Les manifestations violentes qui ont eu lieu entre les suprémacistes blancs et les antiracistes à Charlottesville, Baltimore et Madison au sujet de statues
érigées à la mémoire de chefs sécessionnistes a posé un profond cas
de conscience pour les Etats-Unis près d'un demi-siècle après la fin de la
ségrégation dont avaient été victimes les noirs américains dans plusieurs Etats
du pays.
Le débat a pris une
ampleur insoupçonnée après le refus du président Donald Trump de condamner
fermement les militants d'extrême-droite à l'issue de heurts violents qui ont
fait un mort et plusieurs blessés dans les rangs de leurs adversaires, celui-ci
préférant les renvoyer dos à dos pour ne pas froisser ceux qui avaient permis
son élection.
Il est de fait que
les extrémistes blancs qui représentent une minorité ont souvent coutume de se
rassembler devant ces monuments pour célébrer la mémoire des chefs confédérés
esclavagistes qui s'opposèrent au président Lincoln en voulant faire sécession
pour se lancer dans une guerre civile meurtrière pour les Etats-Unis dont les
traces restèrent profondes dans les Etats du Sud jusqu'à la fin des années
1960.
Le débat est
maintenant de savoir si ces monuments doivent être retirés après que Trump ait
estimé un peu maladroitement qu'ils faisaient partie de l'histoire des Etats-Unis
alors qu'ailleurs dans le monde, ceux qui avaient été érigés en l'honneur de
dictateurs sanguinaires ont pour la plupart été démantelés. En Allemagne, les effigies de
Hitler et les symboles du nazisme ont disparu. En Russie et dans les anciens
pays satellites de l'Union Soviétique, celles de Staline et de Lénine ont été
enlevées pour la plupart. En Espagne, celles de Franco ont été remisées. En
Italie, les statues de Mussolini se sont évaporées. En Chine, on ne célèbre
pratiquement plus le souvenir de Mao Tse Toung et en France, on a oublié le souvenir de Pétain
et de la collaboration avec les nazis mais aux Etats-Unis, les monuments en
l'honneur des chefs confédérés subsistent au nom de la liberté d'expression
inscrite dans la Constitution.
Alors quoi faire ?
Conserver ces reliques d'un passé douloureux ou les enlever, quitte à les
mettre dans des musées, pour les remplacer par des oeuvres en hommage à la fraternité ? En attendant, l'histoire a été principalement écrite par les
vainqueurs et depuis l'émergence du mouvement des droits civiques aux
Etats-Unis durant les années 1960 de nombreuses tentatives ont été faites pour
la réinterpréter d'une manière plus nuancée et dans une perspective plus
équilibrée avec la création de musées sur celle des indiens et des noirs
d'Amérique qui ne manquent pas d'organiser des expositions sur les misères
qu'ils subirent durant des décennies lors de sombres épisodes qui restèrent
longtemps occultés.
Il ne faut pas
oublier que l'histoire de l'Amérique s'est faite longtemps sous la violence
depuis sa colonisation au début du 17e siècle en passant par la guerre
d'Indépendance des colons contre l'Angleterre, la conquête de nouvelles terres
qui entraîna l'extermination des Indiens et la sanglante guerre de Sécession il
y a plus de 150 ans.
Depuis l'arrivée de
nouveaux immigrants, juifs, allemands, italiens, polonais, russes ou grecs et
celle d'individus venus d'Amérique Latine ou des Caraïbes entre la fin du 19e
et la seconde moitié du 20e siècle, le visage des Etats-Unis a considérablement
changé quoique le racisme perdure dans de nombreux Etats et même à New York, la
ville la plus cosmopolite du pays du fait que les descendants des colons appartenant à la caste des Wasps ont toujours eu
tendance à s'estimer comme supérieurs aux immigrants et à leurs enfants en tenant à
éviter toute forme de mixité, comme on peut le constater à Washington où blancs
et noirs continuent à vivre dans des quartiers séparés.
Les intellectuels
du pays et notamment les conservateurs de musées sont restés ainsi partagés sur
la question des monuments sudistes, les uns estimant qu'il ne fallait pas les
détruire au risque de se comporter comme les talibans qui firent exploser les
géants de Bamyan en Afghanistan ou les combattants de Daech qui ont pillé et
saccagé des musées et des sites antiques en Irak ou en Syrie, les autres
pensant qu'il fallait tourner la page et les remiser du fait qu'ils
représentaient des symboles de la
suprématie blanche et des violences raciales taillés dans la pierre ou fondus en bronze.
Pour Jeff Chang, le
directeur de l'Institut de la diversité dans les arts, les statues des
confédérés n'ont au départ pas eu d'autre but que d'incarner la terreur et la
ségrégation. Néanmoins, certaines d'entre elles mériteraient d'être
sauvegardées nonobstant le fait que le débat qui s'est engagé concerne surtout
l'amnésie des Américains sur la question raciale et que la position de Trump a
fait le jeu des suprémacistes blancs en leur accordant une attention démesurée
alors qu'enlever ces monuments, soit pour les détruire, soit pour les placer
dans des musées ne résoudrait en rien le problème du racisme si on ne parvenait
pas à forger une nouvelle conscience nationale.
