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Celui qui s'arrête à Saint-Quentin risque de ne pas savoir compter jusqu'à cinquante-deux (proverbe surréaliste)
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Photographie
L'ART DU NU AU XIXe SIECLE par Adrian Darmon
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Cet article se compose de 11 pages.
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PHILIPPE DERUSSY, UN CERTAIN INTIMISME On ignore tout de la vie de Derussy qui travaillait dans un studio rue des Prouvaires, près de la rue St-Honoré depuis au moins 1845. Il produisit nombre de daguerréotypes et également des tirages stéréoscopiques sur papier salé délicatement coloriés à la gouache. On sait qu'il exerçait aussi comme professeur mais on perd sa trace dès 1852. La photographie reproduite ci-contre est un agrandissement de la partie gauche d'un daguerréotype stéréoscopique colorié et viré au chlorure d'or piqueté sur les boucles d'oreilles réalisé sur une plaque 2/6. Le modèle représenté est une jeune femme au regard alangui photographiée dans une pose très érotique. Elle a l'air diaphane et mystérieuse comme ces femmes peintes par Ingres. Il s'agit là d'un magnifique canon de la beauté de la 2e moitié du XIXe siècle.
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La photographie au service des artistes mais aussi des artistes photographes Alors que depuis l'époque de la Renaissance, les peintres avaient peint des multitudes de nus ou des scènes mythologiques mettant en scène des déesses dénudées sans trop encourir les foudres des censeurs, les premiers photographes qui cherchèrent à les imiter furent rapidement poursuivis et sanctionnés par les autorités. En fait, ce que les peintres pouvaient montrer à travers leurs tableaux n'était plus possible par le biais de la photographie laquelle représentait le corps humain dans toute sa réalité. La nuance fut de taille et confina donc la photographie de nus dans le domaine de l'interdit durant des décennies. Le réel, montré par la photographie, était inadmissible aux yeux des représentants de la société pudibonde du Second Empire tandis que le suggéré en peinture passait sans trop de problème la rampe des interdits. La photographie resta donc réservée aux voyeurs tandis que la peinture faisait la joie des esthètes. Les photographes ne faisaient pas que du nu, ils produisaient aussi des portraits aujourd'hui émouvants car ils montrent la femme des années 1850-1860 dans toute sa réalité. De nombreux modèles posaient non seulement devant l'objectif mais aussi dans des ateliers de peintres, d'autres étaient probablement des femmes légères issues de bordels mais qu'importe puisque ces filles prirent part à une sorte de révolution qui devait bouleverser la société d'alors. La photographie devint populaire à travers le portrait mais elle servit aussi au travail de grands artistes qui ne rechignérent pas à l'utiliser tels Delacroix et Courbet ou plus tard Rodin. Du Daguerréotype on passa au calotype puis au papier salé et à la photographie sur verre avant de parvenir au tirage albuminé et les nus se multipliérent au singulier comme au pluriel, au féminin comme au masculin, de la simple pose à l'écartement des cuisses, du beau au vulgaire, de l'érotique à la pornographie. Au fil des ans, les femmes devinrent plus sveltes, puis sportives, plus modernes jusqu'à l'invention du cinéma qui laissa alors la photographie s'enfoncer dans la banalité du moins jusqu'à l'apparition de Man Ray ou d'autres artistes de la pellicule qui heureusement font aujourd'hui de la photo un art. Les pionniers des années 1850, qui étaient tous des artistes, eurent le mérite de composer avec la réalité et de montrer la femme de leur époque d'une manière émouvante. Il est vrai qu'une telle imagerie pouvait être choquante aux yeux des bourgeois dont les représentants du sexe fort ne s'encanaillaient qu'en catimini dans de discrets lupanars. Les photographies libertines avaient aussi le tort d'être de dimensions réduites et de circuler facilement avec le risque d'être vues par d'innocents enfants ou des femmes de la bonne société qui pouvaient alors se poser des questions embarrassantes au sujet de leur condition et de ces filles sans pudeur qui semblaient appartenir à