Le corps transformé en objet à travers diverses modifications reste malgré tout un thème qui dérange mais le soir de l'inauguration, les visiteurs auront été probablement plus étonnés de constater que le spectacle était plutôt dans la salle et pas tellement sur les murs avec l'apparition de dizaines de personnages étranges dont certains avaient un côté plus monstrueux que les œuvres présentées. Filles aux coiffures délirantes comme sorties du film «Le Bal des Vampires» de Polanski, transsexuels relookés au bistouri, les lèvres gonflées, les seins siliconés à la limite de la pression maximales, mutants réels qui laissaient pantois d'autres visiteurs au look classique, tout cela sous l'œil satisfait d'un Navarra qui paraissait aux anges. Orlan, Aziz+ Cucher, Leigh Bowery, Stelarc, Benoit Méléard, Ali Mahdavi, Micha Peter, Lawick et Müller, David Lachapelle, Reiko Kruk, Nick Knight, Robert Gligorov, Eva & Adele, Dinos et Jake Chapman, les films de David Cronenberg, les robes d'Azzedine Alaïa, les chapeaux de Philip Treacy, les tissus façon peau de Nicole Tran Ba Vang, les délires du styliste Jeremy Scott, la robe cage d'Aimee Mullens, les créations détonantes d'Alexander McQueen ou celles de «Comme des Garçons» nous donnent à travers un excellent catalogue un aperçu grinçant des corps mutants. Pour autant, on peut s'interroger sur le bien-fondé de telles démarches. Art ou dérision ? Influence en devenir ou effet de mode transitoire ?
Il y a certes des pistes à explorer et on saura gré à Enrico Navarra d'avoir eu le cran de créer l'événement mais il n'en reste pas moins qu'un débat est d'ores et déjà engagé au sujet du corps mutant dans l'art contemporain, une réalité qui se dégage du virtuel mais qui reste toutefois encore en marge des courants actuels même si ce thème fait l'objet d'une médiatisation à outrance, notamment avec les projecteurs braqués sur Orlan, femme rafistolée au nom de l'art, devenue selon sa démarche une œuvre vivante ou plutôt un phénomène de curiosité pour les chaînes de télévision en mal de sensationnel. A quand les mutilés munis de prothèses délirantes ?
Il est quand même utile de signaler que les mutants n'ont pas attendu l'an 2000 pour se manifester. Déjà au siècle dernier on présentait dans des foires puis dans des photographies des êtres difformes qui suscitaient la curiosité malsaine du public. Plus près de nous, le film «Freaks» réalisé avant-guerre donna un avant-goût de la mode des monstres au cinéma alors que furent diffusées des photos et cartes postales de mutants d'opérette dès le début du XXe siècle. On le constate donc, le phénomène n'est guère nouveau et ce que nous propose Navarra n'est finalement qu'une version modernisée de ce thème dérangeant. Adrian Darmon
Une exposition intitulée «Le Corps Mutant» a attiré un public cosmopolite à la galerie Enrico Navarra le 12 à Paris.
Le thème du corps mutant est devenu un véritable champ d'investigation pour les artistes et créateurs d'aujourd'hui, qu'ils s'expriment par les arts plastiques, la mode, la musique ou le cinéma puisque le corps est devenu le lieu privilégié de l'affirmation personnelle et qu'il est un outil de la présence déjà fréquemment sculpté dans nos sociétés par la chirurgie plastique, la musculation, les tatouages ou les piercings.
Les artistes ont dépassé le stade du body art historique de la fin des années 1960 qui consistait à reconsidérer la place du corps dans la société le plus souvent par des performances provocantes et violentes. Mais le corps était encore indissociablement lié au sujet. On était encore loin de de s'intéresser à l'idée de mutation du corps, sauf au cinéma où les êtres mutants relevaient souvent de la science-fiction.
Les artistes considèrent maintenant le corps comme un accessoire, que l'on est libre de modeler et de redéfinir ou transformer. L'être mutant ne serait donc plus un monstre qui viendrait de l'espace tel qu'on peut se l'imaginer dans le futur et les artistes imaginent des mutations plus subtiles entre réalité et virtualité.
