Le marché de l'art ne vit en fait qu'à travers des gros coups médiatiques. Ojjeh est un nom mythique pour ce marché même si certains invités, probablement nés avec une cuillère d'argent dans la bouche, se sont permis odieusement de chuchoter à voix basse que l'origine de sa fortune sentait un peu la poudre à canon.
Tout aussi mythique est le nom de Marilyn Monroe dont Christie's va vendre les souvenirs personnels. Tout le monde, ou presque, se pâmera durant cette vente en ne retenant que la légende et en oubliant la pauvre Norma Jean Baker, si naïve, si mal dans sa peau, si névrosée, si fragile, si accro aux antidépresseurs, si menacée par sa gloire et si désireuse d'être aimée n'avait eu aucune chance de vivre une vie normale.
Les stars et les grands collectionneurs sont là pour faire vibrer le marché de l'art lequel éprouve la nécessité de préserver, sinon d'élargir, le cercle de son aristocratie pour maintenir le rythme des ventes au plus haut.
Le jeu semble pour l'instant bien huilé. L'aristocratie fournit ainsi certains de ses représentants à Christie's ou à Sotheby's pour leur permettre surtout d'entretenir des relations avec des vieilles familles de la noblesse européenne qui ont jusque là jalousement conservé leurs trésors. Certaines affaires se concluent souvent à coups de bonnes manières et selon un rituel très spécial qui auraient vite mis n'importe lequel des roturiers hors jeu d'emblée.
Christie's et Sotheby's ont donc bien besoin de courtiser autant les aristocrates que les riches collectionneurs américains ou d'autres parvenus ainsi que certains journalistes dont la plume peut devenir subitement bien dithyrambique à partir du moment où ceux-ci se voient offrir des postes de conférenciers par ces deux grandes maisons. A croire que l'éthique ne concerne que les chiens…
Il serait toutefois malséant de critiquer ces journalistes qui se permettent de couvrir des ventes pour leurs journaux ou revues tout en travaillant en même temps pour les maisons qui organisent ces vacations. Ceux-là ne font que suivre l'exemple du grand expert Berenson qui se montra si conciliant avec le marchand Duveen entre les deux guerres.
Devenu Lord, ce fut Duveen qui sut le premier réaliser de grandes affaires avec l'aristocratie et ce, dans les deux sens, pour alimenter le marché de l'art. Mais sa soif de réussite le poussa à duper de nombreux riches Américains en se servant du complaisant Berenson lequel, par besoin d'argent, devint le complice de détestables de magouilles.
Secrétaire à abattant de Jean-Henri Riesener Ebène et bronzes dorés, Epoque Louis XV
Aujourd'hui donc le marché se maintient mais les premiers signes d'un tarissement de la marchandise de grande qualité dans l'ancien et même le moderne viennent d'apparaître depuis plus d'un an.
On commence à s'inquiéter face à la diminution des objets et des tableaux de qualité musée qui passent en vente même si les prix de ceux qui sont adjugés continuent encore de monter. On craint de ne dénicher plus rien de valable dans un proche avenir et les maisons de vente se préparent à changer de fusil d'épaule en faisant le forcing dans le domaine de l'art contemporain.
L'aristocratie actuelle du marché de l'art, surtout celle qui s'appuie sur les bastions de l'art ancien et de l'art moderne, risque bien un jour d'être confrontée à une sorte de révolution lorsque l'art contemporain deviendra le fer de lance des grandes maisons de vente car celles-ci devront alors courtiser d'autres élites dont souvent le seul titre de noblesse aura été de réussir dans les affaires ou le show-business.
Les cocktails servant aux présentations de grandes ventes auront peut-être un air bien différent vers l'an 2005 avec des invités moins obnubilés par les bonnes manières et plus portés sur le franc-parler des golden boys et des nouveaux riches. Exit donc les smokings, les costumes et les robes classiques et bonjour les tenues sans cravate ou carrément extravagantes. Au revoir les accents guindés, alambiqués et surfaits de la haute société parisienne ou londonienne et bonjour les expressions linguistiques hard, triviales mais si terriblement directes.
