Plus de 88,000 dollars pour une mouche en plastique et métal de Tom Friedman et plus de 1,6 millions dollars un simple rideau de perles en plastique de l'artiste cubain Felix Gonzales-Torres, mort du Sida à 37 ans en janvier 1996. On peut croire que les ventes d'art contemporain organisées par Christie's au début du mois de novembre 2000 ont vraiment flirté avec le surnaturel sinon l'indécence.
La mouche de Friedman, un artiste qui vient tout juste d'émerger sur le marché, peut se trouver dans n'importe quelle boutique de farces et attrapes pour moins de 15 francs. Promue au rang d'objet d'art grâce à un savant battage médiatique de la part des stratèges du marketing de chez Christie's, elle s'est «envolée» dans la stratosphère d'un marché devenu fou. Quant au rideau de Gonzales-Torres, il ne vaudrait pas plus de 200 francs dans une quelconque droguerie de n'importe quel pays du sud de l'Europe. A plus de 12 millions francs, il a de quoi donner un coup de chaleur à son acquéreur.
On n'ignorait pas que les artistes contemporains tournaient quelque peu en rond depuis une dizaine d'années et que les maisons de vente s'acharnaient à trouver de nouveaux filons en exploitant des veines surtout médiatiques mais à présent, le marché semble sombrer dans une dangereuse folie.
Il conviendrait d'y remettre de l'ordre pour éviter de fichus désagréments à ceux qui ont misé sur des artistes ou des photographes, dont les œuvres sont considérées comme des œuvres d'art, présentés maintenant comme les héritiers de Picasso, Warhol, Basquiat, de Kooning, Jasper Johns, Jackson Pollock ou Mark Rothko.
Mais le problème est avant tout de savoir où résident les responsabilités. Concernant ces manipulations inquiétantes, les maisons de vente ne sont pas innocentes car elles n'hésitent pas à faire un battage médiatique monstrueux autour d'artistes qui sont loin d'avoir fait la preuve de leur génie créatif.
Toutefois, les maisons de vente ne sont pas les seules à mettre en cause car pour participer à ce jeu, il y a nécessairement des complices très actifs qui se trouvent parmi ces nouveaux collectionneurs ayant fait fortune à la bourse mais qui ne connaissent pratiquement rien à l'art.
Résultat : ces derniers ne misent que sur artistes qui risquent de ne plus rien valoir d'ici vingt ans.
L'appauvrissement du réservoir de tableaux modernes de qualité représente également un facteur à prendre en compte, tout comme le fait que des peintres comme de Kooning, Jasper Johns et Warhol soient devenus inabordables.
En conséquence de quoi, il existe une zone d'achats entre 100,000 et 3 millions de dollars qui attire tous ces nouveaux collectionneurs lesquels se jettent comme des affamés sur des œuvres discutables et des photographies présentées abusivement comme des œuvres d'art.
L'acheteur de ce fameux rideau de perles en plastique pourra toujours prétendre être le possesseur d'une œuvre rare. Il n'empêche, ceux qui auront été invités à admirer son acquisition ne manqueront certainement pas de se moquer de lui dans son dos.
On peut toujours penser que le ridicule ne tue pas mais à la longue, les prix records enregistrés sur des artistes comme Jeff Koons, Thomas Struth, Damien Hirst, Tom Friedman, Gonzales-Torres et d'autres vont finir par lasser les véritables amoureux de l'art et provoquer une belle panique sur le marché qui ressemble de plus en plus à celui de Wall Street.
Depuis deux décennies, l'argent fait la loi sur le marché dae l'art, surtout celui gagné rapidement par de jeunes et ambitieux entrepreneurs qui pour la plupart ne prennent pas le temps d'apprécier l'art à sa juste valeur. Dès qu'un artiste se retrouve catapulté sur le devant de la scène à la suite d'une campagne médiatique intensive, ces nouveaux collectionneurs paraissent croire que les prix de ses œuvres vont grimper encore plus vite que les cours du Nasdaq.
Picasso a dû attendre près d'une vingtaine d'années avant de devenir une valeur sûre du marché alors qu'aujourd'hui, un artiste comme Tom Friedman, encore anonyme il y a peu, atteint un niveau de prix ubuesque avec une œuvre qui n'en est pas vraiment une, une mouche qui risque d'amener le marché à battre de l'aile un de ces quatre matins.
Pour sauvegarder celui-ci, il semble urgent de considérer les choses à leur juste valeur avant que la comédie qui se joue en ce moment ne se termine sur un four et que les acteurs s'enfuient avant que le rideau ne tombe.
N'oublions pas finalement qu'il existe de vrais artistes à travers la planète aptes à créer des choses intéressantes mais qui n'ont pas la chance de fréquenter les arcanes où des petits malins s'emploient à transformer de pseudo créateurs en stars. On ne mise ainsi que sur du virtuel sauf que les colossales sommes d'argent qui vont être perdues seront bien réelles.
Adrian Darmon