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L'affaire de la vente de la statue du Sésostris III prend un nouveau tournant
01 Août 2003



Les égyptologues sont de plus en plus nombreux à considérer que la statue en pierre du pharaon Sésostris III acquise à l'Hôtel Drouot par M. et Mme François Pinault en novembre 1998 est un faux moderne, ce que le couple va bientôt tenter de démontrer dans le cadre d'un recours en révision après avoir été débouté à deux reprises par la justice.

Averti par le professeur berlinois Dietrich Wildung que la statue était fausse, les époux Pinault avaient décidé peu après cette vente de rendre la statue et s'étaient ensuite pourvus en justice pour obtenir l'annulation de la vente mais les juges du tribunal de Paris avaient délivré leur verdict en se basant sur un rapport des experts désignés par la cour, Mmes Desroches-Noblecourt et Delange, estimant que la statue vendue pour plus de 5 millions de francs était tout à fait authentique.

Débouté ensuite en appel, le couple Pinault espère avoir finalement gain de cause en justice le 10 septembre à Paris.

Lors de la vente du Sésostris III, l'expert Chakib Slitine, qui officie depuis plus d'une quinzaine d'années à Drouot, avait précisé qu'elle avait été réalisée au moment du règne du pharaon alors que Mme Pinault s'était adressée de son côté à Mme Elisabeth Delange qui avait émis un avis favorable au sujet de cette statue, a rapporté le journal " Le Monde" dans son édition du 16 août 2003.

Ce fut donc en se basant sur l'avis de Mme Delange que le couple décida d'acquérir la statue mais quelques jours plus tard, le journal « Libération » rapporta que le professeur Wildung avait refusé d'acquérir cette pièce quinze ans auparavant car il avait estimé qu'elle aurait été fabriquée durant la première moitié du XXe siècle.

Selon « Le Monde », ce fut le couple Pinault qui demanda à Mmes Desroches-Noblecourt et Delange d'agir en tant qu'experts judiciaires (choix accepté par la défense) pour examiner la statue dans le cadre du premier procès, ce qui, de l'avis du "Monde" posait problème puisqu'un expert pouvait être récusé s'il avait auparavant conseillé une des parties, ce qui était le cas pour Mme Delange.

Mmes Desroches-Noblecourt et Delange déclarèrent dans leur rapport remis en avril 2000 que la statue ne remontait pas au règne de Sésostris mais qu'il s'agissait très probablement d'une image commémorative exécutée au moins 60 ans après sa mort. Néanmoins, le couple Pinault réclama l'annulation de la vente en apprenant, selon « Le Monde » que le Louvre n'accepterait pas la statue en dation.

L'avocat du couple plaida en expliquant que celui-ci avait cru acquérir une pièce contemporaine du règne du pharaon, ce qui n'était pas le cas, mais le tribunal de Paris le débouta au motif qu'une variation de quelque 60 ans ne représentait pas grand chose concernant une pièce réalisée vers 1850 avant J.-C.

En appel, les avocats du couple Pinault décidèrent alors de plaider un doute sur l'authenticité de la statue en se basant sur un rapport rédigé par l'égyptologue Luc Watrin lequel avait contacté plusieurs confrères étrangers qui doutaient de son authenticité. Watrin conclua lui-même au faux grossier concernant la qualité de la statue tout en critiquant vivement le rapport d'expertise judiciaire. Toutefois, suite à la plaidoirie de M° Nitot, avocat de M. Slitine, de M° Coutau-Bégarie et du vendeur de la statue, la cour d'appel confirma le premier jugement, ce qui amena le couple Pinault a commander une étude scientifique au laboratoire Maurer lequel estima alors qu'il s'agissait d'un faux moderne.

Il reste donc à la cour de cassation de décider si cette statue est finalement authentique mais en confirmant les jugements précédents, sa décision risquera de faire date au registre de l'anachronisme puisqu'on se trouvera en présence d'une pièce reconnue authentique par la justice et considérée comme fausse par la plupart des spécialistes.

Les époux Pinault, et par ricochet Luc Watrin, à qui Mme Desroches-Noblecourt a dénié la qualité d'égyptologue en allant jusqu'à dire qu'il n'était qu'un simple guide touristique en Egypte, ont aujourd'hui trouvé un allié de poids en la personne de Jean Yoyotte, égyptologue, professeur honoraire au Collège de France et directeur d'études à l'Ecole Pratique des Hautes Etudes. Pour ce dernier, la justice ne saurait en imposer à des spécialistes quand bien même elle disposerait d'un rapport favorable au vendeur de la statue du Sésostris III.

