Le scandale retentissant qui a terni l'image de la
Fédération Internationale de Football Association (FIFA) basée en Suisse et les
affaires d'évasions fiscales facilitées depuis longtemps par de nombreuses
banques helvètes ne devraient pas faire oublier que ce pays est aussi en grande
partie responsable de nombreux maux du marché de l'art.
La plainte pour escroquerie déposée au début de l'année à
Monaco par le milliardaire russe Dmitri Rybovovlev à l'encontre d'Yves Bouvier,
le patron des ports francs, a ainsi révélé au passage l'ampleur des
transactions d'oeuvres d'art menées dans le secteur hors douanes à l'abri des
regards indiscrets des autorités fiscales de nombreux Etats qui ont souvent soupçonné
à juste titre des opérations de blanchiment d'argent.
Ayant placé des milliers d'oeuvres dans le port franc de
Genève, de nombreux riches collectionneurs ont donc pu se permettre de réaliser depuis des années
des opérations ultra-confidentielles sans qu'il ait été possible de déterminer
s'ils avaient rapatrié dans leurs pays de résidence les fonds qu'ils avaient recéptionnés.
L'opacité régnant autour de ces transactions peut donc
laisser croire à une vaste entreprise de blanchiment d'argent qui par ailleurs expliquerait
en partie la hausse spectaculaire des oeuvres proposées sur le marché dont les
ventes ont engendré par ricochet de juteuses plus-values pour des millairdaires
jouant à fond la spéculation.
Les sommes faramineuses publiées dans la presse
concernant les achats d'oeuvres d'art de Rybovovlev par l'intermédiaire de
Bouvier qui était censé toucher qu'une commission de 2% pour chacune d'elles
alors qu'il aurait pris jusqu'à 20 fois plus ont eu de quoi donner le tournis mais
l'affaire déclenchée par le milliardaire russe n'est en fait que la partie
visible de l'iceberg de ce qui se passe en réalité dans le port franc.
Par ailleurs, si les transactions en espèces sont
régulées au maximum à hauteur de 7500 euros dans les pays de l'Union
européenne, il en va autrement en Suisse où la réglementation est restée bien
plus complaisante en la matière puisque celles-ci sont limitées à quelque 100 000
euros. On comprendra aisément de ce fait que l'Etat fédéral est un véritable
Eldorado pour ceux qui y vendent des oeuvres contre des espèces sonnantes et
trébuchantes sans être inquiétés le moins du monde.
D'autre part, de nombreuses affaires de vol ou de pillage
d'antiquités ont mené les polices de divers pays, notamment l'Italie,à enquêter en
direction des ports francs où des milliers d'objets issus de trafics illicites
avaient été mis à l'abri par des marchands véreux alors que des oeuvres
mystérieusement disparues en France avaient atterri là ou dans des galeries
helvètes.
On peut également rappeler que la Suisse a eu un rôle
plus que trouble durant la Seconde Guerre Mondiale en se livrant à d'intenses
échanges commerciaux avec l'Allemagne nazie dont nombre de ses dignitaires
dissimulèrent dans ses banques des sommes colossales et des oeuvres d'art suite
aux exactions commises en Europe occupée sans compter que de nombreux marchands
helvètes ne montrèrent pas beaucoup de scrupules à acheter des pièces provenant
de collections spoliées à des juifs.
A cet égard, les banques helvètes se sont retranchées
derrière le secret bancaire pour refuser de révéler les contenus douteux de
centaines de coffres appartenant à des nazis ou des individus qui leur étaient
liés tandis que les associations faisant campagne pour la restitutions de biens
spoliés durant la dernière guerre n'ont pas été dupes en ayant pour leur part
la certitude que des centaines d'oeuvres spoliées non retrouvées dorment en
Suisse.
Il ne fut donc pas étonnant d'apprendre qu'Andreas Gurlitt, le fils d'un expert et marchand qui collabora
activement avec le régime hitlérien, avait fait des visites discrètes à Berne ou à Zurich pour vendre
de temps à d'autres des oeuvres de l'énorme collection douteuse (près de 1500
oeuvres dont un tiers vraisemblablement volées à des collectionneurs juifs)
qu'il avait héritée de son père avant de la léguer ensuite à sa mort au Musée de
Berne, avec l'envie évidente de faire la nique aux autorités allemandes qui
l'avaient saisie après son interpellation dans un train à son retour de Suisse.
Par ailleurs, il convient de signaler que ce pays compte de nombreux experts jugés bien plus redoutables que leurs homologues européens concernant la délivrance de certificats d'authenticité pour des tableaux
de maîtres en jouant notamment de leur autorité pour faire montre d'exigences parfois inacceptables
lorsqu'ils ont bien voulu aller plus loin dans leur examen tandis que certains
d'entre eux ont même semblé avoir la science infuse en allant décréter au vu d'une
simple photo si une oeuvre était authentique ou pas, à croire que les
spécialistes helvètes sont de véritables devins.
Avoir affaire à des experts suisses relève d'un véritable
parcours du combattant propre à conduire au mieux à une commission salée et au
pire à une désillusion comme cela est arrivé à maintes reprises pour certains
amateurs. Exemple: dans les années 1990, l'un d'eux qui avait déniché une toile
d'un maître impressionniste s'était vu réclamer 50% de sa valeur par l'expert attitré en échange d'un certificat et plus récemment, un autre qui avait soumis une gravure de Rembrandt a eu la désagréable surprise d'apprendre qu'il
s'agissait d'un tirage tardif, ce qui ne la pas empêché d'en obtenir 4000 euros
dans une vacation à Paris pour découvrir ensuite à son grand étonnement qu'elle était
proposée aux enchères par une maison de vente suisse avec une estimation de 40
000 euros...
Sacro-saint secret bancaire encore en place, soupçons de
blanchiment, opacité des transactions et pratiques douteuses au sein du port
franc, impossibilité pour les pays étrangers d'obtenir des renseignements sur
ce qui s'y passe, laxisme au niveau des paiements en espèces, flou total
concernant la présence sur son territoire d'oeuvres spoliées par les nazis et
des experts se comportant souvent comme des roitelets dont les avis ne peuvent être contestés,cela fait beaucoup au compteur de la Suisse pour imaginer que ce pays
semble donc être une des sources principales de biens des maux du marché de
l'art.
Adrian Darmon
Adrian Darmon