La photo est ainsi un support privilégié de ces mutations et elle est omniprésente dans cette exposition et il devient difficile de discerner entre la réalité et la virtualité car la science a donné la preuve de sa capacité à dépasser ce qu'on pouvait imaginer. Le pari de Navarra est audacieux du fait qu'on peut être amené à avoir une réaction de rejet en face de photographies plutôt chirurgicales qui sont à contre-courant de la beauté et il faut que les spectateurs surmontent leur première impression pour saisir la portée des différentes démarches artistiques. En ce sens, le cas Orlan est exemplaire puisqu'elle est une œuvre d'art vivante transformée au gré de sa volonté par le biais de performances chirurgicales.
Orlan, la femme mutante, introduit ainsi sans ménagement la notion de réalité là où certains ont déjà du mal à supporter la virtualité. Avec elle, l'opération chirurgicale n'est plus honteuse et son influence n'a pas été sans marquer certains créateurs.
Orlan a fait tomber les tabous quoiqu'elle invite nombre d'amateurs d'art à se poser des questions sur le développement d'une nouvelle forme d'expression qui aurait tendance à mener vers des pistes incertaines. De la même manière, le styliste Alexander McQueen a provoqué un tollé en osant montrer une femme handicapée dans un de ses défilés de mode mais au final, il a aidé les handicapés et les associations qui les soutiennent à faire accepter leur différence.
Le corps transformé en objet à travers diverses modifications reste malgré tout un thème qui dérange mais le soir de l'inauguration, les visiteurs auront été probablement plus étonnés de constater que le spectacle était plutôt dans la salle et pas tellement sur les murs avec l'apparition de dizaines de personnages étranges dont certains avaient un côté plus monstrueux que les œuvres présentées. Filles aux coiffures délirantes comme sorties du film «Le Bal des Vampires» de Polanski, transsexuels relookés au bistouri, les lèvres gonflées, les seins siliconés à la limite de la pression maximales, mutants réels qui laissaient pantois d'autres visiteurs au look classique, tout cela sous l'œil satisfait d'un Navarra qui paraissait aux anges. Orlan, Aziz+ Cucher, Leigh Bowery, Stelarc, Benoit Méléard, Ali Mahdavi, Micha Peter, Lawick et Müller, David Lachapelle, Reiko Kruk, Nick Knight, Robert Gligorov, Eva & Adele, Dinos et Jake Chapman, les films de David Cronenberg, les robes d'Azzedine Alaïa, les chapeaux de Philip Treacy, les tissus façon peau de Nicole Tran Ba Vang, les délires du styliste Jeremy Scott, la robe cage d'Aimee Mullens, les créations détonantes d'Alexander McQueen ou celles de «Comme des Garçons» nous donnent à travers un excellent catalogue un aperçu grinçant des corps mutants. Pour autant, on peut s'interroger sur le bien-fondé de telles démarches. Art ou dérision ? Influence en devenir ou effet de mode transitoire ?
Il y a certes des pistes à explorer et on saura gré à Enrico Navarra d'avoir eu le cran de créer l'événement mais il n'en reste pas moins qu'un débat est d'ores et déjà engagé au sujet du corps mutant dans l'art contemporain, une réalité qui se dégage du virtuel mais qui reste toutefois encore en marge des courants actuels même si ce thème fait l'objet d'une médiatisation à outrance, notamment avec les projecteurs braqués sur Orlan, femme rafistolée au nom de l'art, devenue selon sa démarche une œuvre vivante ou plutôt un phénomène de curiosité pour les chaînes de télévision en mal de sensationnel. A quand les mutilés munis de prothèses délirantes ?
Il est quand même utile de signaler que les mutants n'ont pas attendu l'an 2000 pour se manifester. Déjà au siècle dernier on présentait dans des foires puis dans des photographies des êtres difformes qui suscitaient la curiosité malsaine du public. Plus près de nous, le film «Freaks» réalisé avant-guerre donna un avant-goût de la mode des monstres au cinéma alors que furent diffusées des photos et cartes postales de mutants d'opérette dès le début du XXe siècle. On le constate donc, le phénomène n'est guère nouveau et ce que nous propose Navarra n'est finalement qu'une version modernisée de ce thème dérangeant. Adrian Darmon