Selon Jean Yoyotte, la statue avait été vue en 1970 par un antiquaire chez un marchand du Caire puis chez un marchand de Medinet el-Fayoum avant de quitter clandestinement l'Egypte pour la Suisse où elle fut proposée par la galerie Vollmoeller de Zürich à divers musées suisses, allemands ou américains.

Jean Yoyotte a indiqué au « Monde » n'avoir eu connaissance de l'existence de la statue qu'à la fin du mois de septembre 1998 au cabinet de M. Slitine qui lui annonça que Mme Delange l'avait authentifiée mais il exprima des doutes et conseilla à l'expert d'obtenir l'avis de M. Wildung lequel lui indiqua lors de leur rendez-vous qu'il estimait qu'elle était fausse.

Reconnu comme le grand spécialiste de la statuaire royale de la XIIe Dynastie, M. Wildung aurait manifesté sa surprise en apprenant qu'elle passait en vente à Drouot tandis que Jean Yoyotte s'intéressa à l'affaire du Sésostris examinée par la justice en épluchant le rapport de Mmes Desroches-Noblecourt et Delange. A ses yeux, leurs arguments ont semblé fragiles et n'ont pas été « le fruit de recherches érudites originales ».

Jean Yoyotte a regretté par ailleurs que Mme Desroches-Noblecourt ait critiqué M. Wildung en écrivant dans son livre intitulé «Sous le regard des dieux » (Albin Michel) que ce dernier ne pouvait admettre que cette statue soit authentique parce que son maître, Hans Wolfgang Müller, avec lequel il était en froid, avait dit qu'elle l'était. Cela posé, le rapport des deux expertes contenait à son avis des « erreurs, des exagérations théoriques et des arguments expéditifs ».

Dans son rapport, Mme Desroches-Noblecourt avait justifié la présence de traces de fer, voire d'acier, sur la statue alors que selon M. Yoyotte, elle faisait bon marché des acquis des archéologues dans ce domaine, rapporte « Le Monde ». Rappelons que le laboratoire Maurer avait décelé l'utilisation d'outils en fer ou en acier sur le Sésostris alors que durant le Moyen Empire, les sculpteurs utilisaient le silex et d'autres outils non-ferreux. Aux dires des experts judiciaires, ce laboratoire n'aurait toutefois pas une bonne réputation au sein de la communauté scientifique alors que la Cour d'Appel avait refusé à deux reprises d'ordonner un complément d'expertise.

Jean Yoyotte considère qu'il n'est pas d'usage qu'un chercheur conteste l'honnêteté intellectuelle d'un collègue et que Mme Desroches-Noblecourt n'avait pas à transgresser la morale commune. Il est néanmoins vrai que la grande dame de l'Egypte ancienne a pour habitude de distribuer des bons et des mauvais points à ses jeunes confrères, notamment à Luc Watrin, considéré par cette dernière et aussi par d'autres égyptologues français comme un empêcheur de tourner en rond sinon comme un inconnu qui n'aurait publié sur l'Egypte aucun ouvrage ni article de référence alors que l'intéressé affirme avoir été fortement présent depuis 8 ans dans tous les congrès internationaux d'égyptologie et être l'auteur de nombreux articles de référence, ce qui lui a valu, dit-il, d'être reconnu et respecté par ses collègues étrangers.

Quant à savoir ce qu'il pensait du rapport de Luc Watrin- que la partie adverse estime avoir été réalisé dans des conditions fort éloignées de la rigueur scientifique- M. Yoyotte a répondu qu'il contenait des observations pertinentes tout en ajoutant que la preuve la plus décisive de la falsification de la statue résidait dans les manœuvres de l'ancien détenteur de cette pièce qui avait arasé ses inscriptions après que les épigraphistes eurent décelé la marque d'un faussaire.

Pour conclure, Jean Yoyotte a déclaré au « Monde » qu'il fallait entre autres beaucoup de bonne volonté pour accepter l'argument consistant à refuser catégoriquement toute crédibilité à l'analyse du laboratoire Maurer ou l'affirmation faite plus tard que les sculpteurs égyptiens de l'âge du bronze pourraient avoir disposé d'outils en acier.

(suite nf040.html)

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