1999 aura été une année de folie pour de nombreux artistes contemporains, modernes ou impressionnistes dont les oeuvres ont été vendues à des prix astronomiques dans les salles de vente. Le marché de l'art s'est ainsi transformé en «marché dollars» sous l'impulsion de nouveaux acheteurs devenus riches grâce à la Bourse et aux nouvelles technologies comme l'Internet.
On veut bien admettre que Cézanne, Monet ou Seurat deviennent sans cesse plus chers du fait que leurs plus belles oeuvres sont maintenant en majorité dans des grands musées à travers la planète. On veut bien concevoir que des artistes modernes comme Picasso, Matisse et bien d'autres soient de plus en plus recherchés des amateurs tout comme des contemporains récemment disparus, ces chefs de file qu'ont été Warhol, Haring ou Basquiat qui ont transformé l'art en message visuel ou l'ont détourné pour le conjuguer avec les faits de société.
Mais peut-on accepter de voir des artistes plutôt provocateurs et possédant un sens inné de la communication, être portés au pinacle par ces nouveaux collectionneurs qui achètent des symboles de la fin du deuxième millénaire ?
Transformer la Cicciolina enlaçant la Panthère Rose de Jeff Koons en œuvre d'art mythique valant plus de onze millions de francs, c'est quelque part faire injure à l'art et à ses grands maîtres.
Cette récupération d'un animal loufoque de dessin animé associé à une star du cinéma porno a quelque chose de délirant et de surnaturel même si on peut être amené à reconnaître que ce couple kitsch en céramique se marie finalement assez bien avec le côté virtuel de l'Internet.
La consécration de Jeff Koons marque donc un début de rupture avec l'image traditionnelle du marché de l'art mais constitue aussi un plongeon dans l'inconnu.
Depuis la disparition de Picasso, le monde de l'art se cherche un nouveau grand maître et n'a réussi jusqu'à présent qu'à se trouver des artistes de transition. Certes, Warhol a joué un rôle non négligeable dans la transformation de l'art mais il a surtout été le catalyseur d'un nouveau mouvement plutôt qu'un véritable artiste en associant des symboles forts du dernier tiers du XXe siècle dans une production qui a beaucoup puisé ses racines dans la publicité dont il était issu.
Durant ces trente dernières années, l'art s'est ainsi déplacé sur le terrain du happening et des clichés de la société de consommation et on peut croire que Basquiat et Haring ont été les dignes fils de Warhol dans ce contexte alors que Picasso est resté sans descendance.
Maintenant, on risque d'entrer dans l'ère Koons qui pourrait bien être celle de l'incertitude tout simplement parce que cet artiste a quelque peu le profil d'un imposteur. Transformé en star, il finira peut-être en étoile filante. Mais le plus important est de savoir ce que deviendra au final l'art du XXIe siècle.
Face à cette question on peut adopter deux attitudes diamétralement opposées. La première est de se dire que l'art a sans cesse évolué à travers diverses révolutions subies au cours de son histoire. De plus, ces révolutions n'ont jamais été immédiatement perçues par le public et à cet égard, on peut citer en exemple l'Impressionnisme qui n'a été consacré qu'au bout de quarante ans d'existence.
En ce sens, il n'y aurait pas lieu de s'inquiéter et d'attendre de nouvelles mutations pour voir enfin apparaître un nouveau messie. La deuxième attitude est de verser dans un profond pessimisme en arguant que le monde de l'art est soumis à une anarchie galopante qui risque de le faire déraper car il n'y a plus d'artiste-phare à qui se raccrocher. Les collectionneurs céderaient ainsi à des pulsions éphémères au gré des changements de mode, ce qui ne laisserait plus de place à une réflexion de bon aloi. Le marché ne dépendrait alors plus que des caprices des nouveaux acheteurs qui imposeraient leurs goûts et finiraient par le faire trembler sur ses bases.
C'est oublier en fait que le monde de l'art n'est plus régi par un système qui reposait au XIXe siècle sur une alliance tacite entre les académies européennes.
Il a fallu attendre la fin de la Seconde Guerre Mondiale pour voir l'école moderne américaine commencer à le régenter à son tour alors que d'autres écoles ont mis le nez à la fenêtre. Depuis une vingtaine d'années, et malgré la domination des Américains, on a ainsi assisté à l'éclosion sur le marché de l'école sud-américaine et on peut imaginer que d'autres tendances, comme la peinture chinoise, grignoteront du terrain dans les années à venir.
Le monde est de plus en plus multiculturel, ce qui signifie que le système mis en place n'est pas immuable. Lorsque l'Afrique sortira de son long marasme économique, on peut parier que ses artistes feront enfin parler d'eux.
Quoiqu'en dise, l'art a toujours été récupéré et ce, depuis des centaines d'années. Les Romains ont copié les Grecs, les peintres de la Renaissance ont copié les Romains et les artistes qui ont suivi ont imité leurs aînés avant de trouver leur propre style. Il y a donc un système de vases communicants qui a perduré jusqu'à nos jours avec à chaque période une accélération sans cesse plus appuyée des révolutions.
Le problème est qu'aujourd'hui on a de plus en plus de mal à digérer les transformations comme si les temps de pause n'étaient plus permis d'où cette impression de sauter du coq à l'âne mais il reste que le marché a des capacités de résistance insoupçonnées et qu'après avoir ingurgité d'amères potions, il finira bien par trouver des remèdes aux diverses crises qui l'affectent.
En attendant, Koons et d'autres artistes qui ont trouvé le moyen de se mettre en exergue l'an dernier ont représenté un pernicieux bogue artistique de l'an 2000.
On attendra peut-être un certain temps pour voir les pendules être un jour remises à l'heure et ce jour viendra lorsque les artistes pourront enfin mieux se situer.
Il n'en reste pas moins que depuis la nuit des temps, ceux-ci ont été sans arrêt soumis à un questionnement lorsqu'il s'est agi de valider leurs choix. Il y a eu la domination de l'Eglise puis celle des humanistes et de la révolution industrielle. Aujourd'hui, l'art s'est greffé sur la société de consommation.
Demain, il sera peut-être lié à la spiritualité et au devenir de l'homme mais il existera tant que durera l'humanité, n'en doutons pas.