Pour d'autres, ces
monuments ont surtout célébré deux crimes historiques, à savoir la tentative de
créer une nation indépendante tenant à perpétuer l'esclavagisme et à dénier aux
noirs les droits les plus simples en allant jusqu'à les intimider, les lyncher
et les tuer. Ces monuments ont tous été érigés pour commémorer une cause perdue
mais aussi pour marquer l'omnipotence des suprémacistes blancs en leur permettant de
contrôler des gouvernements locaux disposés à mettre en place un régime de
ségrégation et d'oppression. Certains Etats du Sud ont ainsi ignoré qu'ils
avaient précédemment tenu chez eux en esclavage 4 millions de noirs qui
faisaient partie de leur histoire sans s'aviser d'ériger un quelconque monument pour rappeler ce fait mais enlever ceux des confédérés pourrait aussi avoir pour effet de provoquer
une amnésie collective sur leurs exactions passées.
Certains historiens
ont pensé qu'il serait donc plus utile de les conserver en les accompagnant
d'explications claires sur l'esclavage, la guerre de Sécession et leur
utilisation abusive de la part des racistes blancs en sachant la douleur qu'ils
peuvent provoquer mais à tout le moins, il serait approprié de lancer un débat
national sur leur sort.
Leur présence dans
certaines villes d'Etats du Sud est désormais plus que dérangeante car on voit
plus les personnages représentés comme des êtres vénérés par les extrémistes
blancs qu'autre chose alors qu'ils tentèrent de détruire la nation. Ainsi, leur
présence est ressentie par les noirs comme une insulte mais si on va plus loin,
le débat risque de porter sur d'autres Américains illustres comme George
Washington ou Andrew Jackson qui ne s'étaient pas opposés à l'esclavage.
Il serait donc plus
louable de se souvenir des confédérés dans des lieux plus appropriés comme des musées,
des institutions dédiées à l'histoire ou des champs de bataille en les remplaçant par d'autres monuments acceptés par tous mais tout repose en réalité sur la bonne
volonté des gouvernements locaux pour qu'ils soient disposés à procéder à un
changement plus que souhaitable.
Posant à l'évidence un problème puisqu'ils glorifient des adeptes de la
suprématie de la race blanche qui considéraient l'esclavage comme bénin, ces monuments font passer les Sudistes pour des victimes après avoir justifié jusque dans les
années 1960 l'apartheid qui suivit leur défaite. Le fait que des extrémistes
blancs aient protesté contre l'enlèvement de la statue érigée à Charlottesville
a montré à l'évidence qu'ils désiraient reprendre leur Etat en sachant à
l'évidence ce qu'elle représentait pour eux, c'est à dire qu'à leurs yeux la
guerre civile n'était pas terminée.
Peut-être que les
monuments sudistes devraient tous être rassemblés dans un lieu unique, comme
dans le parc Memento de Budapest qui regroupe les statues de l'ère communiste
mais ce faisant, cela risquerait d'avoir pour effet de leur donner une certaine
importance en attirant des milliers d'extrémistes et de faire croire que les
combattants des deux bords avaient chacun raison alors qu'en réalité, il y
avait d'un côté les "bons" conduits par Lincoln et de l'autre, "les méchants",
ce qui signifie qu'un tel lieu devrait absolument servir à dénoncer l'histoire des
racistes blancs, de l'esclavage et de Jim Crow, un des principaux promoteurs de
la ségrégation dans les Etats du Sud.
Ces monuments ont
longtemps servi à promouvoir une cause perdue longtemps après la défaite du
Sud, comme si la paix n'avait été qu'une parenthèse provisoire, en rendant
légitime la persécution des noirs dès les années 1890 avec la pratique du
lynchage. Mais encore une fois, pour les uns, les détruire au lieu d'accepter
la réalité serait d'effacer le passé et de faire subsister le mythe de
l'innocence des Sudistes blancs et pour les autres, les préserver serait
honorer des personnages dénués d'humanisme qui combattirent pour maintenir
l'esclavage chez eux. Alors, il serait peut-être souhaitable de les mettre dans
des musées en mettant l'accent sur leur signification ou qu'un milliardaire les
achète tous pour en créer un sur l'histoire d'une période honteuse pour les
Etats-Unis, à moins de les destiner au Musée de la Guerre Civile de Richmond,
en Virginie.
Les Américains ont
donc un cas de conscience à résoudre avec ces statues, et surtout avec celles
érigées en représailles contre le mouvement des droits civiques durant les
années 1960. A cet égard, ils n'auraient qu'à prendre exemple sur l'Allemagne
et les anciens pays du bloc soviétique qui se débarrassèrent de monuments
dérangeants pour leur histoire car il ne faut pas oublier qu'elles ont servi à
rendre hommage à des traîtres qui s'opposèrent à un gouvernement démocratique
avant d'être vénérées par des racistes proches du Klu Klux Klan.
Il est certain que
la cause des Sudistes ne fut pas honorable et que ces monuments sont
aujourd'hui plus que contestables au niveau du symbole qu'ils représentent mais
les détruire ne semble pas la bonne solution, ce qui signifie simplement qu'il
convient de les réunir ailleurs dans un lieu où ils seraient placés dans un
contexte approprié mais il convient de dire que certains d'entre eux sont
artistiquement nuls au point qu'aucun musée n'oserait les présenter.