Les riches de la planète ont pour la plupart mis leurs collections d'art à l'abri dans le port-franc de Genève en privant ainsi
le public de pouvoir les admirer mais ces raisons en apparence hypocrites ne sont pas toujours innocentes.
Planquer dans cet endroit des oeuvres d'art qui mériteraient d'être accrochées sur les murs de belles demeures au lieu de
finir ainsi dans des chambres fortes semble à première vue irrationnel quand un collectionneur a les moyens de s'offrir un
système de sécurité ultra-performant dans sa demeure.
En fait, si celui-ci a choisi ce port-franc, c'est simplement parce que souvent, il n'a pas envie que le fisc de son pays sache
ce qu'il possède ou de quelle manière il acquis des oeuvres qu'il considère en fait comme des instruments financiers pour
réaliser des bénéfices avec l'opacité voulue surtout que l'environnement de ce lieu comprenant des bâtiments grisâtres ou
jaunâtres entourés de lignes de chemin de fer n'est pas le plus idyllique pour leur beauté.
On estime à plus de 300 milliards d'euros la valeur des oeuvres entreposées là, des tableaux dont près d'un millier de
Picasso, des trésors archéologiques et des objets magnifiques dont la valeur n'a cessé de croître depuis cette dernière
décennie qu'on verrait plutôt mieux à leur place dans des musées.
Dans le port-franc, ces oeuvres dorment donc à l'abri des regards en attendant d'être négociées à des prix faramineux
lors de transactions qui échapperont la plupart du temps à la surveillance des services fiscaux d'un pays.
Les collectionneurs n'ont donc pour la plupart que faire de leur beauté intrinsèque en les considérant comme des produits
financiers en les faisant emprunter d'étranges circuits qui passent par des paradis fiscaux sous couvert de trusts où leur
nom n'apparaît pas.
Une telle combine n'a pas manqué d'intéresser des milieux mafieux qui ont blanchi de l'argent sale en achetant à profusion
des oeuvres dont certaines ont été volées, comme ce sarcophage étrusque qui était resté durant des lustres au-port franc
avant d'être restitué à l'Italie avec une multitude d'autres pièces, elles aussi pillées.
Nombre de grands marchands ont placé des milliers d'oeuvres dans les entrepôts du port-franc, notamment la famille
Nahmad qui possède 4500 toiles superbes, laquelle a été poursuivie en justice par l'héritier d'un marchand juif qui lui a
réclamé un tableau de Modigliani spolié par les nazis qu'elle a affirmé ne pas détenir en dépit de preuves accablantes
découvertes lors de la divulgation des "Panama Papers".
Le fait de traiter des oeuvres comme des produits financiers pour les entreposer dans le port-franc de Genève n'est pas
très moral, ont considéré certains marchands se disant intègres mais ceux-ci ont fait quelque peu exception à une règle
devenue courante.
Les ports-francs avaient été créés au 19e siècle pour entreposer des céréales, du thé, du vin ou divers produits, agricoles
ou industriels, mais aujourd'hui, nombre d'entre eux sont utilisés par les riches de la planète pour y conserver leurs
collections, que ce soit à Genève, au Luxembourg, à Singapour, à Monaco ou dans l'Etat du Delaware qui bénéficie
d'avantages fiscaux aux Etats-Unis.
Prenons par exemple un collectionneur américain qui achète une oeuvre pour 50 millions de dollars dans une vente à New
York, où il devra s'acquitter d'une taxe de 4,4 millions mais s'il envoie son acquisition vers un port-franc, il ne la paiera pas.
Les ports-francs sont donc devenus très appréciés des riches collectionneurs mais récemment les autorités suisses ont
conduit un audit à leur sujet pour s'apercevoir que la valeur des oeuvres entreposées à Genève (environ 1,2 million) qui
y étaient entreposées avait explosé alors que leur nombre avait sans cesse augmenté.
Mettre ainsi des oeuvres de prix à l'abri ne paraît pas très moral, comme l'ont indiqué ceux qui ont critiqué ces
collectionneurs alors qu'elles ont été faites pour être admirées, selon l'avis de Jean-Luc Martinez, le directeur du Louvre.
Les oeuvres contemporaines sont celles qui ont été les plus nombreuses à être transférées dans les ports-francs alors
que certaines d'entre elles ne sont même pas encore sèches pour se retrouver entassées dans des conteneurs
solidement fermés même si nombre de musées à travers le monde sont à même de présenter d'importantes collections
mais pour de nombreux collectionneurs, celles qu'ils envoient à Genève ne sont pas destinées à être admirées par le public.
