Organisée du 15 au 28 septembre 2004 au Carrousel du Louvre, la Biennale des Antiquaires servira de test important pour le marché de l'art confronté à une crise profonde depuis les attentats du 11 septembre 2001 aux Etats-Unis. Valant plus d'un euro vingt au début de l'année 2001, le dollar s'échange aujourd'hui à 80 centimes, ce qui fait que les acheteurs américains, pénalisés par la décote de leur monnaie, sont beaucoup moins présents sur le marché de l'art européen. En outre, la crise a affecté l'ensemble des antiquaires sur le vieux continent au point de gripper les rouages du marché.
Les 107 exposants de l'incontournable Biennale auront à cœur d'émerveiller les visiteurs tout en s'angoissant à l'idée de ne pas couvrir leurs frais car la tendance est plus que jamais morose. Le test qui les attend sera donc redoutable même si certains grands marchands ont de quoi proposer des œuvres exceptionnelles qui changeront certainement de main à l'issue de cette manifestation.
Le galeriste suisse Jan Krugier sera présent avec une œuvre quasiment inédite de Gustave Courbet titrée « La Famille des saltimbanques » (191 x 165 cm) que l'artiste mit en sûreté chez des amis lorsqu'il dut fuir la France pour s'exiler en Suisse après les événements de la Commune. Accusé d'en être un des meneurs, Courbet craignit qu'elle fût saisie.
L'œuvre resta donc cachée sous un faux plancher puis les héritiers de ses amis se la disputèrent et durent se résoudre à la vendre. Au début des années 1990, elle se retrouva aux Etats-Unis où Krugier l'acheta. Sur son stand, où cette toile est offerte au prix faramineux de 14 millions d'euros, on découvrira également une nature morte de Cézanne, un magnifique Picasso représentant le portrait de sa sœur, un Balthus et un Giacometti.
Sur ceux de De Jonckheere, Cazaux-La Béraudière ou Coatelem, on admirera respectivement un superbe tableau du peintre flamand Pieter Brueghel le Jeune titré « L'Eté », un Magritte intitulé « Le Domaine Enchanté » ou une tête de petite fille en marbre par Camille Claudel alors que sur le stand de la galerie Custod on s'ébaubira devant un rare tableau de Francis Bacon titré
« Portrait de l'Oiseau en vol » montrant George Dyer, l'amant de l'artiste qui se suicida en 1971.
Bernard Steinitz, surnommé « Le prince des antiquaires » n'aura pas lésiné sur la décoration de son espace de 105 m2, le plus grand de la Biennale, avec des meubles et des boiseries rares rivalisant en qualité les pièces présentées par Jacques Perrin, son alter ego. Tous deux jouent d'ailleurs gros à une époque où les œuvres Art Déco dament le pion à celles du XVIIIe siècle, moins prisées par des amateurs devenus forcément plus jeunes au fil des années et donc plus désireux de vivre avec leur temps. C'est ainsi que plusieurs galeries d'Art Nouveau et Déco ont renforcé leur présence à la Biennale depuis une dizaine d'années en tirant avantage de l'engouement de plus en plus en fort constaté pour les plus beaux meubles et objets de décoration produits entre 1900 et 1950.
Toutefois, comme lors de la précédente édition sur le stand de Robert Noortman, la star de la Biennale pourrait bien être encore un tableau de Rembrandt présenté par cette même galerie. Cette fois, il s'agit d'un portrait d'homme au manteau rouge propre à susciter l'admiration des amateurs et la jalousie de ses confrères.
Quoiqu'il en soit, la Biennale jouera encore son rôle de musée éphémère pour des dizaines de milliers d'amoureux de l'art parmi lesquels ne figure qu'un petit bataillon d'acheteurs car à moins de 10 000 euros, il n'y a pratiquement rien à acheter alors que les pièces intéressantes se situent au-delà de la barre des 50 000 euros. Les visiteurs seront en fait là pour voir et parfois se faire voir tandis que les marchands devront patienter près d'une semaine pour commencer à faire leurs comptes. Mais comme le marché est loin de vivre une période euphorique, on peut déjà gager que le niveau des affaires sera plutôt moyen. A moins d'un miracle…
A.D