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Picasso, roi des rois
01 Juillet 2006


Cet article se compose de 4 pages.
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Il convient également de dire que ses échanges avec ses nouveaux amis furent des plus fructueux et se transformèrent en réflexions personnelles sans qu'il eût à formuler de nouvelles théories. Matisse et Derain ou Vlaminck étaient des passionnés d'art nègre et Picasso tira immédiatement profit des conversations avec ces derniers pour puiser de nouvelles idées et africaniser les formes sur la toile en virant naturellement à ce nouvel art que fut le Cubisme et dont Cézanne avait été le précurseur. Dans ce registre, il ne fut pas vraiment un inventeur mais se montra génial en adaptant à sa manière un style déjà abordé par d'autres. En réalité, il ne faisait qu'emprunter une voie ouverte par Turner au début du XIXe siècle qui passa par Delacroix, Courbet, les Impressionnistes, les Divisionnistes ou les Fauves pour participer à son tour à la révolution artistique qui était en marche depuis un siècle.

Son génie fut d'amalgamer dans son esprit la plupart des évolutions déjà recensées et de se mettre en situation pour concentrer toute son énergie afin d'aller plus loin. Ce fut ainsi qu'il se lança en 1906 dans la réalisation d'une sculpture représentant une tête de femme et de sa peinture « Les Demoiselles d'Avignon », ses premières œuvres cubistes inspirées de sa nouvelle approche avec l'art ibérique archaïque avant sa découverte de l'art nègre. Il ne fit donc qu'adapter à la sauce occidentale un art bien plus que millénaire à un moment ou l'académisme commençait était devenu lassant aux yeux de nombreux artistes.

Le tableau « Les Demoiselles d'Avignon » s'appelait au départ « Le Bordel d'Avignon » et selon les premières études produites par Picasso, il devait inclure deux marins en bordée faisant irruption dans un café de la rue de Barcelone nommée Carrer d'Avinyo, puis il imagina un étudiant tenant un crâne et un marin au milieu des femmes en train de manger ou encore un étudiant tenant un livre alors que le marin fut supprimé au dernier moment, les filles ne s'occupant plus alors du client mais se contentant de regarder le spectateur.

Lorsqu'il montra son tableau à ses amis, ceux-ci furent plutôt déçus ou dubitatifs mais avec le recul, on s'est rendu compte que les créations de Picasso pendant les six premiers mois de 1907 sont apparues comme le point de départ de l'art moderne du XXe siècle. Toutefois, l'œuvre des « Demoiselles d'Avignon », qui ne fut exposée qu'en 1916 avant d'être acquise en 1922 par Jacques Doucet, entra simplement dans le droit fil de son évolution et ne constitua nullement une coupure.

Au Salon d'Automne de 1905, Picasso avait découvert « Le Bain Turc » de Ingres, ce qui l'amena à peindre « Le Harem » l'année suivante en fusionnant à sa manière la déformation expressive de la ligne ingresque et les disproportions brutales des sculptures ibériques.

En 1907, il éprouva un nouveau choc en découvrant au Salon des Indépendants le « Nu Bleu » de Matisse et les « Baigneuses » de Derain qui reprenaient le constructivisme de Cézanne. A partir de là, il s'intéressa vraiment à l'art nègre à la suite d'une visite dans la section ethnographique du Trocadéro en créant alors son « Nu à la Draperie » (aujourd'hui au Musée de l'Ermitage à Saint-Pétersbourg) où les courbes dominent, opposées aux fines hachures des droites.

En découvrant les toiles de Cézanne lors de la rétrospective sur ce peintre organisée au Salon d'Automne de 1907, Picasso créa alors d'imposantes baigneuses sur des fonds de paysage en appuyant son propos sur l'importance du rythme des cernes et des contrastes chromatiques dans la démarche d'une nouvelle stylisation cubiste. En fait, ses découvertes de l'art nègre ou de Cézanne furent tout simplement des événements servant à conforter son idée qu'il allait dans le bon sens comme lorsqu'il produisit son « Nu Debout » (The Museum of Fine Arts de Boston) qui l'amena à une géométrisation poussée et abstraite.

La première rencontre entre Picasso et Braque eut lieu en 1907 mais les deux artistes ne collaborèrent ensemble qu'à partir de 1909 et ce, jusqu'en 1914. Ceux-ci se livrèrent à d'intenses recherches après que Picasso se fût livré à des expériences sur l'abstraction durant l'année 1908 qui l'amenèrent à produire de nombreuses natures mortes. En 1909, Picasso alla avec Fernande en Espagne en continuant à ébaucher des paysages abstraits et à s'exercer à mettre des stries dans ses dessins. De retour à Paris durant l'automne, il produisit une tête de femme en trois dimensions qui fut sa première sculpture résolument cubiste et se mit à simplifier sa palette en faisant dominer les beiges et les gris dans de nombreuses toiles.

