Les oeuvres de l'artiste russe Marc Chagall (1887-1985) sont présentées jusqu'au 23 juin 2003 aux Galeries nationales du Grand Palais. Peintre du fantastique, adulé du public et de la critique, Chagall a néanmoins posé question puisque sa carrière s'est déroulée d'abord en Russie puis en France.
La période russe durant laquelle Chagall a créé des oeuvres mêlant le Cubisme et le Surréalisme avec un intermède à Paris de 1911 jusqu'en 1914 est de loin la meilleure du peintre. A son retour à Montparnasse quatre ans après la Première Guerre Mondiale, Chagall a perdu peu à peu de sa verve pour ne produire que des sujets répétés à l'infini, des fiancés, des mariés, des amoureux, des fleurs et d'autres thèmes qui assurèrent néanmoins sa gloire.
A partir de 1925, Chagall s'est semble-t-il voulu avant tout onirique en rompant les liens avec le Cubisme et en devenant progressivement prolifique dans un registre bien délimité tout en se montrant toutefois magistral dans l'utilisation de la couleur.
Aîné d'une famille de neuf enfants, Moshe Segal naquit à Vitebsk dans un milieu hassidique qui baigna son enfance et le marqua à jamais. Grâce à l'aide d'un mécène, il vint à Paris à l'âge de 23 ans et adopta le nom de Marc Chagall.
Ce sont 179 tableaux que les visiteurs pourront découvrir au cours de cette très belle exposition, notamment son autoportrait de 1912 , "Le Golgotha", une oeuvre pourtant éloignée de ses premières préoccupations, et le portrait de Bella au col blanc de 1917.
Définir au mieux Chagall est un exercice à priori difficile mais ce qui a caractérisé le plus cet artiste a été sa propension à refuser de se laisser absorber par un quelconque mouvement. Il a décliné le Cubisme sans excès, tout comme l'abstraction ou le Surréalisme mais toujours avec le désir de demeurer indépendant. Nommé commissaire des arts en 1917 en Russie, il s'est vite trouvé en conflit avec Malévitch et surtout la machine de propagande soviétique et a vite compris que son avenir se trouvait plutôt à Paris.
Conteur dans l'âme, Chagall a trouvé sa voie dans l'interprétation d'un monde imaginaire ou l'univers du rêve comme celui du cirque ou des fables en peignant des tableaux merveilleusement colorés.
Joyeux dans son oeuvre, Chagall fut en fait un peintre tourmenté, méfiant et inquiet malgré son apparent appétit de vivre. faussement candide, il ne faisait pas trop d'illusions sur la nature des hommes et s'il peignit des tableaux mielleux exhalant le bonheur, ce fut probablement pour se trouver un exutoire à une perpétuelle angoisse.
En somme, Chagall a été une sorte de fabuliste de la peinture désireux de chasser ses propres démons tout en éprouvant la nostalgie de son enfance et peut-être la sensation d'avoir trahi les siens à travers des expériences qui l'éloignèrent d'un monde particulier pour le projeter dans la tourmente de la révolution russe puis vers la lumière de Paris. On imagine alors son combat intérieur et ce qu'il ressentit face aux sombres événements de la Seconde Guerre Mondiale en se réfugiant dans un monde virtuel de beauté et d'amour.
A.D