Le 9 septembre 1901, Henri de
Toulouse-Lautrec mourait à l'âge de 36 ans après des années de beuveries durant
lesquelles il produisit nombre de chef d'oeuvre sur la vie parisienne.
Malgré sa courte existence,
l'artiste laissa une oeuvre considérable constituée de 737 peintures, 275
aquarelles, 5000 dessins et 369 lithographies qui font aujourd'hui sa gloire.
Souvent raillé par la critique,
il eut cependant droit à une nécrologie élogieuse de la part du collaborateur
du "Figaro" Arsène Alexandre qui le défendit âprement en écrivant qu'il aurait
sa place dans l'histoire de l'art français.
Il est vrai que ses excès
d'alcool et sa vie de débauche l'avaient desservi en incitant les journaux à le
dénigrer et à le décrire comme un détraqué pitoyable et lorsqu'il fut interné
par sa famille dans une clinique de Neuilly au début de 1899, le Tout-Paris
l'avait déjà tout bonnement enterré.
Arsène Alexandre fut aussi pratiquement le seul à le défendre à cette époque en s'opposant à ses détracteurs
pour souligner qu'il était un artiste remarquable encore capable de dessiner à
merveille et que ce qu'on écrivait sur lui était proprement stupéfiant.
Signalant que Toulouse-Lautrec
se portait encore bien et qu'il avait une fortune suffisante pour travailler à
sa guise, Alexandre reprocha à ses adversaires de ne pas le connaître après l'avoir traité de grotesque du fait de son apparence pour affirmer au contraire qu'il était un
maître qui avait renouvelé l'art de l'affiche et que ses lithographies
deviendraient plus tard des pièces rares considérées comme de véritables
oeuvres d'art.
Alexandre ajouta que les
affiches de Lautrec figuraient en bonne place dans des expositions organisées à
Londres, Hambourg, Munich ou Amsterdam et que ses oeuvres graphiques ou peintes
étaient souvent de premier ordre même si elles abondaient en "gueuseries, en
bestialités en montrant dans leurs allures prises sur le vif, dans leurs
tristesses mornes, dans leur laideur véritable et sans idéal frelaté",
celles qu'on appelait avec une si amère ironie, des filles de joie.
Le crime de l'artiste était
donc d'avoir montré laid ce qui était laid, comme Serge Gainsbourg se plut plus
tard à exhaler la beauté des laids alors qu'il avait été précédé en cela par
bien d'autres peintres dont on trouvait les oeuvres sublimes.
Seulement voilà, Lautrec avait
été chercher ses modèles où ils étaient, dans les cabarets et les bouges pour descendre dans l'enfer et, tout comme ses modèles, en se laissant ravager par
l'alcool alors qu'il aurait sans doute été un plus grand artiste en peignant le
monde des bars sans se croire obligé d'absorber des cocktails par centaines.
Arsène Alexandre préféra voir
en Lautrec ce qu'il y avait de bien en notant qu'il avait eu les deux jambes
cassées durant son enfance pour subir un arrêt de sa croissance en ayant le
haut du corps d'un homme et les jambes d'un gamin avant d'étudier à l'atelier
de Cormon en admirant Degas, Daumier, Uccello et les maîtres de l'estampe
japonaise.
Moqué par ses camarades qui
s'amusaient avec lui et de lui, Lautrec était selon le critique un être sérieux
et tendre doté d'une honnêteté profonde qu'on aurait dû en fait aimer et entourer
d'égards alors qu'on s'était joué de lui en se divertissant à le voir boire et
à le faire boire jusqu'au moment où il avait été nécessaire de le transporter
brusquement de son milieu habituel dans une maison de santé qui, loin d'être un
asile psychiatrique tel qu'on se l'imaginait, était un lieu plutôt tranquille où
l'artiste avait pu se refaire une santé.
Alexandre s'était toutefois
demandé avec acuité ce qu'il adviendrait lorsque Lautrec, redevenu sain et
lucide, parviendrait au terme de sa cure de désintoxication pour alors flairer à
nouveau les odeurs de gin, de bière, d'absinthe ou de rhum sortant comme de
malsaines vapeurs d'entre les pavés de Paris à certaines heures et dans
certaines rues en risquant à nouveau de tomber sous la coupe de garçons
parasites. Ce qui advint malheureusement.