En 1961, un portrait du duc de Wellington
provenant de la collection du duc de Leeds fut acheté aux enchères pour 140.000
livres par un riche américain mais le gouvernement britannique refusa de le
laisser sortir du Royaume-Uni en le faisant racheter au même prix et exposer le 2 août de
cette année là à la National Gallery de Londres d'où il fut volé le 21 avant d'être
retrouvé dans des circonstances rocambolesques quatre ans plus tard.
En fait, le voleur, un certain Kempton
Bunton, 61 ans, n'avait nullement agi par cupidité ou pour le compte d'un réseau
criminel mais simplement pour protester contre l'imposition de la taxe de
télévision de la BBC à l'encontre des retraités dont il faisait partie.
A l'époque, le vol fut considéré comme un
des plus audacieux jamais commis dans un musée alors que les gardiens avaient mis un
certain temps pour s'apercevoir du méfait commis exactement 50 ans auparavant
lorsque la Joconde, volée par un maçon italien, fut rapatriée au Louvre en août
1911. Bref, la presse avait cru qu'il avait été commandité par un millionnaire
assoiffé de trésors artistiques qu'il pouvait contempler pour lui seul dans un
bunker introuvable tandis que d'autres rumeurs, aussi invraisemblables les unes
que les autres, coururent au sujet de cette étrange affaire.
En contrepartie, cela donna de la
publicité à la National Gallery dont la fréquentation augmenta, notamment pour
voir l'endroit d'où avait disparu le tableau alors que l'historien d'art Sir
Kenneth Clark suggéra que le vol avait été commis par esprit d'idéalisme par un
individu décidé à dénoncer la hausse intolérable des prix des œuvres d'art à une époque où
le marché de l'art n'avait toutefois pas encore pris son envol.
Selon Clark le voleur était sûrement du calibre d'Arsène
Lupin pour avoir su déjouer les systèmes de sécurité installés dans le musée et
éviter de tomber sur les gardiens lorsqu'il en était sorti avec le tableau sous le bras et ce, sans
laisser aucune trace de son passage.
De son côté, le musée fut bombardé de
milliers de lettres au sujet du vol, toutes aussi fantaisistes que les autres d'autant
plus que l'identité du voleur n'avait toujours pas été percée alors que Sir
Gerald Kelly, président de la Royal Academy, alimenta la controverse en
affirmant en 1964 que le Goya était purement et simplement un faux et qu'il
valait donc mieux ne pas le retrouver. Au milieu de tout ce ramdam, le musée
reçut aussi des demandes de rançon de la part de petits malins jusqu'au moment où le
rédacteur en chef du Daily Mirror eut l'idée d'organiser une campagne visant à
inciter le voleur à révéler où il avait planqué le Goya.
Le 5 mai 1965, ce dernier laissa le Goya bien emballé à la
consigne de la station de New Street à Birmingham et envoya le récépissé N°F
24458 au journal qui récupéra le tableau que Michael Levey de la National
Gallery authentifia tandis que les spéculations allèrent bon train au sujet de
l'identité du voleur tantôt décrit comme un personnage blasé par son succès et
désireux de se donner des coups d'adrénaline en créant un jeu de pistes ou
comme un acteur ou un intellectuel, peut-être un écrivain, selon le Daily
Telegraph qui se référa au nom de Bloxham, celui du dépositaire à la consigne
de la station, en citant la pièce d'Oscar Wilde, « l'importance d'être
sérieux » où dans l'acte 1 Lady Bloxham loue la maison de Jack Worthing à
Belgrave Square en ajoutant que Jack, du temps où il avait été bébé, avait été
trouvé dans un sac dans les toilettes de la gare Victoria.
Finalement, le mystère fut résolu lorsque
le 19 juillet 1965, un homme d'une centaine de kilos qui n'avait rien à voir
avec la littérature et qui était dénué d'éducation ou de connaissances en art
se rendit à la police en disant être un chauffeur à la retraite du nom de
Kempton Bunton demeurant Yewcroft Avenue à Newcastle, déjà emprisonné durant 69
jours en 1960 pour s'être soustrait au paiement de la taxe sur la télévision en
se branchant seulement sur la chaîne gratuite ITV et non celle de la BBC.
Il déclara ainsi à la police qu'il avait
dérobé le Goya pour attirer l'attention sur la campagne menée pour une taxe
télé réduite en faveur des retraités et non dans le but d'en profiter ou de le
revendre en ajoutant qu'il avait utilisé une échelle pour pénétrer dans le
musée en passant par une fenêtre des toilettes du premier étage pour s'emparer
du portrait du duc de Wellington, à un moment où les gardiens devaient dormir ou
jouer aux cartes avant de de repartir par où il était venu en rejoignant la chambre
qu'il avait louée près de la gare de King's Cross.
Ayant retiré le tableau de son cadre qu'il
avait abandonné à Londres, Bunton retourna chez lui à Newcastle et le remisa
dans une armoire en ne révélant son petit exploit à personne, pas même son
épouse, jusqu'au jour où il parla un peu trop à un ami dans un pub, ce qui l'amena
à se rendre à la police avant que celui-ci ne s'avise à le dénoncer pour
toucher une récompense.
Il émergea à son procès que ce n'était pas
un crime de dérober un tableau d'un musée si l'auteur d'un tel acte n'avait pas
l'intention de le garder indéfiniment. Pour sa part, il plaida non coupable aux
quatre chefs d'accusation le concernant et ne fut inculpé que pour un seul, le vol du cadre
du tableau évalué à 100 livres et jamais retrouvé, en étant acquitté du vol du Goya, de deux
autres chefs d'accusation concernant une demande de rançon avec des menaces ou
pour avoir causé un trouble à l'ordre public.
Finalement, Bunton fut condamné à trois
mois de prison mais ce verdict laissa plusieurs questions en suspens, notamment
sa déclaration selon laquelle il avait emprunté une échelle pour passer par une
fenêtre en dérobant le tableau à 6 heures moins dix, à une heure où le système
d'alarme était enclenché alors que la police estima qu'aucune fenêtre n'avait
été bougée sans compter qu'il semblait incroyable qu'un individu pesant plus de
100 kilos ait pu aisément quitter le musée sans faire aucun bruit.
L'ironie de l'histoire fut que le musée n'avait
pas désiré abriter le portrait qui avait été exposé durant 17 ans à la National
Portrait Gallery suite à un prêt du duc de Leeds alors que le département du
Trésor qui avait racheté le tableau s'était évertué à le lui remettre au lieu
de le faire placer là où il avait été. De plus, il ne s'agissait pas de la meilleure
version peinte par Goya qui avait instillé plus de talent dans la composition
du portrait équestre de Wellington exposé à Apsley House.
A présent, le portrait n'est plus exposé
au musée où il été envoyé au département des restaurations pour être nettoyé
alors qu'il a été envisagé de l'exposer en compagnie du portrait équestre et du
dessin pris sur le vif appartenant au département des gravures du British
Museum qui avait servi à exécuter ces deux œuvres après la bataille de
Salamanque lorsque Goya avait persuadé Wellington de poser pour lui en le
menaçant d'un pistolet.