Le chiffre d'affaires de Drouot pour les ventes d'art organisées durant le premier semestre 2005 a été de 230 millions d'euros (frais compris) en hausse de 15% par rapport à 2004 et de 5% vis-à-vis de 2003, une période exceptionnelle qui avait été marquée notamment par la spectaculaire vente Breton. A lui seul, le mois de juin 2005 a enregistré une progression de 43% par rapport à juin 2004 avec 72 enchères ayant dépassé 150 000 €, dont dix supérieures à 1 million €. La plus grande vente du semestre a été à l'actif du groupe Camard avec la dispersion des six chaises mythiques d'Eileen Gray qui a totalisé à elle seule près de 9 millions € sur un produit total de 13 591 285 €. Il y a eu également les ventes des robes Poiret, de la collection de sculptures précolombiennes de Gérard Geiger et des statues d'art africain de Béla Hein pour atteindre un résultat d'ensemble si prometteur.
Ainsi, la collection Geiger a rapporté 6,2 millions €, celle de la garde-robe de Denise et Paul Poiret a produit 1 883 814 € et la collection Béla Hein a totalisé 5,7 millions € alors que plusieurs records mondiaux ont été établis par les commissaires-priseurs de Drouot, notamment les 1 607 506 € pour "Jeune Fille", une sculpture de Gustave Miklos, les 1 744 728 € pour un fauteuil d'Eileen Gray sans oublier l'étonnant succès de la succession du peintre Mstislav Dobuzhinski qui a rapprté 4,1 millions €.
On n'oubliera pas les 2,4 millions € enregistrés pour un masque de grand initié Lega "Lukungu" ou les 1,2 million € pour un éventail d'appart fang de la collection Béla Hein, les 1 443 960 € portés sur une statuette florentine vers 1600 représentant Vénus après le bain d'après Jean de Bologne, les 912 000 € pour une sculpture anthromorphe Pucara du Pérou de la collection Geiger, les 782 145 € placés sur "Les Coquelicots", une toile du peintre américain John Leslie Breck, les 754 006 € pour une nature morte de 1955 par Nicolas de Staël, les 759 500 € pour un paysage d'hiver par Hendrick Avercamp, les 742 690 € pour "La Moisson", une huile sur panneau de Pieter Brueghel le Jeune, les 691 000 € pour un bureau plat d'époque Louis XVI estampillé Dubois, les
530 800 € pour une paire de faisans en porcelaine de Chine famille rose, les 504 000 € pour une coupe cérémonielle Dogon et les
481 594 € pour un portrait relief de Martial Raysse par Yves Klein.
Ce résultat d'ensemble a paru très prometteur pour le marché parisien sauf qu'il n'a concerné que des pièces exceptionnelles, ce qui signifie que les acheteurs ont pour la plupart eu pour motivation de faire des placements en sachant que le réservoir des oeuvres rares allait se tarir de plus en plus dans les années à venir.
En fait, la santé du marché repose surtout sur les ventes de pièces de qualité moyenne ou courante. Or, la plupart des professionnels ont subi une incroyable baisse de leurs chiffres d'affaires depuis l'intervention américaine en Irak qui avait déjà été précédée par un tassement du marché, déserté par les acheteurs américains, après les attentats du 11 septembre 2001 aux Etats-Unis.
Les antiquaires et les brocanteurs ont été pour la plupart à l'agonie depuis 2003 et nombre d'entre eux ont été forcés de vendre à perte à Drouot pour faire face à leurs charges. Le marché aux Puces de Saint-Ouen, le plus grand au monde, est devenu sinistré et risque de ne pas se relever d'autant plus que les arrêts d'activités s'y sont multipliés ces derniers mois. Forcés de se serrer la ceinture, les marchands des Puces ont donc été beaucoup moins actifs à Drouot.
A cela s'ajoute la peur d'attentats après ceux de Londres survenus le 7 juillet 2005, aucune capitale occidentale ne paraissant à l'abri d'attaques terroristes qui auraient pour conséquence d'aggraver la crise économique affectant l'Europe et surtout la France, confrontée à un fort chômage et à un spleen général propres à alourdir le climat social.
Au bout du compte, ce sont des détenteurs de gros capitaux désireux surtout de faire des placements qui font largement tourner Drouot en donnant l'impression- trompeuse- que le marché de l'art se porte bien. Or, la santé de ce dernier dépend avant tout des quelque 15 000 antiquaires et brocanteurs du pays et non pas d'une trentaine de grands marchands qui, confrontés eux aussi à la crise, sont forcés de restreindre leurs budgets.
Les commissaires-priseurs de Drouot peuvent remercier le ciel et la canicule meurtrière de 2003 de pouvoir trouver de belles successions à disperser mais ils savent que la lutte deviendra de plus féroce entre eux et les maisons de ventes étrangères implantées à Paris pour mettre la main sur d'autres collections prestigieuses car le réservoir des pièces rares baisse inexorablement. Ils peuvent entretemps espérer augmenter les produits de leurs ventes d'art d'Extrême-Orient grâce à de riches acheteurs chinois qui se manifestent de plus en plus dans la capitale mais ils n'ignorent pas que leur salut dépendra finalement d'un retour, pour l'instant hypothétique, de la croissance économique propre à provoquer un redécollage de l'activité des professionnels.
A.D