de milliers de Juifs jugés inaptes aux travaux forcés. Durant toute l'année 1942, les Allemands s'employèrent à piller les collections appartenant à des Juifs dans les pays occupés ainsi que les collections publiques de ces derniers. Venus aux portes de Saint-Pétersbourg, ils vidèrent les palais impériaux alentour et démontèrent notamment la célèbre chambre d'ambre de la magnifique résidence du Tsar Pierre 1er qu'on ne retrouva pas après la guerre. Le 10 mars, Rose Valland produisit un rapport donnant la liste des œuvres d'art moderne présentes à cette date au Jeu de Paume, en précisant la collection d'origine. Ce rapport eut par la suite une grande utilité dans les opérations de récupération d'œuvres volées menées après la guerre. En avril 1942, L'E.R.R. eut recours pour la première fois à la valise diplomatique pour faire entrer en Suisse des œuvres saisies destinées à des échanges. L'envoi comprenait notamment vingt-cinq tableaux impressionnistes (dont vingt-quatre provenant de la collection Paul Rosenberg), échangés par Goering contre des œuvres et des tapisseries anciennes du marchand allemand Hans Wendland. Le 7 avril, une ordonnance allemande fut adressée aux chefs de sections administratives d'occupation leur commandant de ne répondre que verbalement aux demandes d'explications sur les saisies et de les justifier comme des "mesures punitives".
UNE COLLABORATION DE PLUS EN PLUS ETROITE Le 18 avril, partisan d'une collaboration étroite avec les Allemands, Laval, chef du gouvernement et ministre de l'Intérieur et des Affaires étrangères, constitua son nouveau ministère. Abel Bonnard devint ministre de l'Éducation nationale. Au début du mois de mai, deux services, dépendant de Rosenberg, furent constitués pour procéder à la spoliation des biens mobiliers juifs dans les territoires occupés en Europe de l'ouest : la M-aktion ("Möbel aktion", c'est-à-dire "Plan Meuble"), qui centralisait administrativement toutes les opérations et recevait ses ordres directement de Berlin et la Dienststelle Westen, qui s'occupait des objets de valeur artistique, se confondant avec l'E.R.R.. Le rapport de von Behr sur la M-aktion (qu'il dirigea à Paris jusqu'au 31 juillet 1944) indiqua que soixante-neuf mille six cent dix-neuf (69 619) logements juifs, dont trente-huit mille à Paris, avaient été vidés de tous objets usuels ou ornementaux. A n'en pas douter, les spoliations opérées représentaient une phase précédant l'arrestation et la déportation des Juifs de France. Le 6 mai, Louis Darquier de Pellepoix était nommé commissaire général aux Questions juives. Celui-ci, plus zélé que ses prédécesseurs, allait permettre d'accélérer les mesures prises contre les Juifs. Le 15 mai eut lieu l'ouverture de la rétrospective du sculpteur nazi Arno Breker, artiste préféré de Hitler, à l'Orangerie des Tuileries à Paris. Le 29 mai, sur décision allemande, les Juifs de la zone occupée ayant plus de 6 ans doivent porter l'étoile jaune. Cette décision, que le gouvernement de Vichy appliqua sans sourciller, permit de resserrer la nasse sur les Juifs dont le sort était déjà décidé par Berlin. A partir de ce mois de mai 1942, les autorités procédèrent à l'évacuation des collections des musées de la région du Nord, de la Normandie et de la Bretagne aux châteaux de Rougère, Baillou et Grand-Lucé. Les Allemands décidèrent le 11 juin de déporter dans les camps de concentration de l'Europe orientale cent mille Juifs habitant en France. Une opération d'envergure fut donc préparée pour les jours à venir. Par ailleurs, dans une lettre adressée le 18 juin à Goering, Alfred Rosenberg annonça à ce dernier la nouvelle dimension de son pouvoir à l'intérieur de l'E.R.R., l'autorisant toutefois à garder son chargé de mission spécial, pour "l'exécution de ses désirs personnels". D'ailleurs, allant contre les intérêts de Goering, Rosenberg affirma dans cette lettre que les œuvres saisies devaient être destinées au N.S.D.A.P.
