Il y a eu les grèves contre la loi El Khomri puis les inondations qui ont paralysé Paris et ses alentours et maintenant, son marché de l'art a été secoué par un séisme de grande magnitude avec l'annonce de l'interpellation par l'Office central de répression contre le trafic de biens culturels (OCBC) de certains de ses acteurs soupçonnés d'avoir tremper dans une affaire de fabrication de faux meubles.
L'impact de ce séisme est énorme puisqu'il a été jusqu'à toucher le Château de Versailles qui aurait acquis des pièces litigieuses, de quoi faire trembler quelques uns des plus grands experts et marchands parisiens et malmener nombre de conservateurs de musée.
Après donc un an et demi d'enquête, l'OCBC a décidé de placer en garde à vue Bill Pallot, expert en sièges du XVIIIe représentant de la célèbre galerie Aaron, Laurent Kraemer, co-propriétaire de la galerie éponyme fondée il y a plus de 140 ans, et un doreur réputé, tous trois soupçonnés d'avoir fait fabriquer de faux meubles avec des estampilles rapportées, comme l'aurait fait Jean Lupu, le vieil antiquaire parisien interpellé il y a un an qui a été exclu provisoirement de la Compagnie nationale des experts (CNE) dont les premières assises se sont tenues le 8 juin au Petit-Palais.
Tout avait commencé en 2012 lorsque Charles Hooreman, un spécialiste de sièges d'époques Louis XV et Louis XVI, avait adressé une lettre à la conservation de Versailles pour l'informer que certaines pièces acquises pour le château étaient douteuses.
Après que des langues se soit déliées, autant dire que si le trafic était avéré, ses répercussions risqueraient de ruiner le marché du mobilier ancien à l'approche de la prochaine Biennale des Antiquaires organisée au Grand Palais entre le 10 et le 18 septembre, dont Bill Pallot, un expert et collectionneur d'art renommé de la capitale, et Laurent Kraemer. un membre respecté du CNE, ont été parmi ses représentants les plus prestigieux.
Professeur à la Sorbonne depuis plus de 15 ans, Bill Pallot avait été nommé Chevalier de l'Ordre des Arts et des Lettres en 1997 puis Officier dans le même Ordre en 2011. Membre de la Compagnie des experts en ameublement pour la cour d'appel de Paris, il s'est également manifesté en tant que donateur au département des Objets d'art du musée du Louvre d'un fauteuil et d'une chaise du XVIIIème siècle et a produit de nombreux écrits sur le sujet.
Faisant partie pour sa part d'une grande lignée d'antiquaires, Laurent Kraemer qui a reçu les insignes d'Officier dans l'ordre national du Mérite en 2011, est spécialisé dans les meubles français du XVIIe et du XVIIIe siècle dont certains sont aujourd'hui au Louvre, à Versailles, au MoMA de New York ou au Musée Paul Getty. A la suite de son interpellation, sa famille a tenu à préciser qu'il sera établi qu'elle n'a jamais fait fabriquer quelque meuble que ce soit en ajoutant qu'elle a toujours vendu des pièces dont elle est convaincue de leur authenticité. Toutefois, cette mise au point n'écarte pas la possibilité qu'elle se soit trompée pour certaines de ses acquisitions pour démontrer au passage que même les grands marchands ne sont pas infaillibles.
L'enquête de l'OCBC a suivi son cours et d'autres interpellations concernant quatre autres personnes soupçonnées d'être mouillées dans cette affaire qui fait écho à celle se rapportant à Jean Lupu pourraient bientôt survenir.
UN CHOC MAIS PAS VRAIMENT UNE SURPRISE
La révélation de cette affaire n'a pas surpris le monde de l'art puisque des rumeurs à ce sujet avaient circulé depuis des mois dans le milieu. On avait ainsi entendu ici et là qu'une officine fabriquait ou bidouillait des sièges royaux en y apposant des estampilles et de veilles étiquettes sauf que le plus inouï a été d'apprendre que le Château de Versailles aurait acheté des plagiats.
Les pièces concernées sont une chaise de Jacob, pour le cabinet de la Méridienne, acquise par Versailles en 2011 pour environ 400 000 € alors que si on compare sa guirlande de fleurs avec une autre plus élaborée, conservée dans une collection privée, on peut en venir à douter de son authenticité; une paire de ployants par Foliot réalisés pour la duchesse de Parme, vendus à Versailles en 2012. Il soupçonnés d'être des faux créés à partir de copies exécutées dans les années 1960 puis maquillés; deux chaises de Louis Delanois acquises pour 840 000 euros, réalisées pour Mme du Barry et provenant d'ensemble qui en comprenait 12 à l'origine, plus une treizième, un peu plus haute, faite pour le roi alors qu'on connaît en tout quatorze pièces du petit modèle, dix conservées à présent au château et quatre autres dans des collections privées, ce qui fait qu'il y a en déjà deux de trop, ainsi qu' une bergère de Séné réalisée pour Madame Élisabeth et placée à Montreuil, achetée en 2011 pour environ 240 000 €..