Le triomphe du Cubisme à partir de 1910 dut cependant beaucoup à Picasso lequel fut toutefois souvent infidèle à cette forme d'art qu'il déclina à l'envi alors que d'autres, comme Gleizes, Metzinger ou Gris restèrent des puristes en la matière.

Comme l'a souligné Jacques Busse, le Cubisme fut durable comme état d'esprit mais dans son acceptation stricte, il fut éphémère à l'instar d'autres courants comme le Fauvisme ou le Futurisme, l'historien allant même jusqu'à évoquer un pré-Cubisme pour les artistes qui travaillèrent de 1906 à 1910 avant l'apparition d'un Cubisme formel auquel se substitua l'Abstraction durant les années 1920.

D'autre part, le Cubisme se divisa en plusieurs formulations distinctes en devenant tour à tour analytique, futuriste, orphique, puriste ou plastique, ce qui fit qu'il fut toujours difficile de le définir clairement.

Picasso ne s'embarrassa pas de ces formulations en travaillant surtout à l'instinct et au gré de son inspiration alors que le Cubisme le plus marquant, celui dit analytique, perdura de 1910 au début de la Première Guerre Mondiale. Ce fut durant cette période que les artistes cubistes s'attachèrent à respecter une esthétique plus ou moins codifiée avec la plupart du temps des représentations de natures mortes.

En 1910, le Cubisme analytique s'imposa à travers une étude sous tous les angles des objets et des êtres appréhendés de la façon la plus complète possible par l'artiste. Cette année-là, Picasso exécuta notamment les portraits de Uhde, Vollard et Kahnweiler.

L'été de 1911 le vit à Céret où il dessina un homme à la clarinette. A son retour à Paris, il reprit le thème des musiciens dans deux importantes compositions, « L'Homme à la guitare » et « L'Homme à la Mandoline » tout en développant intensément ses recherches. A partir de 1911, il introduisit aussi avec Braque des lettres et des chiffres dans ses dessins ou ses toiles comme dans « Journal, porte-allumettes, pipe et verre » ou en 1912 dans la nature morte à la chaise cannée.

Comme Braque à la même époque, il utilisa pour « Grenade, verre et pipe » de 1911 le format ovale, ce qui lui permit d'éviter les angles, la nature morte à la chaise cannée entourée de corde se révélant être une œuvre majeure dans l'histoire de l'art du XXe siècle.

Picasso n'hésita pas alors à introduire un élément réel en collant sur la toile un morceau de toile cirée avec son motif de cannage puis le papier collé domina le Cubisme dans sa période dite synthétique, Picasso ayant eu dans l'idée qu'un élément étranger sur la toile faisait que la couleur pouvait être un élément indépendant de la composition, détachable de la forme et que l'espace avait ainsi la possibilité d'être recréé.

Braque fut le premier à coller sur une feuille un élément de papier de décoration murale en dessinant autour des volumes et des détails pour réaliser le premier papier collé dans « Composition et Verre », un procédé que reprit Picasso à l'automne de 1912 et qui influença de nombreux artistes à l'étranger, notamment en Russie.

Vivant alors avec une jeune femme prénommée Eva, Picasso exprima son amour pour cette dernière en collant sur une toile, sous la représentation d'une guitare, un cœur en pain d'épices portant l'inscription « J'aime Eva ». A Céret en 1913, il créa d'autres papiers collés et alla jusqu'à les simuler dans des toiles.

Plongé sans cesse dans ses recherches, l'artiste produisit alors « Guitare et bouteille de Bass », une étude structurale d'une guitare en bois où s'ajoutaient des éléments de bois, papiers collés et de métal puis « Mandoline et clarinette », entièrement en bois souligné de traits de crayon, figuration en volume de deux instruments entremêlés. Ce fut alors qu'avec son imagination constamment en éveil, il transforma en œuvres d'art tout ce qui lui tombait sous la main, en se montrant au passage comme un des précurseurs de l'art Dada auquel il ne prit pas la peine d'adhérer.

Lorsque la guerre éclata, la communauté des peintres cubistes se délita progressivement pour laisser ensuite la place aux individualités au moment de la mort prématurée du poète Apollinaire, chantre du mouvement.

Une première alerte avait eu lieu en 1912 lorsque les peintres du mouvement délaissèrent Montmartre pour s'installer à Montparnasse. Lorsque la guerre éclata, Picasso se trouva à Avignon quelque peu esseulé. Là, il commença sa période dite synthétique, en trouvant une formulation plus complète et surtout plus libre sans toutefois chercher à être toujours cohérent.

Peu enclin à faire partie d'un groupe et peu soucieux de respecter toute forme de théorie, Picasso donna alors libre cours à son imagination en ne se privant pas de dévier du Cubisme pour définir une forme d'expressionnisme personnel.

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