L'événement de l'été se passe à Londres avec la présentation de plus de 75 chefs d'œuvre de Vermeer, Pieter de Hooch, Carel Fabritius, Michiel van Mierevelt ou Emmanuel de Witte à la National Gallery jusqu'au 16 septembre 2001.
L'exposition intitulée «Vermeer et l'école de Delft» est éblouissante à plus d'un titre et permet de diffuser un éclairage intéressant sur ce peuple hollandais qui fut à la fois conquérant et casanier et dont les artistes apportèrent une pierre si précieuse à l'édification de l'histoire de l'art.
N'oublions pas que ceux-ci furent les premiers en Occident à traiter du paysage en plein air avec notamment Paulus Potter, Wynants ou Ruysdaël et qu'ils donnèrent de nouvelles lettres de noblesse à l'art de la nature morte. Conquérants sur les mers du globe, commerçants jusqu'au bout des ongles, les Hollandais raffolèrent des scènes d'intérieurs peintes avec une minutie sans pareille par leurs artistes, avec Vermeer et Pieter de Hooch, interprètes du quotidien, d'une tranquillité et d'une douce volupté affichées par leurs concitoyens.
De Hooch traduit le vrai à travers des intérieurs et des intimités silencieuses où les personnages se confondent avec le mobilier sous un éclairage particulier diffusé au rythme d'une journée comme les autres. Carel Fabritius, son maître et celui de Vermeer mort à 35 ans avec sa famille dans l'explosion de la poudrière de Delft, reste méconnu car la plupart de ses œuvres ont disparu. Ce disciple de Rembrandt produisit probablement certains des plus beaux tableaux de son temps comme cette toile intitulée «Le Chardonneret» présentée à Londres où on sent poindre Vermeer et où la précision et l'atmosphère se révèlent bigrement magiques.
Vermeer, peintre mystérieux puisqu'on ne sait pratiquement rien de sa vie et qui ne fut redécouvert qu'au milieu du XIXe siècle, exhala tout son génie dans une courte série d'œuvres devenues mythiques aux yeux de nombreux grands maîtres et écrivains. On les a depuis disséquées à foison mais si on connaît leur technique, elles n'en restent pas moins mystérieuses. Ce qui prédomine chez Vermeer, c'est le silence et cette manière qu'il a de nous offrir la possibilité d'entrer dans ses tableaux comme des intrus venant espionner une scène d'intimité.
Ce peintre a su traduire l'ordinaire pour le rendre extraordinaire en donnant aux éléments de ses scènes une importance vitale, où une cruche ou une tenture paraissent plus présentes que les personnages. Luxe, calme et volupté se mêlent dans une lumière irradiante et un silence figeant une scène comme une photographie. Vermeer se manifeste ainsi comme le chantre de la vie domestique en exhalant un raffinement empreint d'une chaste sensualité et offrant des sensations, nous projetant par là-même dans le temps pour saisir des instants fugaces d'un XVIIe siècle enchanteur.
De Hooch ou Vermeer ont traduit l'opulence d'une bourgeoisie hollandaise soucieuse de propreté et d'ordre, menant une vie réglée comme du papier à musique avec une sorte de goût pour le recueillement et une idée des choses bien faites, montrant pour ainsi dire la face cachée d'une société qui au dehors montrait un appétit féroce pour le commerce, un courage sans bornes pour arracher leur terre à la mer et un désir de discipline allié à la tolérance. On est loin cependant du petit peuple montré sans concessions par d'autres artistes en train de faire ripaille, vivant dans des conditions insalubres, loin des ports, des marins et des petits pêcheurs comme si on avait affaire en fait à deux pays : la Hollande et les Pays-Bas ainsi donc qu'à deux mondes distincts.
La réalité chez Vermeer et de Hooch s'accompagne du mystère. Et si comme rien n'avait changé, on la retrouve aujourd'hui avec acuité à Amsterdam où de nombreuses maisons bourgeoises sont perdues au milieu des quartiers chauds, où l'on cultive ouvertement le haschisch et un art de vivre très clean, où le silence fait place au bruit d'une rue à l'autre et où le visiteur passe indifféremment de la modernité à l'ancien temps. Adrian Darmon