Le plus drôle est que le galeriste Helly Nahmad, dont la famille a stocké des milliers d'oeuvres au port-franc avait dit dans
une interview publiée en 2011 que c'était stupide d'agir ainsi pour se comporter comme un compositeur de musique qui
mettrait sa partition dans un tiroir sans que personne ne puisse l'écouter être jouée.
Il est néanmoins vrai qu'il faut beaucoup de place pour entreposer des oeuvres chez soi et que des collectionneurs n'ont pas
d'autre solution que de les mettre en lieu sûr dans un port-franc, où les entrepôts climatisés sont sous la surveillance
constante de caméras, et ce, sans nullement avoir dans l'idée de commettre une évasion fiscale.
Quoi qu'il en soit, choisir de mettre des oeuvres en sécurité dans un port-franc représente souvent la volonté de les cacher
et de ne pas révéler leur nombre sauf que parfois, elles sont prêtées pour des expositions et qu'on découvre ainsi leur
existence sans oublier que cet endroit est idéal pour entreposer des pièces à la provenance douteuse, comme ce fameux
sarcophage étrusque saisi il y deux ans par la police italienne avec 45 caisses de trésors archéologiques volés durant les
années 1970 ou un tableau de Klimt récupéré par les héritiers d'un collectionneur juif spolié par les nazis puis vendu à un
milliardaire russe qui l'avait placé à Genève où Dmitry Rybolovlev y entreposait sa fabuleuse collection estimée à 2 milliards
de dollars avant de la transférer à Chypre suite aux poursuites qu'il avait engagées pour escroquerie contre Yves Bouvier,,
le patron du port-franc.
On a su aussi, après la plainte déposée par la veuve du marchand Daniel Wildenstein qui s'estimait lésée de son héritage
par ses fils nés d'un premier mariage, que 19 tableaux de Bonnard avaient été dissimulés au port-franc, tout comme
plusieurs oeuvres de Picasso appartenant- à Catherine Hutin-Blay, la fille de sa compagne Jacqueline qui s'était montrée
plus qu'étonnée d'apprendre qu'elles avaient atterri là sans son consentement.
D'autres oeuvres achetées aux enchères pour plusieurs millions de dollars ont également rejoint le port-franc dans l'attente
d'être revendues plus tard avec un bénéficie substantiel alors que les autorités suisses ont désormais cherché à savoir
précisément ce qui s'y trouvait en visant à mettre fin à son opacité après la divulgation des "Panama Papers" , lesquels ont
révélé d'étranges tours de passe-passe via des sociétés écrans créées par le cabinet d'avocats Mossack Fonseca dans
le but d'aider de riches collectionneurs à dissimuler leurs acquisitions.
De cette manière, des oeuvres de Warhol, Koons, Miro et d'autres artistes estimées au total à 28 millions de dollars ont été
transférées à Genève par une de ces sociétés pour le compte d'un grand courtier en diamants pour servir de garantie à
un prêt octroyé par une banque belge sauf que Leon Templesman, un diamantaire de New York, a cherché à les saisir à la
suite d'un conflit avec son possesseur et cette dernière.
Jusqu'à présent, Templesman n'a pas obtenu gain de cause en raison de la règle de confidentialité appliquée par le
port-franc alors que les autorités suisses ont fini par exiger que tous les contrats d'entreposage soient nantis d'une clause
leur permettant déjà de vérifier la nature des pièces, notamment archéologiques, qui s'y trouvent.
Par ailleurs, après le rejet par les électeurs genevois lors d'une votation sur l'agrandissement du principal musée de la ville,
un avocat a réclamé que le port-franc soit obligé d'ouvrir ses portes pour organiser des visites en faveur du public tandis
que des artistes se sont inquiétés que sitôt vendues, leurs oeuvres y soient entreposées pour ne plus être visibles.
Ceux-ci ont estimé que les collectionneurs qui optaient pour le port-franc n'étaient en fait que des financiers apparemment
peu intéresséspar l'art tout en reconnaissant que certains d'entre eux n'avaient pas des demeures assez vastes pour les
mettre aux murs. On sait cependant que nombre d'oeuvres finiront par en sortir un jour pour être vendues mais que
d'autres les remplaceront malheureusement tant que ce genre d'endroit existera.