un autre monde. Ces clichés extraordinaires, qui montrent qu'il n'y a vraiment pas de différences notables entre les femmes du XIXe siècle et celles d'aujourd'hui, tant au plan des formes et des attitudes, révélaient une vérité insupportable et exposaient leurs auteurs à subir les foudres de la justice. Ils sont à présent de fabuleux documents de l'histoire de l'art et reflètent une image nette de leur époque sans pour autant que l'imagination de ceux qui les contemplent puisse être restreinte. On peut donc laisser errer avec plaisir nos regards sur ces photos des années 1850 qui nous invitent à rêver à propos de ces femmes qui eurent le courage de se montrer nues devant l'objectif et de révéler enfin leur érotisme en pleine lumière. Adrian Darmon
AUGUSTE BELLOC, ARTISTE ET INVENTEUR Né en 1800, Auguste Belloc travailla d'abord comme miniaturiste et aquarelliste avant de découvrir la photographie. Vers 1845, il s'enthousiasma pour la découverte du collodion humide, en raison de la finesse des rendus, et fit des recherches pour obtenir un meilleur support pour le négatif. Il s'installa dans un studio au 5, Boulevard Montmartre et se spécialisa dans le portrait et le nu. En 1853, après avoir inventé de nouveaux procédés, il publia son premier livre sur la photographie. En 1854, il déménagea au 16 rue de Lancry et devint membre fondateur de la Société Française de Photographie. Considérant alors le daguerréotype dépassé, il préféra le colodion humide et se passionna pour la stéréoscopie. Après avoir édité plusieurs ouvrages, il inventa de nouveaux systèmes pour les appareils et travailla pratiquement jusqu'à sa mort en 1867. Belloc peut à juste titre être considéré comme un pionnier de la photographie du nu féminin.
BRUNO BRAQUEHAIS, LE THEATRAL
Bruno Braquehais naquit à Dieppe en 1823 et mourut en 1875 à la Celle Saint-Cloud. En 1850, il proposait des daguerréotypes coloriés et avait son atelier au 10 place de la Madeleine. Braquehais était muet et son infirmité parait avoir eu certaines conséquences sur sa façon de faire poser ses modèles.Plus théâtral qu'intimiste, il sut malgré tout donner une présence charnelle à ses modèles. Braquehais déménagea en 1852 au 100 rue de Richelieu et produisit des photographies de grande qualité. Après avoir épousé la fille d'Alexis Gouin, un autre grand photographe, il s'installa vers 1855 au 37, rue Louis-le-Grand puis plus tard au 11, Boulevard des Italiens. Sa dernière activité connue, après une série d'expositions dans les années 1860, fut un reportage sur Paris pendant les événements de la Commune.
PHILIPPE DERUSSY, UN CERTAIN INTIMISME On ignore tout de la vie de Derussy qui travaillait dans un studio rue des Prouvaires, près de la rue St-Honoré depuis au moins 1845. Il produisit nombre de daguerréotypes et également des tirages stéréoscopiques sur papier salé délicatement coloriés à la gouache. On sait qu'il exerçait aussi comme professeur mais on perd sa trace dès 1852. La photographie reproduite ci-contre est un agrandissement de la partie gauche d'un daguerréotype stéréoscopique colorié et viré au chlorure d'or piqueté sur les boucles d'oreilles réalisé sur une plaque 2/6. Le modèle représenté est une jeune femme au regard alangui photographiée dans une pose très érotique. Elle a l'air diaphane et mystérieuse comme ces femmes peintes par Ingres. Il s'agit là d'un magnifique canon de la beauté de la 2e moitié du XIXe siècle.
LOUIS JULES DUBOSQ-SOLEIL, UN CERTAIN REGARD Jules Dubosc naquit à Paris en 1817. Très jeune, il assista l'opticien Soleil dans ses recherches. En épousant sa fille, il prit le nom de Duboscq-Soleil et reprit l'affaire de son beau-père au 21, rue de l'Odéon en 1849. Après avoir rencontré le photographe anglais Brewster, il produisit de beaux daguerréotypes stéréoscopiques et construisit un appareil qui séduisit les Anglais en 1851. Tout en perfectionnant des instruments d'optique et de photographie - il créa un photomètre avec Gouin pour mesurer l'intensité lumineuse - il inventa de nouveaux procédés, notamment de négatif au collodion sec sur verre. Impliqué dans de nombreux procès contre des concurrents, il continua malgré tout à inventer de nouveaux procédés et poursuivit sa carrière de photographe durant de longues années. Il mourut en 1886.
