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L'HISTOIRE DRÔLE D'UN GOYA VOLE EN 1961
08 Juillet 2020
Catégorie : FOCUS

En 1961, un portrait du duc de Wellington provenant de la collection du duc de Leeds fut acheté aux enchères pour 140.000 livres par un riche américain mais le gouvernement britannique refusa de le laisser sortir du Royaume-Uni en le faisant racheter au même prix et exposer le 2 août de cette année là à la National Gallery de Londres d'où il fut volé le 21 avant d'être retrouvé dans des circonstances rocambolesques quatre ans plus tard.

En fait, le voleur, un certain Kempton Bunton, 61 ans, n'avait nullement agi par cupidité ou pour le compte d'un réseau criminel mais simplement pour protester contre l'imposition de la taxe de télévision de la BBC à l'encontre des retraités dont il faisait partie.

A l'époque, le vol fut considéré comme un des plus audacieux jamais commis dans un musée alors que les gardiens avaient mis un certain temps pour s'apercevoir du méfait commis exactement 50 ans auparavant lorsque la Joconde, volée par un maçon italien, fut rapatriée au Louvre en août 1911. Bref, la presse avait cru qu'il avait été commandité par un millionnaire assoiffé de trésors artistiques qu'il pouvait contempler pour lui seul dans un bunker introuvable tandis que d'autres rumeurs, aussi invraisemblables les unes que les autres, coururent au sujet de cette étrange affaire.

En contrepartie, cela donna de la publicité à la National Gallery dont la fréquentation augmenta, notamment pour voir l'endroit d'où avait disparu le tableau alors que l'historien d'art Sir Kenneth Clark suggéra que le vol avait été commis par esprit d'idéalisme par un individu décidé à dénoncer la hausse intolérable des prix des œuvres d'art à une époque où le marché de l'art n'avait toutefois pas encore pris son envol.

Selon Clark le voleur était sûrement du calibre d'Arsène Lupin pour avoir su déjouer les systèmes de sécurité installés dans le musée et éviter de tomber sur les gardiens lorsqu'il en était sorti  avec le tableau sous le bras et ce, sans laisser aucune trace de son passage.

De son côté, le musée fut bombardé de milliers de lettres au sujet du vol, toutes aussi fantaisistes que les autres d'autant plus que l'identité du voleur n'avait toujours pas été percée alors que Sir Gerald Kelly, président de la Royal Academy, alimenta la controverse en affirmant en 1964 que le Goya était purement et simplement un faux et qu'il valait donc mieux ne pas le retrouver. Au milieu de tout ce ramdam, le musée reçut aussi des demandes de rançon de la part de petits malins jusqu'au moment où le rédacteur en chef du Daily Mirror eut l'idée d'organiser une campagne visant à inciter le voleur à révéler où il avait planqué le Goya.

Le 5 mai 1965, ce dernier laissa le Goya bien emballé à la consigne de la station de New Street à Birmingham et envoya le récépissé N°F 24458 au journal qui récupéra le tableau que Michael Levey de la National Gallery authentifia tandis que les spéculations allèrent bon train au sujet de l'identité du voleur tantôt décrit comme un personnage blasé par son succès et désireux de se donner des coups d'adrénaline en créant un jeu de pistes ou comme un acteur ou un intellectuel, peut-être un écrivain, selon le Daily Telegraph qui se référa au nom de Bloxham, celui du dépositaire à la consigne de la station, en citant la pièce d'Oscar Wilde, « l'importance d'être sérieux » où dans l'acte 1 Lady Bloxham loue la maison de Jack Worthing à Belgrave Square en ajoutant que Jack, du temps où il avait été bébé, avait été trouvé dans un sac dans les toilettes de la gare Victoria.

Finalement, le mystère fut résolu lorsque le 19 juillet 1965, un homme d'une centaine de kilos qui n'avait rien à voir avec la littérature et qui était dénué d'éducation ou de connaissances en art se rendit à la police en disant être un chauffeur à la retraite du nom de Kempton Bunton demeurant Yewcroft Avenue à Newcastle, déjà emprisonné durant 69 jours en 1960 pour s'être soustrait au paiement de la taxe sur la télévision en se branchant seulement sur la chaîne gratuite ITV et non celle de la BBC.

Il déclara ainsi à la police qu'il avait dérobé le Goya pour attirer l'attention sur la campagne menée  pour une taxe télé réduite en faveur des retraités et non dans le but d'en profiter ou de le revendre en ajoutant qu'il avait utilisé une échelle pour pénétrer dans le musée en passant par une fenêtre des toilettes du premier étage pour s'emparer du portrait du duc de Wellington, à un moment où les gardiens devaient dormir ou jouer aux cartes avant de de repartir par où il était venu en rejoignant la chambre qu'il avait louée près de la gare de King's Cross.

Ayant retiré le tableau de son cadre qu'il avait abandonné à Londres, Bunton retourna chez lui à Newcastle et le remisa dans une armoire en ne révélant son petit exploit à personne, pas même son épouse, jusqu'au jour où il parla un peu trop à un ami dans un pub, ce qui l'amena à se rendre à la police avant que celui-ci ne s'avise à le dénoncer pour toucher une récompense.

Il émergea à son procès que ce n'était pas un crime de dérober un tableau d'un musée si l'auteur d'un tel acte n'avait pas l'intention de le garder indéfiniment. Pour sa part, il plaida non coupable aux quatre chefs d'accusation le concernant et ne fut inculpé que pour un seul, le vol du cadre du tableau évalué à 100 livres et jamais retrouvé, en étant acquitté du vol du Goya, de deux autres chefs d'accusation concernant une demande de rançon avec des menaces ou pour avoir causé un trouble à l'ordre public.

Finalement, Bunton fut condamné à trois mois de prison mais ce verdict laissa plusieurs questions en suspens, notamment sa déclaration selon laquelle il avait emprunté une échelle pour passer par une fenêtre en dérobant le tableau à 6 heures moins dix, à une heure où le système d'alarme était enclenché alors que la police estima qu'aucune fenêtre n'avait été bougée sans compter qu'il semblait incroyable qu'un individu pesant plus de 100 kilos ait pu aisément quitter le musée sans faire aucun bruit.

L'ironie de l'histoire fut que le musée n'avait pas désiré abriter le portrait qui avait été exposé durant 17 ans à la National Portrait Gallery suite à un prêt du duc de Leeds alors que le département du Trésor qui avait racheté le tableau s'était évertué à le lui remettre au lieu de le faire placer là où il avait été. De plus, il ne s'agissait pas de la meilleure version peinte par Goya qui avait instillé plus de talent dans la composition du portrait équestre de Wellington exposé à Apsley House.

A présent, le portrait n'est plus exposé au musée où il été envoyé au département des restaurations pour être nettoyé alors qu'il a été envisagé de l'exposer en compagnie du portrait équestre et du dessin pris sur le vif appartenant au département des gravures du British Museum qui avait servi à exécuter ces deux œuvres après la bataille de Salamanque lorsque Goya avait persuadé Wellington de poser pour lui en le menaçant d'un pistolet.

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