L'artiste plasticienne Carolle Schneemann qui avait beaucoup
travaillé avec le corps en s'intéressant notamment à la sexualité et aux tabous
est décédée le 6 mars 2019.
Née le 12 octobre 1939 à Fox Chase (Pennsylvanie), cette artiste
pluridisciplinaire avait produit des peintures, des films expérimentaux, des
photographies, des performances et des installations en apportant une
contribution importante à divers mouvements artistiques américains, notamment le
Happening, le Body Art et l'art féministe.
Aînée de trois enfants, fille d'un médecin de campagne, Carolee
Schneemann avait grandi en Pennsylvanie dans un environnement rural en
commençant à dessiner à l'âge de quatre ans mais, de par ses origines, elle n'avait
eu réellement l'occasion d'approcher le monde culturel que bien plus tard.
Ayant obtenu une bourse d'études, elle avait étudié au Bard College afin
d'étudier la peinture avant de fréquenter le monde de l'art new-yorkais et
notamment le milieu de l'Expressionnisme abstrait.
Exclue de Bard pour d'obscures allégations de « débauche morale »
elle s'était inscrite au département de peinture et de sculpture de l'Université
Columbia et à la New School for Social Research de New York puis avait épousé
le musicien James Tenney avec lequel elle avait étudié à l'Université de l'Illinois.
Durant toute cette période de formation, Schneemann avait réalisé des collages
(Pope Still Suffering, collage, 1954) et des tableaux fortement inspirés
par l'Expressionnisme abstrait (Portrait of Jane Brakhage, huile
sur toile, 1958). Néanmoins, en ce début des années 1960, on lui avait fait comprendre
qu'en tant que femme, il était illusoire d'espérer faire carrière dans l'art,
un milieu dominé par les hommes.
Sans pour autant abandonner la peinture, Schneemann s'était
détournée de ce milieu extrêmement machiste pour se rapprocher de l'avant-garde
new-yorkaise. En 1961, de retour à New York, elle s'était liée avec Allan
Kaprow dont les premiers happenings l'avaient profondément marquée. En
participant au happening Store Days (1962) de Claes Oldenburg,
elle avait rencontré le compositeur
Philip Corner en prenant dans le même temps des cours de danse avec Arlene Rothlein.
En mai 1962, elle créa le happening Glass Environment
for Sound and Motion au Living Theatre avec, entre autres Philip
Corner et Yvonne Rainer en percevant son travail sur le corps comme une « exploration de
l'image en mouvement » pour parler de « théâtre cinétique ». Dès les débuts du Judson
Dance Theater, stimulée par ce renouvellement profondément radical du corps
dansant, elle se joignit au collectif, qui regroupait des chorégraphes, des
danseurs, mais aussi des artistes et des musiciens. Dans ce contexte, elle
réalisa des performances majeures : d'abord Newspaper Event en
1963, puis Meat Joy en 1964. D'abord présentée à l'American
Center de Paris, pendant le Festival de la Libre Expression le 29 mai 1964,
cette performance capitale dans l'histoire de l'art fut ensuite recréée à la
Judson Church, où elle fut filmée. Rite érotique aussi extatique que
dionysiaque, Meat Joy pulvérisait toute limite. Les huit
performeurs, nus, devaient improviser en utilisant notamment de la viande et du
poisson crus. Mêlant geste, chair, peinture fraîche, déferlement d'énergie, la
pièce réfléchissait notamment à la notion de corps comme matériau.
Entre-temps, elle avait travaillé sur Eye Body, une œuvre
extrêmement significative dans sa carrière. À partir de 1962, elle élabora tout
un environnement, conçu à partir de grands panneaux mêlant unités de couleurs,
morceaux de miroirs et de verre, lumières, des parapluies et des parties
motorisées. En décembre 1963, désireuse d'inclure son propre corps dans cet
environnement, elle couvrit son corps nu de peinture, de craie, de corde et de
plastique puis s'intégra dans l'installation. Pour elle, il s'agissait
d'explorer « les
qualités picturales de la chair utilisée comme un matériau »,le
corps étant à la fois érotique et sexuel, gestique et votif, primitif et
archaïque. Selon Schneemann, le tracé et le geste
émergeaient de sa volonté créatrice de femme se rebellant contre le fait
que durant des années on avait regardé ses
travaux les plus audacieux comme si c'était quelqu'un d'autre à l'intérieur d'elle
qui les avait créés, ils étaient considérés comme "masculins" parce qu'ils étaient vus comme agressifs et
osés alors que durant toute sa carrière, le fait d'être une femme
et de travailler avec le corps, l'empêcha d'acquérir une reconnaissance méritée
dans le monde artistique particulièrement sexiste.
