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Un étonnant atelier de faussaires
01 Août 2003



Considéré par certains comme un inconnu et par d'autres dans le monde comme un égyptologue de grand avenir, Luc Watrin affirme avoir reçu des menaces de mort en plein tribunal à la fin des plaidoiries d'appel en mars 2002 et ce, devant plusieurs témoins, suite à ses investigations pour le compte de François Pinault. En courant certains risques, il n'a pas hésité à mener sa propre enquête au Caire pour finalement découvrir l'atelier de faussaires d'où serait sortie la statue de Sésostris achetée par les époux Pinault.

s'aidant du journaliste Laszlo Liszkaï, qui s'est fait passer pour un acheteur potentiel, il a pu faire entrer celui-ci en contact avec des marchands de souvenirs du grand bazar du Caire qui sont les yeux et les oreilles des faussaires travaillant en province lesquels lui ont montré certaines pièces avant de comprendre ce qu'il cherchait vraiment.

C'est ainsi qu'il a pu rencontrer Youssef « le Chimiste », Khaled « le Professeur » et Ahmed « l'Economiste », des spécialistes des fausses antiquités égyptiennes qui lui ont montré plusieurs statues royales en pierre cachées dans une villa à Héliopolis sans se douter qu'ils étaient soupçonnés de diriger l'atelier principal qui fabrique les semi-faux – ou les semi-vrais- monuments pharaoniques à Mit Rahineh, l'antique Memphis.

Cet atelier servirait de cache et de dépôt au « Professeur » et emploierait un des plus grands faussaires égyptiens, un quinquagénaire présenté sous le nom de «Mohammed » qui a pu être photographié à l'œuvre.

Ayant commencé à produire des faux à l'âge de quinze ans, " Mohammed" et son frère travaillent dans ce petit village au bord du Nil, entre Saqqara et Dahchour. Pour exécuter des faux, ils ont l'habitude de ramasser des matériaux antiques et s'amusent depuis des années à tromper nombre d'égyptologues confirmés.

Liszkaï n'a pas hésité à montrer à « Mohammed » la photo de la statue de Sésostris III acquise par le couple Pinault et taillée dans un granit similaire à celui qu'il avait repéré dans son atelier, ce qui n'a pas manqué de faire blêmir le copiste et de mettre le
« Professeur » mal à l'aise.

Le lendemain, lors d'une rencontre au souk de Khan el Khalili, ses interlocuteurs ont sorti d'une valise une statue en granit gris moucheté de 70 cm de haut représentant un pharaon debout avec un collier sculpté en relief tout à fait identique à la statue d'Amenemhat IV, petit-fils de Sésostris III, conservée dans la collection Halkédis du Musée d'Atlanta mais identifiée comme fausse par Watrin.

Le visage de cette statue lui a paru trop moderne tandis que la qualité des textes gravés laissait à désirer. N'empêche, cette copie plutôt trompeuse sur la ceinture de laquelle figurait le nom de Sésostris III était curieusement comparable à celle du Sésostris III achetée en novembre 1998 à Paris.

Pour cette œuvre habilement exécutée, les faussaires ont réclamé un million de dollars avant de réviser leur demande en la baissant à un demi-million deux heures plus tard, et histoire d'endormir leur méfiance, le journaliste a promis de transmettre leurs prétentions à un riche collectionneur imaginaire à Paris.

Il est de fait que les photos que le journaliste et Watrin ont rapportées sont de nature à semer le trouble parmi nombre d'égyptologues car les pièces qui y sont représentées ainsi que leur processus d'exécution laissent peu de doutes sur les capacités de "Mohammed" à réaliser des œuvres en pierre sans parler de celles de son frère, génie de la fabrication de fausses pièces en bois.

Luc Watrin est persuadé que la statue de 57 cm de haut estimée à 300 000 euros et adjugée à madame Pinault pour quelque
770 000 euros le 10 novembre 1998 est sortie de l'atelier de « Mohammed » il y a environ 25 ans, un fait qui reste à prouver quand bien même celle-ci serait définitivement considérée comme fausse.

En attendant, il semblerait bien que le couple Pinault l'avait acquise dans le but de l'offrir en dation au Louvre et le refus du musée d'une telle offre (refus exprimé dit-on par la dirigeante du département égyptien madame C. Ziegler), malgré le rapport de Mmes Desroches-Noblecourt et Delange certifiant son authenticité, a laissé bien des questions en suspens.

Une année auparavant, le couple Pinault avait déjà déboursé 5 millions de francs afin d'aider la Société des Amis du Louvre à acquérir pour le compte du musée une superbe statue antique dont l'origine reste un mystère de la reine Ouret, mère de Sésostris III, auprès d'une galerie franco-suisse.

Selon Luc Watrin, la statue de Sésostris III censée dater de la XIIe dynastie (vers 1900-1850 avant J.-C.) et nantie d'inscriptions avait été présentée sans succès en 1981 au musée de Berlin puis en 1983 par Madame Vollmoeller, une antiquaire zurichoise, au Musée d'Art et d'Histoire de Genève qui la considéra comme fausse. C'est entre ces deux dates que les textes gravés sur la partie antérieure du trône et sur le socle furent effacés, a-t-il indiqué.