Dès lors, l'E.R.R envisagea l'établissement d'inventaires des objets d'art saisis, décision qui au demeurant fut utile aux alliés dans leurs opérations visant à récupérer des milliers d'objets et d'œuvres d'art après la guerre. Les 16-17 juillet eut lieu la rafle du Vel' d'Hiv. Treize mille juifs d'origine étrangère furent arrêtés en région parisienne. La police française se chargea de l'opération, démontrant ainsi la complicité plus qu'active du gouvernement de Vichy dans cette opération. Les Juifs arrêtés furent parqués au camp de Drancy, où des milliers de coreligionnaires furent emmenés dans les mois qui suivirent avant d'être envoyés vers les camps de la mort. D'autres furent détenus dans les camps de Pithiviers ou de Beaune-la-Rolande, dans le Loiret. Durant l'été de 1942, les Allemands s'emparèrent du polyptyque de L'Agneau mystique des frères Hubert et Jan Van Eyck, confié, en mai 1940, par la ville de Gand aux Musées nationaux français et mis à l'abri au musée de Pau. En France, l'ordre de remise du polyptyque aux autorités allemandes vint de Laval lui-même. Cette opération provoqua la protestation du Comité des conservateurs des Musées nationaux, qui furent blâmés par le ministre de l'Éducation nationale acquis à la cause des nazis. Le 6 août eut lieu l'ouverture partielle du Musée d'art moderne au Palais de Tokyo. Un tiers de la collection fut ramené des dépôts de la zone occupée et exposé. Le 11 novembre, suite au débarquement des Alliés en Afrique du Nord, les Allemands entrèrent en zone libre française. Neuf jours plus tard, les conservateurs des Musées nationaux, convoqués par leur directeur, se réunirent et au nom du Comité des Musées nationaux adressèrent à Vichy une déclaration souhaitant voir le gouvernement français s'associer officiellement aux autorités belges pour réclamer la restitution du polyptyque de Gand. Le 27 novembre, l'occupation de Toulon par les Allemands conduit la flotte française à se saborder. Durant ce temps, les rafles menées contre les Juifs s'étendirent à toute la France occupée. Ceux qui s'étaient réfugiés à Nice bénéficièrent toutefois d'un certain laxisme affiché par les occupants italiens. Le 8 décembre, le ministre de l'Éducation nationale adressa une lettre au secrétaire général des Beaux-Arts critiquant sévèrement l'initiative des conservateurs relative à l'enlèvement du polyptyque de Gand.
Le 17 décembre, les Allemands proposèrent d'établir un courant d'échanges entre les musées allemands et français. L'opération, soutenue par Goering, visait en fait à l'appropriation de quelques chefs-d'œuvre français. Mais faute d'accord final avec les musées allemands, les échanges ne furent jamais reconnus officiellement par les autorités françaises. Par ailleurs, le 5 janvier 1943, les Alliés signèrent à Londres une déclaration solennelle établissant comme nuls et sans effets tous les transferts de propriété effectués en territoires contrôlés par l'ennemi. Le 7 janvier, suite à la préparation des négociations officielles sur les échanges d'œuvres d'art avec les Musées nationaux, au cours de laquelle Goering obtint le soutien de Laval, le secrétaire général des Beaux-Arts fit connaître la première liste d'œuvres d'art demandées par les dirigeants allemands. La liste fut ensuite réduite à dix œuvres, parmi lesquelles l'Antependium de Bâle et la Madeleine (dite la "Belle Allemande") de Gregor Erhardt, une statuette en bois du XVe siècle. Les autorités françaises acceptèrent en principe les échanges, sauf pour le chef-d'œuvre de Bâle. En mars eut lieu l'évacuation des collections des musées du littoral méditerranéen et de la vallée du Rhône vers les dépôts de Laval, Javon, La Bastie d'Urfé, Saint-Guilhem et Saint-Félix. Le 15 mars, après la mort de Hans Posse, Hitler nomma Hermann Voss, directeur du musée de Wiesbaben, à la direction du projet de Linz. Le 2 avril, une note du ministère de l'Education nationale sur l'échange d'œuvres d'art entre les collections nationales françaises et allemandes souligna que les deux pays ne traitaient pas sur un pied d'égalité et que, par conséquent, il était impossible de négocier sur des œuvres de l'importance de l'Antependium de Bâle. Le 6 avril, Henry Schloss et son épouse furent enlevés par des agents marseillais du Commissariat général aux Questions juives. L'action était commandée par Laval, afin que de localiser la collection de la famille. Deux jours après, Lucien Schloss était arrêté par la police allemande. La collection, constituée d'environ trois cent trente tableaux de maîtres hollandais du XVIIe siècle, était cachée dans un dépôt de la banque Jordaan, au château de Chambon en zone sud. L'intérêt de Hitler et de Goering pour ces œuvres avait poussé Laval à envisager leur vente au profit des caisses de Vichy. L'affaire fut confiée à Darquier de Pellepoix. Ce fut avec l'aide du marchand Jean-François Lefranc, indicateur des Allemands, et dit-on sur les indications d'un galeriste juif qui cherchait à protéger ses intérêts parisiens vis-à-vis des Allemands, que la collection de la famille Schloss fut retrouvée plus tard.