Au-delà
d'une sensibilité féministe très tôt développée, la sexualité fut
extrêmement importante dans l'œuvre de Carolee Schneemann. Entre 1964 et
1967, elle réalisa un film expérimental intitulé Fuses mêlant
plusieurs médiums : cinéma, collage et peinture. Les images montrèrent
Schneemann et son partenaire James Tenney en train de faire l'amour sous l'œil
de leur chat. Ne s'intéressant guère au genre pornographique, elle s'employa plutôt à dépeindre l'atmosphère amoureuse et érotique se tissant
autour de l'acte sexuel, montré sans nulle censure : « Quand j'ai dit AMOUR je voulais parler d'amour
ÉROTIQUE : la profonde métamorphose du don de soi que chacun prodigue
réciproquement [...] célébrer, illuminer le respect, la tendresse, la
confiance, la passion et l'estime... mettre joyeusement tout ce que nous sommes
entre les mains de quelqu'un d'autre... tous les contacts, caresses,
expressions possibles et désirées », avait-elle
souligné.
Dans ce film, les images très travaillées, colorées et couvertes
de collages, étaient accompagnées du bruit de la mer et de cris de mouettes,
créant un univers sensuel très poétique et lyrique.
En
août 1975, Schneemann réalisa la performance Interior Scroll dans
le cadre de l'exposition Women Here and Now en se penchant sur ce
qu'elle appelait l'«espace vulvique » et
à la symbolique matriarcale. Remettant en question l'association systématique
du corps et de la sensibilité au féminin d'une part, et de l'intelligence et de
la rationalité au masculin d'autre part, elle se mit en scène juchée sur une table,
totalement nue, et proposa une lecture de son propre ouvrage, Cezanne,
She Was A Great Painter (paru en 1976). Le point culminant de la
performance la vit dérouler un rouleau de papier logé dans son vagin, lisant
le texte qui y était inscrit (un texte féministe tiré de son film Kitch's
Last Meal).
Ses œuvres ont été présentées au Musée d'art contemporain de Los
Angeles, au Museum of Modern Art de New York et au London National Fiulm
Theatre. Carolee Schneemann avait enseigné dans de nombreuses institutions,
dont l'Institut des Arts de Californie, l'Institut d'art de Chicago, le Hunter
College et l'Université de Rutgers,où elle avait été la première femme
professeur d'art.
L'artiste plasticienne Carolle Schneemann qui avait beaucoup
travaillé avec le corps en s'intéressant notamment à la sexualité et aux tabous
est décédée le 6 mars 2019.
Née le 12 octobre 1939 à Fox Chase (Pennsylvanie), cette artiste
pluridisciplinaire avait produit des peintures, des films expérimentaux, des
photographies, des performances et des installations en apportant une
contribution importante à divers mouvements artistiques américains, notamment le
Happening, le Body Art et l'art féministe.
Aînée de trois enfants, fille d'un médecin de campagne, Carolee
Schneemann avait grandi en Pennsylvanie dans un environnement rural en
commençant à dessiner à l'âge de quatre ans mais, de par ses origines, elle n'avait
eu réellement l'occasion d'approcher le monde culturel que bien plus tard.
Ayant obtenu une bourse d'études, elle avait étudié au Bard College afin
d'étudier la peinture avant de fréquenter le monde de l'art new-yorkais et
notamment le milieu de l'Expressionnisme abstrait.
Exclue de Bard pour d'obscures allégations de « débauche morale »
elle s'était inscrite au département de peinture et de sculpture de l'Université
Columbia et à la New School for Social Research de New York puis avait épousé
le musicien James Tenney avec lequel elle avait étudié à l'Université de l'Illinois.
Durant toute cette période de formation, Schneemann avait réalisé des collages
(Pope Still Suffering, collage, 1954) et des tableaux fortement inspirés
par l'Expressionnisme abstrait (Portrait of Jane Brakhage, huile
sur toile, 1958). Néanmoins, en ce début des années 1960, on lui avait fait comprendre
qu'en tant que femme, il était illusoire d'espérer faire carrière dans l'art,
un milieu dominé par les hommes.
Sans pour autant abandonner la peinture, Schneemann s'était
détournée de ce milieu extrêmement machiste pour se rapprocher de l'avant-garde
new-yorkaise. En 1961, de retour à New York, elle s'était liée avec Allan
Kaprow dont les premiers happenings l'avaient profondément marquée. En
participant au happening Store Days (1962) de Claes Oldenburg,
elle avait rencontré le compositeur
Philip Corner en prenant dans le même temps des cours de danse avec Arlene Rothlein.