Si la qualité de ces pièces considérées fausses est assez remarquable, les supercheries auraient par contre pu être rapidement décelées déjà par le fait qu'elles étaient présentées comme des redécouvertes, que leurs assemblages paraissaient avoir résisté à l'épreuve du temps, que les sculptures étaient molles et que les étiquettes indiquant leur provenance pouvaient avoir été apposées récemment après avoir été décollées de meubles moins prestigieux ou simplement plagiées.
Cette affaire porte également sur d'autres meubles qui auraient été trafiqués mais le plus grave est que Versailles soit concerné puisque cela regarde l'Etat et plusieurs mécènes ayant contribué aux achats des pièces en question, notamment Maryvonne Pinault, qui s'est dite littéralement effondrée à la pensée d'avoir contribué à offrir des plagiats au château. On imagine donc quel sera le ramdam si jamais il est prouvé qu'elles sont fausses.
Selon un antiquaire parisien beaucoup de gens du monde de l'art savaient en fait ce qui se passait depuis longtemps à propos de meubles trafiqués mais personne n'avait osé en parler ouvertement par peur d'être écarté des grandes foires. Celui-ci a ajouté que de nombreux journalistes avaient eu la faiblesse de se laisser soumettre à des flatteries et à des invitations dans des endroits sélects pour ensuite publier des articles laudatifs sur des redécouvertes présentées comme sensationnelles et permettre à en faire ainsi de véritables trésors du patrimoine tandis que plus d'un s'est désormais plutôt senti mal à l'aise d'avoir facilité leurs ventes.
Après la révélation de l'affaire Lupu en 2015, les enquêteurs de l'OCBC avaient entendu plusieurs marchands, notamment François Hayem, Hervé Aaron et Laurent Kraemer tandis que Bill Pallot avait confessé qu'il avait vu des choses qu'il aurait peut-être dû dénoncer en ajoutant qu'il fallait bien que la vérité éclate vu l'ampleur du scandale, un aveu qui lui avait coûté sa place à la commission de sélection de la prochaine Biennale des antiquaires.
Au bout de deux jours de garde à vue, Laurent Kraemer a été mis en examen et libéré sous caution tandis que Bill Pallot, représentant de la galerie Aaron, a été placé en détention provisoire par le parquet de Pontoise (Val-d'Oise) après avoir, dit-on, livré des aveux partiels. Il aurait ainsi reconnu devant la juge d'instruction chargée du dossier qu'il s'était permis de faire fabriquer deux copies d'une chaise du Petit Trianon conservée à Versailles,vendues par la galerie Kraemer pour 2 millions d'euros à un collectionneur qui s'est fait par la suite rembourser, et ce, par jeu intellectuel avec l'envie de ressentir l'ivresse de duper les autorités du marché et les conservateurs du château.
Les présidents de deux principales organisations du marché de l'art, Dominique Chevalier pour le syndicat national des antiquaires (SNA), et Frédéric Castaing pour la compagnie nationale des experts (CNE), n'ont pas tardé à publier un communiqué commun pour dire qu'ils avaient pris acte des actions judiciaires en cours et qu'ils se tenaient à la disposition de la justice. pour ne pas hésiter au besoin à prendre les mesures internes qui s'imposent et à se porter parties civiles afin de défendre les intérêts de leurs membres.
Suite aux mises en examen de Bill Pallot et de Laurent Kraemer, le Ministère de la Culture a réagi le 11 juin en annonçant qu'il allait lancer sans délai une inspection administrative relative aux processus d'acquisition des biens évoqués en l'espèce dans cette affaire, ainsi que, plus généralement, sur les procédures d'acquisition en faveur des collections nationales.
Pour sa part, l'antiquaire Hervé Aaron, dont Bill Pallot est le représentant, a déclaré au "Figaro". que sa maison créée en 1923 s'était toujours montrée sérieuse en se mettant au service de l'art et de ses clients et qu'elle ferait face à cette situation en voulant coopérer avec les enquêteurs pour tirer les choses au clair.
L'affaire n'en est qu'à ses débuts alors que selon de nouvelles rumeurs, il n'y aurait pas eu que des faux meubles du XVIIIe siècle qui auraient été produits et écoulés mais aussi de nombreux autres censés être des originaux des années 1930, un fait qui s'il était avéré provoquerait un scandale encore plus dévastateur pour le marché de l'art parisien.