Le 16 avril, la police allemande essaya de transférer la collection Schloss de la zone sud à Paris, mais, à la suite de l'intervention du préfet de Corrèze, la collection fut momentanément déposée à Limoges. Suite à une campagne de dénigrement de l'E.R.R., Rosenberg envoya à Hitler un rapport sur l'organisation et lui offrit, pour son prochain anniversaire survenant le 20 avril, trente-neuf volumes de photographies des chefs-d'œuvre confisqués provenant des collections juives françaises, afin de le convaincre de la validité du travail de l'E.R.R. Dans le rapport, Rosenberg affirmait qu'à l'issue des opérations d'échanges d'œuvres d'"art dégénéré", le reliquat subsistant serait éliminé. Le 21 avril, après réception des volumes de photographies offert par l'E.R.R. à Hitler, Martin Bormann, secrétaire particulier du Führer, demanda par courrier à Alfred Rosenberg le transfert de responsabilité de la totalité de objets d'art confisqués par l'E.R.R. aux experts du musée de Linz. L'ordre, décidé par Hitler, visait à la liquidation de l'E.R.R. en faveur de la Mission spéciale Linz. Rosenberg obtint toutefois le maintien des activités de son organisation, celle-ci étant chargée du catalogage des oeuvres. Du mois d'avril à août 1943, suscitant l'intérêt des Allemands comme du gouvernement de Vichy, la collection Schloss, cachée en zone Sud, fut l'objet de plusieurs tentatives de récupération, menées en allant jusqu'à enlever des membres de la famille. Transférée à Paris, par ordre de Vichy, la collection fut finalement partagée, les Allemands récupérant deux cent soixante deux oeuvres pour le musée de Linz, contre une "indemnisation" promise au Commissariat aux Questions juives. Les Musées nationaux de leur côté utilisèrent leur droit de préemption pour garder en France quarante-neuf oeuvres. Enfin, une part fut réservée au marchand Jean-François Lefranc, agent de Vichy qui avait mené l'affaire.
Le 4 mai, en réaction aux ordres du 21 avril, Alfred Rosenberg envoya une lettre à Martin Bormann pour affirmer le rôle irremplaçable de l'E.R.R. Il soutint notamment la nécessité de faire achever par l'organisation le catalogage des œuvres afin, selon lui, de poursuivre les controverses encore ouvertes avec le gouvernement français. Une prolongation d'activité fut finalement accordée à l'E.R.R. pour terminer ses travaux en France et en Allemagne. Le 27 mai, comme publié en 1961 dans Le Front de l'art, Rose Valland indiqua à cette date la destruction d'environ cinq ou six cents oeuvres d'art moderne (parmi lesquelles des oeuvres de Masson, Miró, Picabia, Valadon, Klee, Ernst, Léger, Picasso, Kisling, La Fresnaye, Marval, Mané-Katz, brûlées par l'E.R.R. dans le jardin intérieur du Jeu de Paume. Elle fut le seul témoin de l'affaire. Il faut noter que le recueil des rapports de l'époque indique pour ces destructions la date du 23 juillet, plus en accord avec le déroulement des événements, tels qu'elle-même les raconte aussi dans son livre.
