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Degas à propos de Cézanne: Ce ne sont pas des natures mortes qu'il peint mais des natures ivres mortes...
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LE SUCCES COLOSSAL DE LA VENTE BERGE-SAINT-LAURENT A ETE UN BALLON D'OXYGENE POUR LE MARCHE DE L'ART Par Adrian Darmon
25 Février 2009 Catégorie : FOCUS
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Mardi 25
février 2009, la vente par Christie's de la collection d'art Pierre
Bergé-Yves Saint-Laurent a atteint la démesure au bout de deux jours de
vacations avec des enchères explosives portées sur de nombreux lots
parfois enlevés au décuple de leurs estimations.
La veille, la
vente d'oeuvres impressionnistes et modernes, a rapporté 206 millions
d'euros frais compris auxquels Christie's aura rajouté plus de 101
millions d'euros pour les séries de vacations consacrées aux tableaux
et dessins anciens et du 19e siècle (22,28 millions), aux pièces
d'orfèvrerie (19,88 millions) et à l'Art Déco (59,15 millions) pour
atteindre déjà plus de 307 millions d'euros avant la dernière journée
qui s'est annoncée tout aussi prometteuse.
Démesure est bien le
mot quand on songe que des blocs de quartz, d'améthyste, de cristal de
roche ou de pyrites, généralement de peu d'intérêt, ont culminé jusqu'à
plus de 34 000 euros l'unité alors que des pièces d'argenterie des 16e,
17e et 18e siècles, estimées parfois au plus bas à 10 000 euros, ont
allègrement dépassé les 130 000 euros avec de temps à autre des
enchères canons, comme pour une coupe nautile allemande du début du 17e
siècle montée en vermeil adjugée pour 481,000 euros sur une estimation
haute de 120,000, un trinkspiel en argent et vermeil allemand (vers
1630) vendu 433,000 euros sur une estimation maxi de 80,000 euros, une
coupe en argent et vermeil dite de Medingen (vers 1610) enlevée à
601,000 euros sur une estimation qui ne dépassait pas 80,000, une
fontaine de table de Bodendick en argent et vermeil vers 1630 disputée
à 721,000 euros alors qu'on en espérait 200,000, un Saint Georges en
argent et vermeil fabriqué à Augsbourg vers 1640 qui a atteint 361,000
euros sur une estimation haute de 35,000, une coupe d'Altenstadt
(Hambourg) en argent et vermeil qui a séduit un amateur pour 505,000
euros sur une estimation haute de 80,000, une coupe de Medingen,
Minerve en argent et vermeil datant de 1650 emportée à 577,000 euros
alors qu'on en attendait modestement 80,000 et une quadruple coupe
d'Osterode en vermeil datée de 1649 bataillée à 853,000 euros, soit
près de neuf fois son estimation. Du jamais vu dans une vente aux
enchères.
Pour couronner le tout, un portrait d'homme par Frans
Hals estimé au mieux 1,2 million d'euros a fusé à 3,537,000 euros alors
que le portrait de Giusto Ferdinando Tenducci tenant une partition par
Gainsborough a été vendu pour 2,193,000 euros sur une estimation maxi
de 600,000 et que le portrait d'Alfred et Elisabeth De Dreux par
Géricault a atteint les sommets avec une enchère de 9,025,000 euros sur
une estimation comprise entre 4 et 6 millions.
Last but not
least, un ensemble de 15 miroirs aux branchages de Claude Lalanne a été
vendu pour 1,857,000 euros, le bar YSL de 1965 de François-Xavier
Lalanne a été adjugé au prix record de 2,753,000 euros (estimé au mieux
300,000 euros), le rare fauteuil aux dragons d'Eileen Gray,à l'assise
visiblement destinée à une petite paire de fesses, a atteint le prix
record de 21,905,000 euros, une console et une suspension "Satellite"
de cette même créatrice ont culminé respectivement à 2,305,000 euros
et 2,977,000 euros, la paire de lampes du peu connu Eckart Muthesius a
été enlevée pour 2,529,000 euros (estimée 600,000) et les deux vases
monumentaux de Dunand ont doublé leur estimation pour atteindre
3,089,000 euros. De quoi donner le vertige.
On avait dit et
répété que cette vente servirait de test pour le marché de l'art soumis
aux aléas de la crise depuis septembre 2008. Les résultats déjà obtenus
ont eu de quoi rassurer les responsables de Christie's et nombre de
grands marchands mais le contexte de cette vente jugée mythique ne
signifiera pas forcément une reprise évidente dans ce domaine d'autant
plus que la provenance des pièces vendues a exagérément faussé la donne.
Il
conviendra de retenir que nombre d'amateurs qui ont plus que débordé
d'enthousiasme lors de ces vacations hors du commun ont probablement eu
le sentiment de mieux rebondir en achetant des pièces
exceptionnelles à leurs yeux qu'en conservant leur argent dans les
comptes de leurs banques, jugées en grande partie responsables de la
crise financière et boursières et désormais considérées beaucoup moins
fiables pour gérer leurs fortunes. L'explication du phénomène
incroyable de cette dispersion se trouverait là plus qu'ailleurs, les
acheteurs ayant apparemment été emportés par l'ivresse de la provenance
prestigieuse de cette collection.
Cette vente aura donc risqué
d'être une sorte d'écran de fumée pour le marché de l'art qui a été en
perte de vitesse depuis le second semestre de 2008 quand bien même son
succès pourrait servir de ballon d'oxygène et inciter nombre d'amateurs à y devenir plus actifs
durant le reste de 2009.
En attendant, cette vente
extraordinaire aura provoqué l'ire des autorités chinoises, outrées de
voir la justice française refuser d'accéder à la demande de l'Association pour la protection de l'art chinois en Europe (Apace)
qui réclamait la restitution des têtes de rat et de lapin qui ornaient
la fontaine du Palais d'été de Pékin pillé il y a près de 150 ans, ce à
quoi Pierre Bergé a répondu ironiquement qu'il les rendrait volontiers
si la Chine se décidait à respecter les droits de l'homme. La polémique
créée autour de ces pièces estimées chacune dix millions d'euros a
ainsi amplifié le gel des relations entre Pékin et Paris, les Chinois
oubliant au passage qu'ils ne s'étaient pas privés d'éradiquer la
culture tibétaine depuis 50 ans tout en pillant sans vergogne la
technologie des pays occidentaux pour inonder à leur avantage le marché
mondial de produits plagiés. Satisfaire Pékin en la circonstance serait
alors comme ouvrir la boîte de Pandore en incitant nombre de pays à
réclamer à leur tour des trésors archéologiques ou artistiques
conservés dans de nombreux musées français et étrangers. Autant dire que la portée d'une telle exigence serait effrayante à maints égards.
Adrian Darmon
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