Gonçalvo se mordit les lèvres en se rendant compte que le choix de ce café n'avait guère été judicieux pour discuter de ce trésor en toute quiétude. Que faire ? Il interrogea ses collègues du regard et ceux-ci, terriblement gênés aux entournures, baissèrent alors la tête en dirigeant leurs yeux vers le sac posé par terre pour lui signifier qu'il n'y avait pas d'autre chose à faire que de l'entrouvrir et montrer son contenu à cet étranger qui les soumettait ainsi à sa volonté.
Grimaçant comme un voleur pris en flagrant délit, Gonçalvo se pencha en hésitant et ouvrit le sac posé à ses pieds devant l'homme qui écarquilla les yeux.
- Bigre ! En voilà une trouvaille !
L'homme plongea alors la main dans le sac et palpa avidement son contenu en lançant un regard en biais en direction des trois compères qui semblaient figés comme des statues.
Il retira la couronne du sac et la contempla d'un air avide. « Combien ? », demanda-t-il.
« Combien ? Euh… Je ne sais pas. C'est quand même de l'or », répondit Gonçalvo en tremblant.
« Hum… Ca doit peser dans les 200 grammes. Dans les 40 balles le gramme, ça ferait huit mille, ça vous irait ? », lâcha-t-il en posant l'objet sur ses genoux sans le quitter des yeux.
Huit mille… Ca représentait grosso-modo plus de cinq mois de salaire. Gonçalvo respira profondément et leva les yeux au plafond tout en essayant de réfléchir avant de sentir le pied de Pedro se poser lourdement sur le sien.
- 8 000, c'est une bonne offre, non ? Tiens, je vous donne aussi 7 000 pour 50 pièces d'or. C'est pratiquement le prix du cours du Napoléon. Ca fera donc 15 000 , que je peux vous régler en espèces dès demain matin. Alors ?
« C'est que… Enfin, on ne sait pas... Qu'en pensez-vous ? », murmura Gonçalvo en se retournant vers Pedro et Nunio qui se grattaient les cheveux d'un air perplexe.
« Allons… Vous croyez que vous trouverez comme ça des acheteurs prêts à vous donner du liquide sans vous demander d'où viennent ces objets ? J'en doute », ajouta l'homme d'un ton péremptoire.
« Euh, en effet… Mais il faut qu'on réfléchisse », déclara Pedro qui sembla sur la défensive alors que Nunio s'arracha alors nerveusement un poil de son nez en le prenant entre son index et son pouce tout en essayant de remettre de l'ordre dans sa tête.
« Il vous faut réfléchir ? Plus le temps va passer et plus vous risquerez des ennuis. Tenez, en plus de mon offre, je peux vous aider à écouler le reste pour vous permettre d'être plus tranquilles », déclara leur interlocuteur avant d'ajouter qu'ils feraient certainement une bonne affaire au passage.
Celui-ci prit une cigarette, la mit entre ses lèvres, l'alluma puis ferma les yeux et en tira une longue bouffée en attendant impatiemment leur réponse.
« Vous pouvez nous aider à écouler tout ça ? », demanda Gonçalvo tout en se frottant le front d'un air dubitatif.
« Je dois vous dire que vous avez de la chance. Je m'y connais un peu en pièces d'or et dans ce genre de babioles. En moins de quinze jours, vous aurez de quoi vous mettre pas mal d'argent dans les poches », lui répondit-il en sentant instinctivement qu'il avait bien ferré les trois compères.
« Combien ? », se risqua à demander Pedro.
« Voyons un peu », dit l'homme qui se sentait désormais maître de la situation. Il se pencha en avant et farfouilla rapidement dans le sac en brassant les monnaies et les objets. Hochant la tête, il se releva, se pinça les joues avec sa main droite, prit un stylo de la poche intérieure de sa veste et se mit à aligner des chiffres sur son journal. Les mâchoires serrées, Gonçalvo, Pedro et Nunio le regardèrent ainsi faire en attendant fébrilement le résultat de cette opération.
