Les destructions par des fanatiques islamistes de sites antiques comme Nimroud ou Hatra ont provoqué de vives protestations au plan international et soulevé en même temps de terribles cas de conscience au sujet des trafics illicites d'objets archéologiques que ces derniers ont mené en parallèle.
L'Unesco s'est ainsi retrouvée dans une position anachronique en dénonçant ces trafics et en appuyant les demandes de restitution faites par les pays pillés alors que leur patrimoine culturel a été soumis à des saccages irrémédiables depuis la destruction des statues gigantesques de Bamyan par les talibans en 2001 en Afghanistan en passant par celles des sanctuaires du Mali, des cités antiques de Syrie et d'Irak et d'autres lieux témoins de l'histoire de l'humanité.
Ces destructions ont ainsi provoqué de vifs débats à travers la planète au sujet de savoir si les trésors antiques sont mieux à l'abri des musées occidentaux ou dans les mains de collectionneurs accusés de favoriser les trafics où s'il faut les restituer aux pays spoliés au risque de les voir disparaître à jamais.
Gary Vikan, l'ancien directeur du Walters Art Museum in Baltimore, a déclaré qu'en raison des violences commises en Syrie, en Afghanistan ou en Irak, les musées deviendront plus réticents face aux demandes de restitution de pièces antiques faites par ces pays tandis que d'autres acteurs du monde de la culture et des archéologues ont estimé qu'une telle attitude ne faisait que justifier les trafics.
Il est de fait que la destruction de sites antiques et leur pillage tend à favoriser l'appétit des collectionneurs pour des pièces antiques recherchées alors que l'Unesco a tenté de juguler les trafics à travers une convention signée en 1970 par laquelle tout objet pillé à partir de cette date devrait être restitué au pays d'où il provient.
Cette convention a notamment permis la restitution de pièces fouillées illégalement en Turquie, en Italie ou en Grèce, des pays considérés comme étant à l'abri des exactions des fanatiques islamistes mais rapatrier celles qui ont été pillées dans les pays en guerre ou exposés à des instabilités politiques poserait à l'évidence un risque majeur.
L'archéologue et directeur du J. Paul Getty Museum de Los Angeles Timothy Potts, a admis que fermer les yeux sur les trafics d'antiquités n'était pas concevable mais qu'en même temps, les exactions des groupes islamistes avaient progressivement changé la donne pour faire admettre l'idée que les trésors antiques devraient être considérés comme la propriété de l'humanité et qu'en conséquence, il valait mieux les conserver dans des musées situés dans des pays sûrs.
Un tel argument a donc placé l'Unesco et les partisans des restitutions dans une position cornélienne en regard des destructions commises par les barbares de l'Etat islamique qui ont incité certains acteurs du monde culturel à faire campagne pour limiter le retour de pièces exportées illégalement en Occident.
Ainsi, même Boris Johnson, le maire de Londres, s'est permis d'ajouter sa voix au chapitre en estimant qu'il n'y avait pas lieu pour le British Museum de restituer les marbres du Parthénon achetés en 1806 par Lord Elgin auprès de la Turquie qui occupait alors la Grèce alors qu'Athènes n'a eu de cesse de les réclamer depuis plus de 30 ans.
La bataille des restitutions semblait sur le point d'être gagnée par ses partisans qui se basaient notamment sur le fait que personne n'avait fait barrage au retour des dizaines de milliers d'oeuvres d'art pillées par les nazis durant la Seconde Guerre Mondiale durant laquelle l'Europe avait été à feu et à sang.
"On évoque aujourd'hui l'Irak mais rien ne garantit que New York ne sera pas un jour exposée aux ravages d'une guerre", a indiqué Mme Davis qui a permis la restitution de pièces antiques cambodgiennes proposées à la vente par Sotheby's ou détenues par le Metropolitan Museum et des collectionneurs tandis qu'Alexander A. Bauer, un professeur d'anthropologie au Queens Coillege, a estimé que l'augmentation des collections de pièces antiques dans les musées occidentaux ne constituait pas la meilleure réponse aux événements de Syrie et d'Irak.
D'autres personnes en vue ont néanmoins estimé inutile de restituer des pièces antiques à des pays soumis aux pillages dont les citoyens se moquent de leur héritage culturel en allant même jusqu'à le supprimer en mentionnant le fait que durant la révolution culturelle en Chine il y a une cinquantaine d'années les fanatiques maoïstes avaient détruit nombre de témoignages du passé alors que les Chinois peuvent aujourd'hui se tourner vers le marché de l'art occidental pour se réapproprier les trésors de leur histoire.
A présent, certains responsables de musées occidentaux ont suggéré que des pays exposés aux pillages devraient accepter de leur vendre ou de leur envoyer des pièces antiques en vue de les préserver, une attitude dénoncée par d'autres comme néo-colonialiste qui estiment que le mieux à faire serait d'aider ces Etats à réparer les dommages une fois la paix revenue, ce qui semble plutôt candide de leur part vu que les islamistes continuent à réduire en poussière des sites voués à disparaître à jamais.
Le problème reste à savoir comment lutter contre les trafics alors que par ricochet ceux-ci servent à sauver des pièces archéologiques qui auraient été détruites. Continuer à les saisir auprès de collectionneurs ou de marchands indélicats pour leur infliger de lourdes amendes et conserver celles-ci en attendant des jours meilleurs dans les pays pillés serait donc la meilleure solution.
Aujourd'hui, ce sont des pays comme l'Irak, la Syrie, le Yémen ou la Libye où les sites antiques sont le plus pillés ou détruits mais demain, l'Egypte pourrait risquer à son tour d'avoir affaire à la folie dévastatrice des islamistes pour alors voir disparaître son immense héritage culturel et là encore, l'Unesco serait impuissante à empêcher ce désastre à moins d'une intervention militaire massive des Nations Unies destinée à protéger ce pan de l'histoire de l'humanité, ce qui logiquement aurait dû être fait dans les pays précités sauf que personne n'a désiré se sacrifier pour des individus condamnés à être massacrés et encore moins pour des sites qui ont marqué le souvenir des hommes sur notre planète.
Adrian Darmon