En juillet, la Roberts Commission (American Commission for the Protection and Salvage of Artistic and Historic Monuments in War Areas) fut créée aux Etats-Unis. La commission désigna des M.F.A.A. Officers (Monuments, Fine Arts and Archives Officers) chargés d'assister sur le terrain les états-majors pour la récupération d'œuvres d'art. DES ŒUVRES INESTIMABLES DETRUITES À la suite d'une réunion à Berlin début juillet, une commission de représentants de l'E.R.R. se réunit au Louvre le 19 juillet pour décider de l'avenir des oeuvres d'art moderne saisies. Les oeuvres ayant un intérêt économique (tableaux de Courbet, des Impressionnistes, de Bonnard, de Vuillard, de Matisse, de Braque, de Dufy, de Marie Laurencin, etc.) furent préservées et apportées au Jeu de Paume, dans la salle dite des "Martyrs". Les autres oeuvres modernes, rassemblées avec les portraits confisqués aux grandes familles juives, furent tailladées ou découpées et ensuite transportées dans le jardin du Jeu de Paume pour être brûlées.
En général, les Allemands n'étaient intéressés que par les œuvres anciennes et se contentaient de se servir d'œuvres d'art «dégénéré» dans des opérations d'échange. Le 10 août, la collection Schloss fut transférée par des camions français de Limoges à Paris. La veille, le préfet avait reçu du secrétaire général auprès du gouvernement Laval l'ordre de laisser partir la collection à Paris. La décision émanait d'Abel Bonnard. La direction des Musées nationaux, faisant valoir son droit de préemption, acheta quarante-neuf chefs-d'œuvre de la collection. Comme signalé plus haut, deux cent soixante-deux œuvres furent achetées par les Allemands pour le musée de Linz, au prix de cinquante millions de francs, destinés à l'administration de Darquier de Pellepoix. Le 17 octobre 1943, en réponse à la demande de l'E.R.R., une lettre du haut-commandement de l'Armée donna l'autorisation de saisir les œuvres d'art et les objets d'intérêt culturel des hôtels et appartements occupés par l'armée, appartenant antérieurement à des Juifs. Le 30 décembre, Jacques Jaujard obtint de son ministre la convocation du Comité des Musées pour débattre des échanges avec les Allemands d'œuvres des collections nationales. Le Comité, favorable à quelques échanges (notamment celui de la Belle Allemande d'Erhardt) s'opposa à celui de l'Antependium de Bâle. La décision fut acceptée par le Docteur Bunjes et les œuvres partirent pour Carinhall. Mais les œuvres demandées en contrepartie par les Français ne furent pas envoyées, et celles proposées par les Allemands ne furent pas acceptées par Paris. Aucun de ces échanges ne fut donc avalisé par les Musées nationaux.
Au début de l'année 1944, les collections des musées situés le long de la côte atlantique depuis La Rochelle jusqu'à la frontière franco-espagnole furent évacuées vers l'intérieur du pays. Au cours de l'année, les oeuvres de la Mission spéciale Linz furent cachées dans les mines de sel autrichiennes d'Alt Aussee. Le 30 mars, le château de Rastignac, en Dordogne, fut pillé et brûlé par les SS. Un point d'interrogation subsista sur le sort des oeuvres de la collection Bernheim-Jeune, qui y étaient cachées. En avril 1944, les ministres de l'Éducation des gouvernements alliés créèrent à Londres une commission, dirigée par le professeur Paul Vaucher, ayant pour but la protection et la restitution des biens artistiques et culturels. La commission resta en fonction jusqu'à la fin de l'année 1946. Au début avril, d'importantes oeuvres de la collection hollandaise Mannheimer, arrivées en région parisienne, quittèrent Paris pour l'Allemagne, après une vente forcée en faveur du musée de Linz. Le 6 juin eut lieu le débarquement anglo-américain en Normandie, ce qui eut pour effet d'inciter les Allemands à accélérer les envois d'œuvres saisies vers l'Allemagne en dépit des tentatives de sabotages des voies ferrées de la part de la Résistance. Le 27 juin, sur ordre d'Himmler, patron de la Gestapo, la Tapisserie de Bayeux est retirée du château de Sourches et transportée au Louvre. En juin et juillet, malgré l'avancée des troupes alliées vers Paris, une nouvelle vague de confiscations se déroula à Paris, les collections Weill-Picard, Van Cleef, Esders et Thalmann furent saisies par l'E.R.R. La Conférence monétaire et financière des Nations Unies, qui eut lieu entre le 1er et le 22 juillet à Bretton Woods, publia une résolution internationale réaffirmant la déclaration de Londres de janvier 1943. De plus, elle recommanda l'interdiction par les pays neutres de l'exploitation des actifs des dirigeants ennemis dans leur territoire, et notamment des œuvres d'art. Le centre parisien de l'E.R.R. fut fermé au début du mois d'août par les Allemands. Le dernier rapport de l'E.R.R., rédigé à Berlin, faisait état pour la France de deux cent trois collections saisies et de vingt et un mille neuf cent trois (21 903) objets d'art confisqués.