L'homme additionna les chiffres inscrits sur son journal et posa brutalement son stylo en s'étirant.
« Eh bien, ça fera dans les 70 000 francs, peut-être un peu plus », annonça-t-il en attendant avec impatience leur réaction.
« Madre … 70 000 », susurra Pedro en lançant un regard de connivence vers ses deux compères.
Gonçalvo fronça les sourcils puis, le coude posé sur la table, se prit la tête dans sa main droite en dodelinant puis en baragouinant en portugais devant l'homme qui le regardait attentivement.
« Euh… J'aurais préféré 75 000. Vous comprenez, ça fera 25 000 par tête de pipe. Ce serait plus convenable », s'aventura-t-il à répondre.
« Ah, je vois. Vous, vous êtes un dur en affaires ! », rétorqua l'homme en éclatant de rire.
- Va donc pour 75 000 mais pas d'embrouilles, hein ? Vous parliez de voir un voisin ? Oubliez-le ! Il faut que tout se passe dans la discrétion. Tope là ?
« Tope là », lâcha Gonçalvo tout en lui proposant de réaliser leur première transaction le lendemain à midi, c'est à dire à l'heure de la pose.
Ce qui fut dit fut fait. L'homme fut exact au même endroit et leur remit discrètement une enveloppe contenant les 15 000 francs pour leur première transaction. Sentant qu'il devait les mettre en confiance, il leur demanda alors de se faire seulement confier 50 pièces d'or pour les vendre avant d'en prendre 50 autres une fois ce lot payé et ainsi de suite.
Il alla ensuite faire un tour du côté de la rue de Richelieu et de la rue Vivienne où il vendit une dizaine de monnaies gallo-romaines pour 22 000 francs en prétendant aux marchands contactés qu'elles provenaient d'un héritage. Puis, il revint voir les trois ouvriers pour leur remettre une somme de 10 000 francs et comme convenu, ceux-ci lui confièrent alors un autre lot de pièces.
L'homme passa ainsi une quinzaine de jours à écouler une bonne partie de leur trésor auprès de marchands et de quelques collectionneurs amateurs mis dans la confidence en récoltant au total plus de 400 000 francs. Après avoir donné les 75 000 francs promis à Gonçalvo, Pedro et Nunio, il se mit en rapport avec un antiquaire qui lui offrit un peu plus de 100 000 francs pour la couronne et divers objets qui restaient. Ce prix lui sembla ridicule mais, peu désireux de commettre un faux-pas en les conservant trop longtemps, il préféra se débarrasser de ces objets sans trop discuter.
Ravi d'avoir blousé les découvreurs de ce trésor, l'hommene manqua pas de remercier la providence pour lui avoir permis de les rencontrer et d'empocher sur leur dos plus de 400 000 francs, une somme plutôt rondelle à l'époque.
Les services archéologiques de la Ville de Paris ne surent rien de la fabuleuse découverte de trésor gaulois à l'endroit où fut érigée la Tour Montparnasse et furent ainsi privés de l'immense bonheur d'identifier le personnage enterré là et de retracer une partie de l'histoire de Lutèce.
Si les milieux officiels restèrent dans l'ignorance, la rumeur alla toutefois bon train du fait que l'homme qui mit la main sur ce trésor céda à l'envie d'évoquer les conditions de cette trouvaille auprès de certains amateurs lorsqu'il leur vendirent certaines des monnaies trouvées par les trois ouvriers.
* Cette histoire, racontée sous forme de nouvelle, est authentique (elle m'a été racontée par un vieux chineur il y a 20 ans) sauf que les protagonistes ont été inventés et les événements imaginés. En fait, les ouvriers et leur chef d'équipe travaillant sur le chantier prirent probablement la décision de se partager le butin avant de l'écouler en douce en préférant ne pas révéler la présence de ce trésor pour éviter l'arrêt des travaux durant plusieurs semaines au profit d'une campagne de fouilles, ce qui aurait considérablement retardé la construction de la tour.