Après la
décision du président Emmanuel Macron de restituer des objets tribaux au Bénin,
plusieurs pays africains, dont le Sénégal et la Côte d'Ivoire, ont réclamé le
retour de plusieurs de leurs reliques conservées au musée du Quai Branly alors
que des historiens et des conservateurs de musées ont dénoncé une attitude abusive de repentance de la France visant à se
faire pardonner sa politique coloniale de jadis.
Ainsi,
La Côte d'Ivoire va
demander à la France la restitution d'une centaine d'oeuvres d'art dont la
liste a été dressée par son Musée des Civilisations pour les transmettre aux experts désignés par l'Etat français en vue de leur rapatriement
puisque Paris a souhaité engager une réflexion à ce sujet avec d'autres pays
européens concernés.
Le gouvernement ivoirien a indiqué que le Musée national d'Abidjan,
était à même de récupérer et d'accueillir ces différentes oeuvres dès leur
retour et le premier objet qu'il a réclamé a été le Djiji Ayokwe, le tambour
parleur du peuple Ebrié (peuple de la région d'Abidjan) arraché pendant la
colonisation et actuellement conservé au Musée du Quai Branly à Paris.
A la suite de la Côte d'Ivoire, le Sénégal a également réclamé
la restitution par la France de tous les œuvres identifiées comme provenant de
son territoire en se déclarant disposé à trouver des solutions avec Paris après la présentation à la presse du Musée des civilisations noires, qui sera inauguré à
Dakar le 6 décembre.
Le
directeur de musée, Hamady Bocoum, a déclaré : "On dispose de tout ce qu'on veut" pour le lancement du
MCN, des vestiges sur les premiers hominidés, apparus en Afrique il y a
plusieurs millions d'années, aux créations artistiques actuelles en citant
notamment "l'outillage
lithique" (en pierre) de ces hominidés, des collections de peintures
et de sculptures.
Le gigantesque bâtiment, situé dans
le centre-ville de Dakar, a fait l'objet d'un don de 20 milliards de francs CFA
(près de 30,5 millions d'euros) par la Chine, qui l'a également équipé pour
deux à trois milliards de Francs CFA" (3 à 4,5 millions d'euros). L'idée
d'un MCN au Sénégal avait été lancée par le président-poète Léopold Sédar
Senghor, premier chef d'État du Sénégal (1960-1980), lors du premier festival
mondial des arts nègres organisé en 1966 au Sénégal, mais les travaux n'ont été
lancés que sous la présidence d'Abdoulaye Wade (2000-2012).
L'architecture
du nouveau musée, en face du Grand Théâtre National, est inspirée des cases
rondes africaines, en particulier celles de Casamance, la région du sud du
Sénégal, a ajouté Hamady Bocoum en ajoutant qu'il s'agissait d'un projet
panafricain comportant une facette de chaque partie de l'Afrique pouvant
accueillir 18.000 pièces sur une surface de 14.000 m2 pour mettre en exergue la
contribution de l'Afrique au patrimoine culturel et scientifique avec l'objectif
de se projeter sur l'avenir.
Bref, Emmanuel Macron a ouvert
une boîte de Pandore qui n'est pas près de se refermer d'autant plus que ce sont tous les pays occidentaux qui sont
soumis à la pression des descendants des peuples qu'ils avaient colonisés, non seulement pour réclamer des objets ethniques mais aussi des reliques humaines puisque lesquels le British Museum, le musée de Berlin et des musées
français se sont vu réclamer le retour de milliers de crânes et d'objets rituels ethniques donnés
par des officiers coloniaux, des missionnaires ou des collectionneurs qu'ils exposent
et conservent dans leurs réserves.
Ainsi,
Lou-ann Ika Neel, descendante des tribus Mamalillikulla, Da'anx daxw, Ma'amtaglia,
‘Namgis et Kwagiulth de Colombie Britannique, a travaille avec le musée royal
de cet Etat en espérant récupérer des centaines de dépouilles humaines et d'objets
sacrés en soulignant qu'il était essentiel d'offrir des sépultures décentes aux
ancêtres de ces communautés afin que leurs esprits reposent en paix.