Ce dernier a retracé le parcours de la statue à Bruxelles dans les années 1980 puis aux Etats-Unis à la galerie d'art de Samuel Merrin à New York où l'égyptologue Patrick Cardon, ancien conservateur du Musée de Brooklyn, la vit et la jugea fausse. Elle fut alors proposée au Musée de Cleveland qui la refusa puis elle retourna en Europe.

La galerie suisse Vollmoeller la présenta en 1993 à la foire de Bâle mais elle fut retirée par le jury car jugée douteuse. Elle ne réapparut finalement qu'en 1998 chez l'expert Chakib Sliitine.

Luc Watrin a précisé que le professeur Jean Yoyotte conseilla à l'expert de contacter le professeur Wildung du Musée de Berlin pour obtenir un avis incontournable sur cette statue. Ce dernier aurait ainsi appris qu'elle avait été présentée au début des années 1980 à son prédécesseur, le Dr Settgast. Le professeur Wildung serait venu à Paris dire à M. Slitine que cette pièce était un faux mais elle fut malgré tout présentée à la vente le 10 novembre 1998 à Drouot.

Déçu de ne pas avoir été écouté, le professeur Wildung décida quelques jours plus tard d'annoncer dans le journal « Libération » que le couple Pinault avait acheté un faux, une démarche qui incita le propriétaire de Christie's à renvoyer la statue au commissaire-priseur, M° Coutau-Bégarie.

On connaît la suite. N'osant prétexter le faux après avoir pris connaissance du rapport de Mmes Desroches-Noblecourt et Delange étant donné la notoriété médiatique d'une des deux signataire, l'avocat du couple Pinault ne plaida que sur la non-conformité de la description de l'objet dans le catalogue de la vente. Débouté, le couple s'en remit à l'égyptologue français Luc Watrin qui réalisa une étude contradictoire afin de prouver qu'il s'agissait d'un faux. Piégé par la stratégie du premier procès qui ne contestait pas la qualité du rapport des experts judiciaires, et malgré les plaidoiries de nouveaux avocats fraîchement nommés et un nouveau rapport d'expertise concluant à la non authenticité de la statue, le couple ne put faire plaider le faux et se vit conseiller de baser son argumentation sur un timide « doute sur l'authenticité de l'objet ». Cette variante, molle aux dires de certains observateurs, du premier procès ,e permit pas aux époux Pinault de gagner en appel.

Au printemps de 2002, le laboratoire Maurer entra en scène pour constater que la statue comportait des traces d'outils modernes. Un an plus tard, le professeur Yoyotte, après la lecture des rapports d'expertise de Luc Watrin et de Bertrand Dubosqc est finalement intervenu pour dire à son tour que la statue était fausse.

Luc Watrin s'est étonné que la justice n'ait pas exigé de connaître l'identité du propriétaire de la statue, confiée par un avocat berlinois à M. Slitine tout en soulignant qu'elle n'avait pas été trouvée lors d'une campagne classique de fouilles. Il se peut cependant que le vendeur soit la galerie zurichoise qui l'avait proposé en vain à plusieurs musées durant ces vingt dernières années.

En attendant, l'arrestation au Caire en mai 2003 de M. Tareq Al-Soweissi, chef d'un réseau de trafiquants d'objets réels et de faux, connu d'après des sources informées sous le nom de Tareq Mohamed Ahmed, pourrait permettre à la police égyptienne de démanteler des ateliers modernes de copistes et de remonter la piste du trafic d'objets volés ou de faux vers l'Europe et les Etats-Unis.

Selon un haut responsable de l'unité spéciale de l'ACA (Administrative Control Authority), un groupe d'élite de la police égyptienne qui a arrêté Al-Soweissi en flagrant délit lors de la livraison d'une statue antique à son domicile, trois millions de dollars en espèces auraient été trouvés dans le bureau du trafiquant alors que des écoutes téléphoniques auraient permis de dresser une liste de numéros correspondant à ceux de marchands établis à l'étranger. L'enquête en cours promettrait selon ces mêmes sources de réserver des surprises de taille propres à secouer le marché de l'art.

En attendant, si M. François Pinault ne parvenait pas à obtenir gain de cause en justice, il lui resterait une option originale peut-être apte à faire de la statue de Sésostris une oeuvre valant au bas mot deux millions d'euros, soit bien plus que son pesant d'or ou que son prix d'achat augmenté des frais de justice et autres.

Il lui suffirait pour cela de faire appel à un artiste réputé comme Maurizio Cattelan, devenu une star dans les salles de vente internationales, afin de créer une installation qui ferait sensation en montrant par exemple des fidèles prosternés (ou peut-être des égyptologues) devant la statue pour l'exposer ensuite dans son futur musée de l'île Seguin dédié à l'art contemporain, histoire d'oublier définitivement sa déception suscitée par le refus du Louvre de l'accepter en dation et surtout de faire montre d'un talent peu commun dans l'art de transformer en véritable chef d'oeuvre un objet aujourd'hui jugé comme douteux par certains.

Adrian Darmon

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