ALEXIS GOUIN, UN ROMANTIQUE Alexis-Louis-Charles Arthur Gouin naquit à New-York vers la fin du XVIIIe siècle et nul ne sait à quelle époque il vint en France. Il étudia la peinture à l'Académie des Beaux-Arts de Paris sous la direction de Jean-Baptiste Regnault avant de travailler dans l'atelier d'Anne-Louis Girodet. Fortement marqué par son initiation à la peinture, Gouin fut un des premiers à pratiquer la photographie mais ce ne fut qu'en 1849 que son nom apparut pour la première fois dans les registres commerciaux de Paris avec son adresse au 50, rue Basse-du-Rempart. Deux ans plus tard, il déménagea au 37, rue Louis-le-Grand où il travailla jusqu'à sa mort. Il inventa une machine à polir les plaques et un photomètre pour mesurer la lumière. On jugea ses clichés proches de la perfection et nimbés d'une poésie certaine. Considéré comme un véritable artiste, il mourut en 1855 laissant son studio à sa fille, épouse de Braquehais.
FELIX JACQUES-ANTOINE MOULIN, UN ARTISTE Felix Jacques- Antoine Moulin naquit entre 1810 et 1820 et montra vite d'extraordinaires dispositions comme photographe du nu féminin. Sachant mettre en valeur la beauté du corps de la femme, il fut le précurseur de la photographie dite de charme. Installé au 31 bis rue du Faubourg Montmartre, il réalisa en 1849 et 1850 une série de nus sur daguerréotypes en pleine et demi-plaques avec de jeunes modèles non professionnels. Il s'agissait de jeunes filles âgées entre 14 et 16 ans en phase d'épanouissement, encore adolescentes, pas tout à fait femmes. En 1851, il eut des problèmes avec la police après la saisie de photographies jugées licencieuses. Le revendeur fut condamné à un an de prison et Moulin à un mois. Ayant ouvert une autre entrée à son studio, au 23 rue Richer et devenu par la suite plus prudent, il enseigna la photographie, vendit des appareils et développa de nouvelles techniques. Considéré comme un artiste par la critique, loué pour la qualité de ses images et pour la poésie qui s'en dégageait, Moulin obtint une sorte de douce revanche après ses avatars avec la justice. Il voyagea ensuite en Algérie d'où il rapporta des centaines de clichés, participa à des expositions, notamment à Londres en 1861 et se retira des affaires l'année suivante.
LOUIS-CAMILLE D'OLIVIER, LE MYSTERIEUX On ne connaît pas grand chose de la vie de ce photographe qui serait né vers 1815. Il fut l'élève en peinture de Léon Coigniet et sans doute l'ami et l'admirateur de Gouin qui l'amena à découvrir la photographie. Il créa une «Société Photographique» basée au 18, rue de la Pépinière en 1853 et produisit de nombreux clichés sur une période de cinq ans. Il commença avec le collodion humide sur verre pour réaliser ses académies habilement mises en scène à la manière des peintres de son époque. Numérotant ses stéréoscopies qu'il tirait souvent sur un papyrus glacé colorié délicatement, il en signait certaines avec un petit rameau d'olivier dans l'angle inférieur droit de l'image de droite. Son nom tomba dans l'oubli après 1857. Aujourd'hui, ses images, qui témoignent d'un certain raffinement dans les poses, sont très recherchées des collectionneurs.
ATTRIBUTIONS Ce tirage, qui un est un agrandissement de la partie droite d'un daguerréotype stéréoscopique colorié, a été réalisé vers 1850-52. Il pourrait s'agir d'un travail de Belloc ou de Gouin. Daguerréotype stéréo vers 1850-53 Agrandissement de la partie gauche d'un daguerréotype stéréo (Attribuée à Richebourg) colorié vers 1851-1852. Braquehais ou Duboscq-Soleil ?
Agrandissement de la partie droite d'un daguerréotype non colorié vers 1850-52. Ce tirage faisait partie d'un lot vendu par Richebourg. Ce dernier, né en 1810, fut un élève de Daguerre et travailla avec l'opticien Chevalier. Il eut un atelier au 69 puis au 29 quai de l'Horloge, publia des ouvrages sur les daguerréotypes et inventa de nombreux procédés. En 1852, il produisit des images sur papier et fit des essais d'agrandissement puis il voyagea en Russie après 1858 et rapporta plus de 200 photographies de Saint-Pétersbourg et de ses environs. Après avoir participé à diverses expositions et eu l'idée de la fabrication de la photo d'identité pour les passeports et pour la police afin de ficher les criminels, il disparut en 1873. Adrian Darmon © Tous les clichés proviennent de la collection Serge Nazarieff à Genève.
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