Le 1er août, Cent quarante-huit caisses, comportant notamment des oeuvres d'art moderne, quittèrent le Jeu de Paume. Elles furent chargées dans cinq wagons du train 40 044, en attente de partir pour Nikolsburg tandis que le Jeu de Paume fut intégré aux défenses allemandes des Tuileries. Les œuvres d'art qui y étaient restées alors que ce convoi s'apprêtait à partir furent évacuées par les Allemands et transportées dans les salles du Louvre réservées à l'E.R.R. Le 15 août, à la suite d'ordres provenant de Berlin, le commandant de la place de Paris, Dietrich von Choltitz, se rendit au Louvre pour s'assurer de la présence de la Tapisserie de Bayeux au musée. Quelques jours après, au cours de l'insurrection parisienne, des émissaires SS venus de Berlin renoncèrent toutefois à l'enlever. Le soulèvement de Paris. Eut lieu entre les 19 et 25 août. Le 20, les autorités allemandes donnèrent ordre au maréchal Pétain de quitter Vichy. Il fut ensuite emmené en Allemagne tandis que le 22 août, Hitler ordonnait au général von Choltitz de détruire Paris mais ce dernier, effrayé des conséquences d'un tel acte, n'exécuta pas cet ordre. Le 25 août, la division Leclerc entra à Paris et le général von Choltitz signa la reddition des Allemands à la gare Montparnasse. Le 27 août, renseigné par l'intermédiaire de Rose Valland et de la Compagnie des Chemins de Fer, un détachement de l'armée de Leclerc s'empara à Aulnay du train 40 044 (dit ensuite le "train d'Aulnay") contenant le dernier convoi d'œuvres d'art pour l'Allemagne. L'officier qui dirigea l'opération était Alexandre Rosenberg, le fils de Paul, qui, de cette façon, récupéra de nombreuses oeuvres de la collection de son père. DES OPERATIONS DE RECUPERATION MENEES RAPIDEMENT MAIS PAS ASSEZ DANS LE TEMPS En septembre 1944, la Commission de récupération artistique (C.R.A.) fut créée puis dotée d'un mandat officiel le 24 novembre suivant. Sous l'autorité d'Albert Henraux, vice-président du Conseil des Musées nationaux, la commission comprenait, entre autres, Jacques Jaujard, Rose Valland et René Huyghe. Son siège fut symboliquement installé au Jeu de Paume. En liaison avec la C.R.A., l'Office des biens et intérêts privés (O.B.I.P.), lié administrativement à la direction des Affaires économiques du ministère des Affaires étrangères, elle assura la suite des formalités de restitution. Les réclamations présentées à la commission portèrent sur environ cent mille objets d'art.
