D'aucuns croyaient que la vague de spéculation qui mit le marché de l'art à genoux à la fin de 1991 n'allait pas revenir de sitôt mais les conseils de prudence qui se sont multipliés depuis ont été balayés par les résultats enregistrés ces derniers mois dans le domaine de la peinture moderne et contemporaine. La Foire de Bâle, qui s'est ouverte le 13 juin est devenue l'illustration frappante du climat de folie du premier semestre 1999 avec des dizaines d'oeuvres vendues à des prix démentiels.
Il faut bien dire que la qualité est devenue plus rare sur le marché, ce qu'ont compris les frères Nahmad et leur neveu Helly qui, après l'effondrement du marché il y a huit ans, ont continué à acheter des oeuvres souvent de qualité moyenne mais signées de noms célèbres pour les stocker un temps puis les revendre.
En dehors d'un nombre importants d'oeuvres achetées ces dernières années chez Christie's ou Sotheby's, Helly Nahmad a présenté à Bâle deux tableaux importants, l'un de Fernand Léger, «La Pipe» de 1918 offert à 12 millions de dollars, et l'autre de Mondrian datant de 1931 et en parfait état de conservation, proposé à 5 millions de dollars.
Helly Nahmad peut profiter du bouillonnement actuel pour vendre ces oeuvres aux prix demandés surtout que les tableaux exceptionnels qui apparaissent sur le marché ne sont pas légion. Sans conteste, le Léger a été un des plus beaux présentés à cette foire de Bâle où les spéculateurs sont venus en nombre.
L'an dernier déjà, les marchands avaient senti le vent de la spéculation se lever mais la brise est encore plus forte un an plus tard alors que les cotes de nombreux jeunes artistes contemporains a été multipliée par plus de cinq en quelques mois grâce aux ventes organisées par les maisons anglo-saxonnes.
Si on veut savoir le pourquoi du comment de cette tendance nettement haussière, il suffit de lire les journaux boursiers pour se faire une idée des petites fortunes qui se sont faites en quelques semaines à Wall Street, à la City ou à la Bourse de Paris. Il y a de l'argent en pagaille dans les hautes sphères et certains nouveaux riches n'hésitent pas à sortir de gros paquets d'argent pour spéculer sur les stars de demain, tels le sculpteur Robert Gober dont une oeuvre a été proposé à 795 000 dollars à Bâle.
Le constat général est que si une pièce atteint un prix conséquent dans une vente aux enchères, il devient naturel que les galeries se mettent au diapason au niveau des prix sinon le marché risquerait de se déporter complètement du côté des salles de ventes. Cet effet pernicieux a permis de rouvrir le cachot dans lequel on avait enfermé la spéculation alors que personne n'avait été en mesure de préciser pour combien de temps elle serait condamnée. On est donc revenu au galop dans la configuration horripilante des moutons de Panurge où tout le monde se jette avec avidité sur des oeuvres qui restent intéressantes. Voilà qui fera plaisir aux Japonais qui ont plus de 2000 toiles impressionnistes en stock dont ils voudraient se séparer. Encore un peu de patience et ils seront sûrs de retrouver plus que leur mise initiale.
Les collectionneurs qui se sont rués à Bâle ont payé le prix fort à chaque fois qu'ils ont acheté et ce, pour des peintres contemporains dont la cote véritable reste à faire. En attendant, les prix ont flambé pour de nombreux artistes et photographes comme Cindy Sherman dont certaines épreuves sont passées de 20,000 dollars à plus de 130 000 dollars en l'espace de quelques mois. Effet d'entraînement ou pas, l'art moderne suit puisque la galerie parisienne 1900-2000 a enregistré plus de 20 achats fermes avant l'ouverture de la Foire de Bâle pour des oeuvres surréalistes acquises par d'autres marchands, preuve s'il en est qu'il y a encore une marge à réaliser sur celles-ci.
La Foire a enregistré près de 800 candidatures pour 260 stands disponibles, c'est dire l'engouement des marchands pour cette manifestation devenue incontournable au fil des ans alors que le marché est plus que jamais porteur.
Cependant, les chefs d'œuvre manquent de plus en plus d'où une réduction de la présentation de pièces importantes. Mais cela oblige les professionnels à faire preuve de plus d'ingéniosité et de mettre les bouchées doubles pour défendre de jeunes artistes qu'ils dédaignaient naguère. L'essentiel est de profiter de l'effet boule de neige ainsi créé tout en restant lucide afin de bloquer à temps tout dérapage. Bref, les prix ne peuvent pas grimper indéfiniment sans risque de provoquer un nouveau dérapage. Les précautions à prendre sont plus que jamais de mise.