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LA PREPONDERANCE DES PEINTRES JUIFS DANS L'ECOLE DE PARIS Par Adrian Darmon (1ere partie)
17 Novembre 2008
Catégorie : FOCUS

Un titre a toujours son importance pour expliquer un sujet, d'autant plus que son auteur se doit avant tout de ne pas égarer son lectorat ou son auditoire sur de fausses pistes.

Or, le titre en question peut prêter à confusion si on ne l'explique pas d'emblée. Pour que les choses soient claires, il paraît intéressant de l'aborder à la manière d'un kabbaliste lorsqu'il se penche sur une phrase du Talmud.


Le mot prépondérance signifie domination par le poids. Or, le mot domination peut paraître fâcheux à certains égards, surtout concernant les juifs, et si prépondérance il y eut ce fut avant tout à travers leur nombre.


Pour être exact, cette prépondérance a été fortuite du fait qu'elle s'est créée et affirmée par la force des choses puisque ce sont des artistes émigrés, pour la plupart juifs, qui ont formé l'essentiel de cette école dont l'appellation  est pour le moins erronée sinon abusive.


Le mot école est plus aisé à interpréter lorsqu'il s'agit d'évoquer en peinture l'école néo-classique, l'école de Barbizon, l'école impressionniste, l'école cubiste ou l'école surréaliste. Toutefois, beaucoup de gens se réfèrent aujourd'hui à l'école de Paris en oubliant qu'elle n'a jamais représenté un quelconque un mouvement d'autant plus que les artistes associés à cette prétendue mouvance étaient loin de peindre de la même manière. Pour ajouter à la confusion, il y eut même deux écoles de Paris puisque des critiques et des intellectuels s'ingénièrent à inventer une première fois ce genre de label juste avant la Première Guerre Mondiale en parlant de peintres demeurant à Paris, tels Picasso, Derain, Vlaminck, Van Dongen ou même Matisse.


Ce n'est finalement qu'en 1925 que le critique d'art André Warnod eut l'idée de définir l'Ecole de Paris dans la revue Comoedia comme le groupe formé par les peintres étrangers travaillant à Paris et parmi lesquels figuraient une grande majorité d'artistes juifs.


Loin d'évoquer un quelconque mouvement dans le domaine de la peinture, Warnod se contenta de signaler un fait simplement historique. D'ailleurs, avant d'aller plus loin dans cet article, il semble nécessaire d'expliquer le pourquoi de la présence à Paris de tant de peintres juifs pour la plupart originaires d'Europe de l'Est. Un bref retour à l'histoire est donc primordial.


Il convient ainsi de remonter à la première moitié du XIXe siècle pour rappeler l'importance de l'Emancipation des juifs en Europe qui s'était mise en marche après la Révolution de 1789. Ainsi, les juifs sortirent progressivement des ghettos au fil des décennies et certains d'entre eux virent leurs conditions de vie s'améliorer. D'autres choisirent l'émigration vers l'étranger, notamment en allant aux Etats-Unis, en Angleterre et d'autres pays d'Europe mais le processus de l'émancipation fut pour beaucoup un long et éprouvant combat car dans plusieurs Etats, l'accès aux universités et à de nombre de professions leur resta interdit.


Si la situation des juifs s'améliora pour certains, elle demeura préoccupante pour la majorité de ceux qui vivaient en Europe de l'Est, notamment en Russie où l'antisémitisme battit son plein, notamment après l'assassinat du Tsar Alexandre II par Ignace Grinevitski, un fait dont on a peu soupçonné la portée car ce dernier était un étudiant d'origine juive. Cela donna lieu à de violents pogroms à Elisabethgrad, Odessa, Kiev et Varsovie et entraîna une forte émigration de Juifs vers les USA et aussi la France alors que de nombreux autres s'impliquèrent dans des mouvements socialistes comme le Bund qui s'activa en Russie, en Pologne et en Lituanie dès 1897. L'antisémitisme avait sévi durant des siècles en Europe en étant attisé par l'Eglise à divers moments de l'histoire puis en étant brutalement amplifié durant les dernières années du XIXe siècle par la police tsariste à travers la publication du « Protocole des Sages de Sion », un livre fabriqué de toutes pièces qui fut (et reste) un brûlot encore plus redoutable puisqu'il sous-entendait  que les juifs avaient pour but de dominer le monde alors que les événements qui allaient suivre, tels les révolutions de 1905 et de 1917 en Russie ou la Première Guerre Mondiale allaient être exploités par des esprits pernicieux pour faire des juifs les premiers responsables du chaos engendrés par  leur tragédie. On comprend mieux alors les actions orchestrées par Staline dès 1924 contre les juifs tout autant que l'émergence d'Hitler à la même époque dont le programme publié dans « Mein Kampf » promettait ouvertement l'éradication du peuple juif d'Europe.


En dehors de la Russie, les Juifs furent aussi confrontés à la fin du XIXe siècle à un antisémitisme tenace dans d'autres pays, notamment en Autriche-Hongrie, en Allemagne puis en France avec l'affaire Dreyfus en 1894. En dehors du processus de l'Emancipation, des milliers de Juifs effrayés par les pogroms avaient quitté leurs ghettos pour s'installer dans des villes où ils n'étaient guère les bienvenus ce qui avait poussé nombre d'entre eux à tenter de s'assimiler en se détournant de la religion et en s'intéressant à des activités qu'ils n'avaient pas eu possibilité d'aborder auparavant, notamment la peinture.