En mai 1962, elle créa le happening Glass Environment
for Sound and Motion au Living Theatre avec, entre autres Philip
Corner et Yvonne Rainer en percevant son travail sur le corps comme une « exploration de
l'image en mouvement » pour parler de « théâtre cinétique ». Dès les débuts du Judson
Dance Theater, stimulée par ce renouvellement profondément radical du corps
dansant, elle se joignit au collectif, qui regroupait des chorégraphes, des
danseurs, mais aussi des artistes et des musiciens. Dans ce contexte, elle
réalisa des performances majeures : d'abord Newspaper Event en
1963, puis Meat Joy en 1964. D'abord présentée à l'American
Center de Paris, pendant le Festival de la Libre Expression le 29 mai 1964,
cette performance capitale dans l'histoire de l'art fut ensuite recréée à la
Judson Church, où elle fut filmée. Rite érotique aussi extatique que
dionysiaque, Meat Joy pulvérisait toute limite. Les huit
performeurs, nus, devaient improviser en utilisant notamment de la viande et du
poisson crus. Mêlant geste, chair, peinture fraîche, déferlement d'énergie, la
pièce réfléchissait notamment à la notion de corps comme matériau.
Entre-temps, elle avait travaillé sur Eye Body, une œuvre
extrêmement significative dans sa carrière. À partir de 1962, elle élabora tout
un environnement, conçu à partir de grands panneaux mêlant unités de couleurs,
morceaux de miroirs et de verre, lumières, des parapluies et des parties
motorisées. En décembre 1963, désireuse d'inclure son propre corps dans cet
environnement, elle couvrit son corps nu de peinture, de craie, de corde et de
plastique puis s'intégra dans l'installation. Pour elle, il s'agissait
d'explorer « les
qualités picturales de la chair utilisée comme un matériau »,le
corps étant à la fois érotique et sexuel, gestique et votif, primitif et
archaïque. Selon Schneemann, le tracé et le geste
émergeaient de sa volonté créatrice de femme se rebellant contre le fait
que durant des années on avait regardé ses
travaux les plus audacieux comme si c'était quelqu'un d'autre à l'intérieur d'elle
qui les avait créés, ils étaient considérés comme "masculins" parce qu'ils étaient vus comme agressifs et
osés alors que durant toute sa carrière, le fait d'être une femme
et de travailler avec le corps, l'empêcha d'acquérir une reconnaissance méritée
dans le monde artistique particulièrement sexiste.
Au-delà
d'une sensibilité féministe très tôt développée, la sexualité fut
extrêmement importante dans l'œuvre de Carolee Schneemann. Entre 1964 et
1967, elle réalisa un film expérimental intitulé Fuses mêlant
plusieurs médiums : cinéma, collage et peinture. Les images montrèrent
Schneemann et son partenaire James Tenney en train de faire l'amour sous l'œil
de leur chat. Ne s'intéressant guère au genre pornographique, elle s'employa plutôt à dépeindre l'atmosphère amoureuse et érotique se tissant
autour de l'acte sexuel, montré sans nulle censure : « Quand j'ai dit AMOUR je voulais parler d'amour
ÉROTIQUE : la profonde métamorphose du don de soi que chacun prodigue
réciproquement [...] célébrer, illuminer le respect, la tendresse, la
confiance, la passion et l'estime... mettre joyeusement tout ce que nous sommes
entre les mains de quelqu'un d'autre... tous les contacts, caresses,
expressions possibles et désirées », avait-elle
souligné.
Dans ce film, les images très travaillées, colorées et couvertes
de collages, étaient accompagnées du bruit de la mer et de cris de mouettes,
créant un univers sensuel très poétique et lyrique.
En
août 1975, Schneemann réalisa la performance Interior Scroll dans
le cadre de l'exposition Women Here and Now en se penchant sur ce
qu'elle appelait l'«espace vulvique » et
à la symbolique matriarcale. Remettant en question l'association systématique
du corps et de la sensibilité au féminin d'une part, et de l'intelligence et de
la rationalité au masculin d'autre part, elle se mit en scène juchée sur une table,
totalement nue, et proposa une lecture de son propre ouvrage, Cezanne,
She Was A Great Painter (paru en 1976). Le point culminant de la
performance la vit dérouler un rouleau de papier logé dans son vagin, lisant
le texte qui y était inscrit (un texte féministe tiré de son film Kitch's
Last Meal).
Ses œuvres ont été présentées au Musée d'art contemporain de Los
Angeles, au Museum of Modern Art de New York et au London National Fiulm
Theatre. Carolee Schneemann avait enseigné dans de nombreuses institutions,
dont l'Institut des Arts de Californie, l'Institut d'art de Chicago, le Hunter
College et l'Université de Rutgers,où elle avait été la première femme
professeur d'art.