L'automne vit la réouverture des musées parisiens tandis qu'à la fin du mois de novembre fut constituée une unité d'enquête sur le pillage des œuvres d'art à l'intérieur de l'O.S.S. (Office of Strategic Service). Celle-ci était composée d'historiens d'art conseillés par la Commission Roberts. En décembre, Rose Valland emmena le M.F.A.A. officer Rorimer dans les locaux de l'E.R.R. à Paris, où furent récupérés de nombreux documents sur l'activité de l'organisation. Le S.H.A.E.F. (Supreme Headquarters Allied Expeditionary Force) reçut, par l'intermédiaire de Rose Valland, les noms de tous les dépôts de l'E.R.R. hors de France où furent transportées les oeuvres provenant de ce pays. De nombreux chefs-d'œuvre furent recueillis dans les châteaux de Bavière à Munich, en Tchécoslovaquie et en Autriche. Tous ces dépôts avaient été miraculeusement épargnés par les bombardements aériens effectués par les Alliés. Au cours de son avancée vers l'Ouest au début de 1945, l'Armée rouge ne se limita pas à une politique de récupération des oeuvres russes saisies par les nazis, mais s'appropria aussi systématiquement d'autres oeuvres. Pratiquement au même moment, Goering fit détruire sa résidence de campagne Carinhall tandis qu'une grande partie des oeuvres de sa collection fut transportée dans des trains spéciaux et arriva à Berchtesgaden et à Unterstein en avril. Afin d'éviter des poursuites financières, une réunion de marchands de tableaux opérant en France, décida dès le mois de janvier de ne fournir aucun renseignement à l'administration française sur le commerce illégal d'œuvres d'art pendant l'Occupation. De nombreux professionnels, réputés, comme Fabiani, Pétridès ou Cailleux ou moins connus, avaient activement commercé avec les Allemands durant l'occupation et pendant ces quatre années noires que connut la France le marché de l'art avait néanmoins été particulièrement florissant. Au cours de la Conférence de Yalta qui eut lieu entre les 4 et 11 février 1945, les Alliés décidèrent la division de l'Allemagne en quatre zones d'occupation (États-Unis, Grande-Bretagne, France, URSS). Toujours en février, l'enquêteur anglais Douglas Cooper, fut envoyé en Suisse par le M.F.A.A. et la Commission de récupération artistique française, pour s'occuper des relations économiques germano-suisses et du sort des biens allemands. Ses révélations sur le trafic illégal d'œuvres d'art avec les nazis amenèrent le gouvernement suisse à promettre d'intervenir.
En mars, le M.F.A.A. officer Rorimer partit en Allemagne, emportant avec lui les listes des dépôts de l'E.R.R. fournies par Rose Valland. Celles-ci furent également confiées aux autorités françaises. En avril à Munich, le Führerbau fut pillé par la foule avant l'entrée des armées américaines. Nombre d'œuvres déposées dans le bâtiment disparurent. Le Château de Nikolsburg (dans l'actuelle République tchèque), l'un des dépôts de l'E.R.R., fut en partie détruit par un incendie au cours de l'avance russe. De nombreuses oeuvres des collections françaises y étaient déposées. Les Soviétiques et le gouvernement tchèque affirmèrent ensuite que le château avait été entièrement détruit. Pendant ce temps, le marchand d'art Jean-François Lefranc, agent de Vichy, impliqué dans l'affaire Schloss fut arrêté. A la Commission consultative européenne de Londres, les Britanniques s'opposèrent à l'utilisation de toute œuvre d'art, y compris celles de propriété allemande, pour les réparations. Ils suggérèrent aux États-Unis une politique analogue. Le 7 avril, les réserves d'or du Reich, les objets en or enlevés aux cadavres juifs et de nombreuses peintures provenant des musées de Berlin furent découverts par l'armée américaine dans les mines de Merkers-sur-la-Werra, proches de Weimar. Quelques semaines plus tard, un navire américain chargé d'œuvres d'art quitta subrepticement le port de Nantes. Depuis, personne n'a su le destin réel de ce chargement. Sur ordre du Gauleiter d'Oberdonau Eigruber, des bombes furent placées entre les 10 et 13 avril dans les mines de Alt Aussee, abritant les collections de la Mission spéciale de Linz. Les bombes devaient éclater avant que les mines ne tombent dans les mains des Alliés mais, le 3 mai, un contre-ordre du chef SS Kaltenbrunner prévint ce désastre. Le 11 avril, une ordonnance française fixa les règles de transmission des biens saisis récupérés par l'État : les meubles et les objets d'usage domestique courant, non identifiables, furent répartis entre les personnes spoliées les plus démunies. Les autres biens purent être récupérés par les ayants droit pouvant démontrer leur droit de propriété, et ceci dans un délai d'un an après la date légale de la fin des hostilités. Passé ce délai, ces objets mobiliers devaient être vendus par l'administration des Domaines. Mais la date en question ne fut pas fixée.
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