Les juifs d'Europe de l'Est émigrèrent par vagues successives et ce, depuis 1850. Ils purent ainsi aller dans plusieurs pays en rejoignant des parents ou des amis qui s'y étaient déjà installés. Mais pour subsister, ils durent pour la plupart exercer des petits métiers, ce qui fut notamment le cas pour de nombreux peintres.

Ceux qui avaient décidé de se consacrer à l'art allèrent à Vienne, à Berlin ou à Paris qui étaient les principaux centres artistiques en Europe alors que les académies russes restaient fermées aux Juifs qui étaient forcés de renoncer à leur religion et de se convertir pour y accéder. Certains trouvèrent donc plus commode d'aller vivre et étudier à Vienne et Berlin du fait que la langue allemande ne constituait pas une barrière puisqu'ils parlaient tous le Yiddish. Toutefois, ils furent nombreux à s'installer à Paris pour la simple raison que cette ville était considérée comme le centre du monde au niveau artistique.


Dans leur esprit, Paris représentait le paradis mais dès leur arrivée, la réalité eut pour la plupart l'effet d'une gifle. Alors, comme tout étranger débarquant dans un lieu paraissant subitement inhospitalier, ils allèrent dans les quartiers où vivaient leur compatriotes et d'autres émigrés. Un réflexe somme toute universel comme pour les Italiens qui s'installèrent à New York si on veut à titre d'exemple faire un raccourci.


Les artistes venus à Paris par vagues successives, depuis 1900 jusqu'en 1939, étaient originaires de Russie, Pologne, Tchécoslovaquie, Lituanie, Bulgarie, Roumanie, Hongrie et même d'Allemagne. Etudier à l'Ecole des Beaux-Arts semblait pour beaucoup un rêve inaccessible. Par contre, la capitale regorgeait d'académies libres où ils pouvaient étudier. On peut citer l'Académie Colarossi, l'Académie Julian, l'Académie de la Grande Chaumière, l'Académie Ranson, l'Académie ouverte par Matisse en 1908 ou l'Académie Moderne.


Les artistes qui vinrent à Paris, venaient pour la plupart avec un billet en poche sur lequel était écrit « Montparnasse ». Ce fut donc dans ce quartier qu'ils s'installèrent alors que ceux qui choisirent Montmartre (Georges Kars, Marcel Lherman, Louis Marcoussis ou Marek Zwarc en particulier) furent bien moins nombreux.


Il convient de signaler qu'il y eut trois vagues d'immigration à Paris, la première à partir de 1900 jusqu'en 1914, la seconde après la Première Guerre Mondiale lorsque de nombreux juifs préférèrent fuir la Russie communiste, échapper aux combats entre les Soviétiques et l'armée des Russes blancs ou ne pas subir la grave crise qui sévissait dès 1918 outre-Rhin et la troisième, lorsque les nazis prirent le pouvoir à Berlin en 1933.


Montparnasse fut pour les artistes juifs un territoire où, pour surmonter leur isolation, ils développèrent des réseaux d'entraide et d'amitié en se réunissant dans des cafés devenus célèbres aujourd'hui, comme La Rotonde, le Dôme, La Closerie des Lilas (ancien bal Bullier) ou La Coupole dont les patrons leur échangeaient souvent des œuvres contre des repas.


Le Dôme créé en 1898 était un lieu de rencontre pour des artistes parlant l'allemand comme Rudolf Lévy, Walter Bondy ou Bela Czobel lesquels côtoyaient des marchands influents comme Alfred Flechtheim. A La Rotonde, un café repris en 1911 par Victor Libion qui se montrait très généreux avec les artistes, on avait coutume de voir les juifs russes comme Krémègne, Soutine, Sam Granowsky, affublé d'un costume de cow-boy, Kikoïne ou Adolphe Feder lesquels se réunissaient plus pour oublier leur misère que pour évoquer leurs travaux alors que la Coupole, inaugurée en 1927, fut plus cosmopolite en attirant des artistes français et étrangers comme Kars, David Seifert ou Arbit Blatas. Vivant chichement, ces artistes partageaient pour la plupart leurs ateliers, notamment à la Ruche, 2 passage Dantzig, un lieu ouvert depuis 1902 qui fut longtemps un formidable vivier de création, notamment pour Chagall, Soutine, Alexandre Altmann, Krémègne, Jacques Chapiro, Granowsky, Isaac Dobrinsky, Henryk Epstein ou Isaac Païles.


Ce fut notamment à la Ruche, que les artistes juifs Krémègne, Marek Szwarc, Joseph Chaïcov et Henryk Epstein créèrent en 1911 la première revue d'art juive Makhmadim (Les Délices) dénuée de texte et dont le propos était purement esthétique.


Les artistes juifs vécurent longtemps dans le dénuement mais aussi en vase clos car en dehors du territoire de Montparnasse, ils étaient ignorés de la critique tout en étant souvent considérés dans les journaux artistiques comme des « métèques » venus manger le pain des Français bien avant que les relents de l'affaire Dreyfus ne devinssent encore plus nauséabonds dans les années qui suivirent la Première Guerre Mondiale.
(Fin de la 1ere partie)
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