Les attentats du 11 septembre 2001 ont eu des effets complètement opposés en provoquant d'un côté une forte baisse des activités de nombreux professionnels du marché de l'art et de l'autre, une vive spéculation sur des oeuvres importantes depuis cette date. Les acheteurs sont plus que jamais friands d'œuvres majeures, notamment de Van Gogh, Monet, Renoir, Toulouse-Lautrec ou autres grosses pointures qui se vendent ainsi à tout va et démontrent à l'occasion que le marché est devenu une sorte d'annexe de la Bourse.
Peu importe les connaissances- il en existe même qui pensent que Rembrandt et Toulouse-Lautrec travaillaient à la même époque- il leur faut des œuvres qui valent des milliers de fois leur pesant d'or. A ce compte là d'ailleurs, la race des collectionneurs risque de disparaître rapidement pour laisser définitivement la place à de simples spéculateurs, une cinquantaine tout au plus, qui font déjà la loi sur le marché.
On n'achète plus de l'art par passion mais pour en faire une valeur refuge et à ce jeu là, comme le signale un grand courtier basé à Genève, les acquisitions se font parfois au dépit du bon sens au point que certains gros clients, tel Bernard Arnault, finissent par se rendre compte qu'ils ont commis de belles boulettes en payant au prix fort des œuvres qui n'ont finalement rien d'exceptionnel.
Les gros acheteurs dédaignent de plus en plus des artistes comme Boudin ou Lebourg pour se ruer sur les œuvres de grands peintres impressionnistes sans même vérifier si elles valent leur prix ou non et dans bien des cas, un certificat d'authenticité et un bon pedigree sont suffisants pour les décider à débourser des fortunes.
Dans ce contexte, les maisons de ventes n'ont pas manqué de suivre le mouvement pour satisfaire une clientèle dont l'exigence principale est de mettre la main sur une œuvre signée d'un grand maître. A la longue, elles ont préféré avoir recours à des rabatteurs chargés de dénicher de grosses collections monter de bonnes ventes en réduisant le rôle de grands spécialistes amoureux de leur métier mais dénués d'un sens commercial aiguisé. N'empêche la concurrence est vive avec certains grands courtiers et leur marge bénéficiaire s'est rétrécie comme une peau de chagrin car pour préserver leur hégémonie elle n'ont pas hésité à devenir en quelque sorte des organismes de crédits en octroyant au passage de garanties sur les prix de vente afin de séduire des vendeurs de plus en plus gourmands.
Selon un courtier de Genève qui dispose de près de 4 milliards de dollars de tableaux de grands maîtres à vendre, les véritables amateurs d'art ne sont plus que des rêveurs tout juste aptes à s'offrir les miettes laissées par des spéculateurs qui pour la plupart de connaissent rien à la peinture ou à la sculpture. C'est là un constat dérangeant mais bien réel dont il faut désormais tenir compte. Les récentes ventes importantes qui ont eu lieu à New York ont d'ailleurs apporté la preuve d'un engouement délirant pour les grosses pointures. Le 5 novembre, Phillips a vendu les collections Hoener et Smooke pour 13,8 millions de dollars et 86,1 millions de dollars respectivement en enregistrant onze records de prix et le lendemain, Christie's a dispersé la collection Gaffé pour 73,3 millions de dollars (33 millions de dollars au dessus de l'estimation basse) avec sept records à la clé dont un Léger, « Le Moteur » de 1918 adjugé pour 16,7 millions de dollars, un Miro,
« Portrait de Mme K » enlevé pour 12,6 millions de dollars, une sculpture de Picasso, « Tête de femme » (Fernande) acquis pour 4,95 millions de dollars ou un Hans Arp, titré « Pablo et Francesca », un relief peint sur carton de 1926 épinglé à 886 000 dollars.
Il convient de noter que les amateurs ont été surtout attirés par les œuvres provenant des grandes collections précitées et qu'ils ont plutôt fait la fine bouche pour le reste des lots offerts dans ces ventes alors que Sotheby's a créé la surprise le 7 novembre en vendant pour 6,6 millions de dollars, un record, une huile de Pissarro datée de 1893 et intitulée « La Rue Saint-Lazare ».
Parmi les acheteurs, on a compté peu de véritables collectionneurs par rapport à ces spéculateurs qui ne cessent de leur damer le pion en transformant le marché de l'art en casino.
Le marché ne tient le coup qu'à travers les grands créateurs de l'histoire de l'art mais au niveau inférieur, il subit une crise sérieuse suite à un net ralentissement des affaires qui était déjà perceptible avant le 11 septembre. Cela signifie qu'il fonctionne à deux vitesses avec d'un côté des acheteurs multimillionnaires qui cherchent surtout à réaliser des investissements rentables et de l'autre, des professionnels qui tentent de survivre en attendant des jours meilleurs lesquels dépendent d'une reprise économique aux Etats-Unis.
La face du marché a terriblement changé en une décennie surtout dans le domaine de l'art contemporain où des artistes bénéficient d'intenses opérations de promotion orchestrées par des spécialistes du marketing qui se soucient peu de savoir s'ils ont du talent ou non. A la longue, les réveils risquent fort d'être douloureux pour ceux qui ont misé sur des artistes dont la cote a exagérément explosé durant ces cinq dernières années.
Les véritables amateurs d'art en sont donc réduits à attendre des corrections qui se feront inévitablement sur ce marché devenu la chasse gardée des spéculateurs mais en attendant, rien ne les empêche de dénicher le rare et le beau sans avoir à se ruiner surtout qu'ils n'auront aucun mal à éviter l'univers à la « Dallas » qui s'est créé là où les transactions dépassent le million de dollars à tout le moins. Conclusion : Le mieux est de laisser les plus gros acheteurs de la planète batailler entre eux et de satisfaire ses propres désirs en ne faisant pas cas de leurs lubies.
A.D