Au final, l'aristocratie du capitalisme succèdera simplement à celle des grandes familles et des nostalgiques du bon vieux temps avec cependant une exception, à savoir que les parvenus réussiront peut-être à s'adapter à ce changement que les grandes maisons de ventes n'hésiteront pas à conduire au moment voulu.
En attendant, «Cheers !» et rendez-vous au prochain grand cocktail où il sera de mise pour les privilégiés de se faire voir et de déguster les petits fours le petit doigt en l'air en gardant la bouche en cul de poule. Tout en faisant mine de s'extasier devant des œuvres d'art exceptionnelles, ils pourront lâcher alors entre deux bouchées : «Jesus Christie's, it's so heartening…»
Adrian Darmon
De nombreux visiteurs triés sur le volet ont assisté au cocktail organisé à Paris par Christie's le 28 septembre 1999 pour présenter une sélection de la collection Akram Ojjeh, destinée à être vendue en plusieurs vacations du 1er novembre au 17 décembre prochains à New York, Londres et Monaco.
La crème de la crème des milieux mondains parisiens était présente lors de cette soirée au cours de laquelle le champagne et les petits fours semblaient avoir autant la vedette que les œuvres de Picasso, Van Dongen, Matisse, Van Gogh, Pissarro, Monet et autres grands maîtres accrochées aux cimaises.
Vincent Van Gogh, "Le Pont de Trinquetaille, Arles", 1888
Les femmes avaient pour la plupart mis des robes griffées et exhibaient de beaux bijoux tandis que certaines paradaient avec l'espoir de tomber sur quelque connaissance afin de s'entendre dire qu'elles avaient rajeuni de vingt ans, sachant qu'en si bonne compagnie, personne n'allait avoir l'outrecuidance de leur demander derechef l'adresse de leur chirurgien esthétique.
De leur côté, beaucoup de ces messieurs arboraient un teint halé hérité de vacances récentes du côté de la Sardaigne ou d'autres endroits huppés, et veillaient à manier avec un art consommé un langage châtié pour évoquer des anecdotes qu'ils voulaient savoureuses. Par ailleurs, certains n'oubliaient pas d'élever la voix pour être entendus de leurs voisins histoire de les rendre envieux en annonçant leur intention d'enchérir durant cette série de ventes. A croire qu'il reste encore des naïfs au sein de ce joli monde puisque ce soir là, il n'y avait en réalité qu'une quinzaine d'acheteurs potentiels sur quelque 700 invités.
Alors pourquoi ce genre de raout raffiné qui permet aux aristocrates et aux parvenus de se retrouver dans une atmosphère parfumée d'un snobisme outrancier pour jouer une savante comédie orchestrée par les pontes de Christie's ?
Tout simplement parce qu'il est nécessaire de traiter ces invités comme des VIP puisque certains d'entre eux possèdent des trésors que Christie's pourrait avoir l'honneur de vendre un jour.
Henri Fantin-Latour, "Vase de pivoines"
Le marché de l'art ne vit en fait qu'à travers des gros coups médiatiques. Ojjeh est un nom mythique pour ce marché même si certains invités, probablement nés avec une cuillère d'argent dans la bouche, se sont permis odieusement de chuchoter à voix basse que l'origine de sa fortune sentait un peu la poudre à canon.
Tout aussi mythique est le nom de Marilyn Monroe dont Christie's va vendre les souvenirs personnels. Tout le monde, ou presque, se pâmera durant cette vente en ne retenant que la légende et en oubliant la pauvre Norma Jean Baker, si naïve, si mal dans sa peau, si névrosée, si fragile, si accro aux antidépresseurs, si menacée par sa gloire et si désireuse d'être aimée n'avait eu aucune chance de vivre une vie normale.
