L'art urbain s'est
fait connaître au début des années 1980 à travers les oeuvres des New-yorkais
Jean-Michel Basquiat et Keith Haring, devenus par la suite des stars de la
peinture contemporaine, avant qu'il essaime un peu partout dans le monde et devienne un nouveau domaine florissant du marché de l'art, toutefois un peu trop
neuf pour que les amateurs soient rassurés sur l'évolution des cotes de ses
artistes.
Aujourd'hui, on connaît
assez bien les noms de ces artistes qui se vendent entre 10,000 et plus de 500,000
euros comme Banksy, Jonone, Blek le Rat, Shepard Fairey, Invader, Jef Aerosol,
Seth et quelques autres devenus bien plus recherchés que des peintres qui eurent
leur heure de gloire entre le 16e et le 20e siècle.
Alors pourquoi ce
succès foudroyant et quelque peu fou, équivalent à celui de l'art contemporain
qui a bouleversé le marché de l'art depuis ces trois dernières décennies ? La
réponse tient en fait en cinq points.
1) Marquée par la BD
et l'avènement de la société de consommation, la génération des collectionneurs
nés à la fin des années 1950 s'est détournée de l'art classique pour adhérer à
des concepts plus en phase avec leur mode de vie.
2) Pour mettre en avant leur
statut social, les nouveaux riches ont jeté leur dévolu, non plus sur des
voitures de luxe que pouvaient s'offrir sans peine leurs rivaux, mais sur des
oeuvres d'art sans cesse plus chères pour les rendre jaloux. Effet d'émulation,
les prix se sont envolés.
3) Grâce à Andy
Warhol qui avait lancé le principe des tableaux multipliés à l'envi via le procédé de la sérigraphie rehaussée de
différentes couleurs, les grandes maisons de ventes et des galeristes ont vite
compris qu'à l'inverse des oeuvres anciennes qui devenaient de plus en plus
rares, le domaine de l'art contemporain était pour sa part inépuisable.
4) Les grandes galeries et maisons de vente
ont rapidement joué à fond la carte du marketing pour promouvoir des artistes
contemporains savamment sélectionnés pour en faire des stars encore plus chères que des maîtres
comme Botticelli, Le Caravage, Rembrandt, Rubens, Velasquez, Watteau, Fragonard,
Goya, Delacroix ou les Impressionnistes.
5) La multiplication des collectionneurs d'art
contemporain a engendré une spéculation féroce qui a redoublé d'intensité avec
l'arrivée sur le marché de centaines de nouveaux millionnaires russes ou
chinois à la fin des années 1990 et l'incroyable envol des prix pour des
oeuvres d'artistes asiatiques. Bref, l'art contemporain est devenu un produit financier.
On n'en est pas
encore tout à fait arrivé là pour l'art urbain où le mystérieux Banksy- un artiste ou
peut-être un groupe britannique qui a jusqu'à présent réussi à se dissimuler
sous cet alias- a atteint les prix les plus conséquents sur le marché mais la
question est de savoir si les enchères enregistrées pour plus d'une centaine de
barbouilleurs de façades sont justifiées ou non parce qu'il y a vraiment à
boire et à manger dans leurs créations qui n'auraient jamais atteint les prix que ceux-ci enregistrent à présent sans l'aide de campagnes de promotion
forcenées orchestrées en leur faveur par les galeries et les maisons de vente.
Qu'est ce qui fait
qu'un acrylique et collage de FKDL (né en 1963), qu'un pochoir et peinture sur
une carte géographique par C215 (né en 1973), qu'un acrylique et peinture
aérosol sur bois découpé de l'Américain GIZ (né en 1978) représentant des
personnages de la série des Simpson's, qu'une sérigraphie de Fairey ou qu'une
huile et graphite sur papier de Ludo (né en 1976) montrant un arbre avec un phallus en forme
d'énorme racine puisse dépasser 6000 euros ? On peut se poser la question comme
se demander pourquoi une huile et peinture aérosol sur bois de l'Américain Eddie Martinez montrant un
vulgaire pot de fleurs peut s'acheter 12000 euros tout comme un acrylique sur
toile d'Eric Lacan montrant la moitié du visage d'une femme dans son état de squelette
ou encore la technique mixte sur toile de Rero avec les mots barrés Blah blah blah alors qu'un simple
pochoir de Blek le Rat montrant Charlie Chaplin et le Kid peut culminer à 40
000 euros.
On reconnaîtra que certaines
oeuvres vendues aux enchères sont de qualité mais il est difficile de s'arrêter sur ce seul fait vu que des centaines d'élèves d'école d'art ont eux aussi un réel
talent qui ne demande qu'à s'exprimer et qui n'arriveront vraisemblablement pas
à se faire connaître. Avoir un bon de coup de patte et dessiner à la manière
des créateurs actuels de BD est un atout non négligeable pour sortir du lot
sauf que ce n'est certainement pas aux Beaux-Arts mais plutôt dans la rue qu'il
faut faire ses armes afin de se faire remarquer.
Il y a 20 ans, les
oeuvres de Blek le Rat se vendaient en moyenne pour l'équivalent de 1000 euros,
alors qu'elles valent25 fois plus à
présent, une progression phénoménale en regard des prix enregistrés pour des
centaines de peintres barbizoniens, post-impressionnistes ou modernes qui en
majorité ont été en recul. C'est toutefois la tendance actuelle qui veut ça
avec une génération plus portée sur le Design cheap que sur les meubles anciens
qui n'intéressent plus grand monde. Il y a donc matière à réfléchir quand on
voit partir pour à peine 600 euros à
Drouot une commode d'époque 18e qui en valait plus de 5000 il y a 15 ans tandis
que les tableaux anciens, hormis les oeuvres exceptionnelles, sont de plus en
plus négligés. Ainsi va la vie avec ses modes changeantes qui aujourd'hui
portent l'art urbain au firmament sans qu'on sache avec certitude s'il pourra
se maintenir au plus haut.
Adrian Darmon