On ne dira jamais combien l'art a eu de l'importance
pour la race humaine depuis la nuit des temps et ce, plus de 35 000 ans
avant l'apparition du premier alphabet apparu sur terre.
Pourtant, on a eu quelque peu tendance à oublier ce fait
primordial pour souvent placer l'art en retrait par rapport à la littérature,
la philosophie ou à la science alors qu'il a été le véhicule de la pensée des
hommes dès l'instant où l'homo sapiens sapiens a dominé le monde, la faute revenant aux
historiens qui l'ont segmenté à qui mieux mieux en diverses catégories pour le rapporter souvent aux civilisations.
Ainsi donc, on évoque dans les livres l'art préhistorique, l'art
égyptien, l'art grec, l'art romain, celui des barbares, du Moyen-Âge, de la
Renaissance et tutti quanti pour diluer malencontreusement cette forme
d'expression qui en réalité forme un tout.
Si on tombe sur un ouvrage consacré à l'abstraction,
on apprendra ainsi que ce mouvement est né au début du 20e siècle, idem
pour le Cubisme, ce qui est de toute évidence réducteur pour la simple raison
qu'une visite à Lascaux nous démontrera que les hommes préhistoriques avaient
déjà plus que flirté avec l'abstrait et le trait dans des fresques magistrales.
C'est déjà un premier point à retenir, à savoir qu'il n'y a
pas eu de réelle invention dans l'art mais une évolution progressive à travers des milliers
d'années mais le plus important n'est pas là puisque l'art d'il y a 40 000 ans
fut non seulement pictural, symbolique et religieux mais aussi une expression
précédant l'écriture et vraisemblablement la première manifestation de
l'observation des astres.
C'est d'ailleurs plus par l'étude des fresques
préhistoriques découvertes en Europe, en Afrique et ailleurs que par l'analyse
de l'habitat ou des squelettes des premiers hommes que les anthropologues ont
pu avancer dans leurs recherches pour déterminer leur mode de vie.
Les chercheurs ont été ainsi stupéfaits de découvrir que ces derniers avaient des dons artistiques poussés tendant à prouver que la
race humaine a eu très tôt l'art dans ses gènes comme on a pu le déterminer au
vu de dessins d'enfants comparables à ceux de Picasso.
Demeurant une énigme, les fresques préhistoriques ont été considérées comme de véritables chefs d'œuvre de l'art pour imaginer aussi qu'elles avaient un
caractère rituel et qu'elles avaient été de ce fait réalisées par des chamans
pour célébrer la chasse à travers la représentation de divers animaux.
Si on y regarde de plus près, et c'est là mon
sentiment, ces fresques recelaient aussi un caractère religieux, les animaux
étant considérés comme des divinités, une constante que l'on retrouve à
profusion dans l'art égyptien, puis l'art grec et romain.
On peut croire sans difficulté que les hommes préhistoriques
partis chasser des mammouths ou d'autres animaux impressionnants comme
l'aurochs avec des pieux munis de pointe de silex étaient confrontés à une
terrible épreuve digne de l'affrontement virtuel d'un individu avec un monstre
du genre King Kong ou Godzilla présenté au 20e siècle dans des
films, des B.D ou des livres écrits par des auteurs du calibre de Tolkien.
Autant se dire que de tels animaux à l'époque de la
préhistoire avaient la stature de dieux que les hommes d'alors craignaient et
respectaient.
L'autre énigme de ces fresques concerne la
disposition des images vues par certains spécialistes comme la représentation
du ciel ou des solstices d'hiver ou d'été. Certaines expériences faites dans
des grottes ont d'ailleurs été dans ce sens.
Une chose est sûre, les premiers hommes étaient plus
qu'impressionnés par le ciel au-dessus d'eux en croyant probablement qu'il y
avait là des forces inconnues et redoutables constituées par les étoiles
scintillant la nuit lesquels devaient être interprétées comme des flambeaux
incandescents brandis par des êtres surnaturels.
Le mystère reste toutefois entier quant la
signification profonde des images figurant sur les parois des grottes
préhistoriques mais il n'en reste pas moins qu'elles représentaient déjà une
expression bien déterminée, peut-être la traduction d'une forme de pensée,
certes primitive, mais déjà ancrée dans l'esprit de ceux qui d'un côté les
créaient et de l'autre les admiraient, peut-être même une forme d'écriture
avant la lettre précédant de très loin les signes cunéiformes du 5e
millénaire avant J.-C. ou les hiéroglyphes des Egyptiens. Personne
malheureusement n'apportera de réponse pertinente à ce sujet mais le fait est
que les hommes de la préhistoire avaient déjà en eux un sens artistique inné et
que la race humaine ne fit alors rien d'autre que de faire évoluer l'art à travers
les millénaires.
Il convient d'avouer au passage que les vénus aurignaciennes,
des statuettes en ivoires de femmes stéatopyges datant de 40 000 ans, n'ont
rien à envier aux statuettes de la Bactriane du 4e millénaire avant
J.-C. ou à celles des Cyclades du millénaire suivant, ce qui prouve que les
artistes préhistoriques étaient à tout le moins de fabuleux artistes.
Finalement, il est primordial de voir l'art dans son
ensemble au lieu de le catégoriser pour se rendre compte que son rôle d'accompagnement
dans la vie des hommes est aussi vital que d'autres formes d'expression que d'aucuns
jugent plus importantes. L'art mérite donc d'être considéré sous un autre angle
d'autant plus qu'il représente plus que jamais une muraille contre l'obscurantisme
et la source d'une meilleure entente entre les hommes. Si comme
les Jeux Olympiques, la guerre avait consisté à organiser des compétitions entre artistes de
tous pays, le monde aurait ainsi échappé à bien des cataclysmes. L'ennui est qu'on
ne peut pas le refaire…
Adrian Darmon