Les stars et les grands collectionneurs sont là pour faire vibrer le marché de l'art lequel éprouve la nécessité de préserver, sinon d'élargir, le cercle de son aristocratie pour maintenir le rythme des ventes au plus haut.
Le jeu semble pour l'instant bien huilé. L'aristocratie fournit ainsi certains de ses représentants à Christie's ou à Sotheby's pour leur permettre surtout d'entretenir des relations avec des vieilles familles de la noblesse européenne qui ont jusque là jalousement conservé leurs trésors. Certaines affaires se concluent souvent à coups de bonnes manières et selon un rituel très spécial qui auraient vite mis n'importe lequel des roturiers hors jeu d'emblée.
Christie's et Sotheby's ont donc bien besoin de courtiser autant les aristocrates que les riches collectionneurs américains ou d'autres parvenus ainsi que certains journalistes dont la plume peut devenir subitement bien dithyrambique à partir du moment où ceux-ci se voient offrir des postes de conférenciers par ces deux grandes maisons. A croire que l'éthique ne concerne que les chiens…
Il serait toutefois malséant de critiquer ces journalistes qui se permettent de couvrir des ventes pour leurs journaux ou revues tout en travaillant en même temps pour les maisons qui organisent ces vacations. Ceux-là ne font que suivre l'exemple du grand expert Berenson qui se montra si conciliant avec le marchand Duveen entre les deux guerres.
Devenu Lord, ce fut Duveen qui sut le premier réaliser de grandes affaires avec l'aristocratie et ce, dans les deux sens, pour alimenter le marché de l'art. Mais sa soif de réussite le poussa à duper de nombreux riches Américains en se servant du complaisant Berenson lequel, par besoin d'argent, devint le complice de détestables de magouilles.
Secrétaire à abattant de Jean-Henri Riesener Ebène et bronzes dorés, Epoque Louis XV
Aujourd'hui donc le marché se maintient mais les premiers signes d'un tarissement de la marchandise de grande qualité dans l'ancien et même le moderne viennent d'apparaître depuis plus d'un an.
On commence à s'inquiéter face à la diminution des objets et des tableaux de qualité musée qui passent en vente même si les prix de ceux qui sont adjugés continuent encore de monter. On craint de ne dénicher plus rien de valable dans un proche avenir et les maisons de vente se préparent à changer de fusil d'épaule en faisant le forcing dans le domaine de l'art contemporain.
L'aristocratie actuelle du marché de l'art, surtout celle qui s'appuie sur les bastions de l'art ancien et de l'art moderne, risque bien un jour d'être confrontée à une sorte de révolution lorsque l'art contemporain deviendra le fer de lance des grandes maisons de vente car celles-ci devront alors courtiser d'autres élites dont souvent le seul titre de noblesse aura été de réussir dans les affaires ou le show-business.
Les cocktails servant aux présentations de grandes ventes auront peut-être un air bien différent vers l'an 2005 avec des invités moins obnubilés par les bonnes manières et plus portés sur le franc-parler des golden boys et des nouveaux riches. Exit donc les smokings, les costumes et les robes classiques et bonjour les tenues sans cravate ou carrément extravagantes. Au revoir les accents guindés, alambiqués et surfaits de la haute société parisienne ou londonienne et bonjour les expressions linguistiques hard, triviales mais si terriblement directes.
Au final, l'aristocratie du capitalisme succèdera simplement à celle des grandes familles et des nostalgiques du bon vieux temps avec cependant une exception, à savoir que les parvenus réussiront peut-être à s'adapter à ce changement que les grandes maisons de ventes n'hésiteront pas à conduire au moment voulu.
En attendant, «Cheers !» et rendez-vous au prochain grand cocktail où il sera de mise pour les privilégiés de se faire voir et de déguster les petits fours le petit doigt en l'air en gardant la bouche en cul de poule. Tout en faisant mine de s'extasier devant des œuvres d'art exceptionnelles, ils pourront lâcher alors entre deux bouchées : «Jesus Christie's, it's so heartening…»