Il convient
d'ailleurs de signaler que ces demandes de restitutions ont longuement précédé
celles des pays africains, comme celles concernant des têtes tatouées de Maoris, notamment
un crâne d'enfant bien préservé emporté en Angleterre dès 1770 par le botaniste
Joseph Banks en échange de meubles de rangement de draps lors de son périple en
Nouvelle-Zélande. Ce genre de commerce avait cessé plus tard mais entre-temps, des centaines de
ces reliques avaient été vendues en faveur de musées européens et américains.
Le musée Te
Papa de Nouvelle-Zélande a estimé que les dépouilles d'au moins 600 ancêtres
maoris et moriori, dont de nombreuses têtes préervées, se trouvaient dans des
institutions européennes alors que le musée de Berlin possède également plus de
5.000 crânes d'Aficains ramenés au 19e siècle des colonies
allemandes d'Afrique de l'Est alors que d'autres reliques furent collectées
jusqu'à la moitié du 20e siècle, notamment par le navigateur
norvégien Thor Heyerdahl qui, lors de son expédition dans le Pacifique,
rapporta des ossements du peuple aborigène Rapa Nui pour les donner au musée d'Oslo.
Pour sa
part, le Metropolitan Museum de New York possède dix crânes de l'ouest de la
Papouasie offerts en 1965 par Nelson et Mary Rockefeller pour honorer la
mémoire de leur fils Michaël disparu lors d'une expédition dans la région alors
que le De Young Museum de San Francisco a restitué des reliques maories. De son
côté, le Humbold Forum de Berlin en cours de création s'est engagé à rendre des
milliers de celles-ci à leurs pays d'origine suite à la pression accrue de
communautés indigènes.
Depuis 2003,
le musée Te Papa Tongarewa de Nouvelle-Zélande a pu obtenir le retour de 500
crânes de musées britanniques, français, allemands, suédois et américains,
notamment 107 têtes maories et moriories par le musée d'histoire naturelle en
2014 tandis que le Bremen Übersee Museum a rendu 44 reliques à la
Nouvelle-Zélande en mai 2018.
Depuis
longtemps, les musées visés ont fait de la résistance en arguant que ces
reliques servaient à des études scientifiques mais celles-ci ont été pour la plupart du temps
exposées pour contredire cette affirmation alors que d'autres demandes ont été
faites par d'autres pays, comme le Tibet ou Haïti mais le processus s'est avéré
long et coûteux, sans compter qu'il paraît compliqué de déterminer les lieux exacts où
celles-ci ont été prises.
Les musées
ne sont donc pas très disposés à rendre ces reliques, comme le British Museum
qui en 2008 a opposé une fin de non recevoir au musée Te Papa du fait qu'il n'y
avait aucune preuve que celles qu'il possédait aient été volées. En 2013, le
musée avait fait de même en refusant de rendre le crâne d'un jeune homme à l'île
australienne du détroit du Torres pour indiquer qu'il n'était pas clair que l'importance
de reliques provenant d'une communauté ethnique dépassait leur signification au
plan de leur importance historique alors qu'il possède près de 200 d'entre
elles dans un lieu d'ordinaire fermé au public, sa politique ne faisant aucune
distinction entre des dépouilles trouvées par des archéologues et celles
collectées durant la période coloniale qui font, selon ses responsables, l'objet
de recherches scientifiques.
D'autres
musées ont argué qu'ils ne pouvaient rendre des reliques humaines du fait d'un
manque de consensus à propos de savoir à qui elles devaient être retournées
après l'extinction d'une tribu, comme celle de la première nation Miawpukek de
Terre-Neuve et du Labrador, dont une paire de crânes volée dans une tombe d'un
couple appartenant au peuple Beothuk disparu en 1829 qui avait atterri au musée
national d'Ecosse, lequel a néanmoins restitué des reliques aborigènes d'Australie.
Certains
artistes aborigènes n'ont pas hésité à s'emparer de ces affaires de reliques,
comme Judy Watson, qui a représenté l'Australie à la Biennale de Venise en
1997, laquelle a créé avec Emily Kame Kngwarreye et Yvonne Koolmatrie une série
d'oeuvres présentée à la Tate Britain dans le cadre de l'exposition « Artist
and Empire » en 2016 afin d'éveiller
la conscience des responsables du British Museum tandis que Daniel Boyd, un
descendant du peuple Kudjla-Gangalu du nord Queensland a créé des installations
avec des boîtes en carton qui avaient contenu des centaines de reliques
humaines au musée d'histoire naturelle de Londres pour raviver le souvenir des
indigènes.