Le procès de l'ex-commissaire Guy Loudmer, accusé d'avoir détourné des dizaines de millions de francs à l'issue de la vente Bourdon en 1990 qualifiée de «vente du siècle», a débuté le 25 juin 2001 devant le tribunal correctionnel de Paris. Comparaissant pour abus de confiance aggravé, recel et complicité, Guy Loudmer avait vendu la collection des époux Lucien et Marcelle Bourdon pour plus de 500 millions FF, une somme jamais égalée depuis à l'Hôtel Drouot.
Avec le produit de cette vente, les époux Bourdon avaient décidé de créer une association pour la protection des animaux et l'aide à l'enfance déshéritée ou les artistes nécessiteux.
L'association était présidée par Lucien Bourdon, à présent âgé de 90 ans alors que Guy Loudmer, 67 ans, en devint le trésorier.
Spécialisé dans l'art moderne et dans le domaine des arts primitifs, Guy Loudmer faisait en outre partie du comité d'expertise pour les œuvres de Fernand Léger. Il est accusé d'avoir détourné plusieurs dizaines de millions de francs entre 1990 et 1997, pour son étude, pour son compte et celui de certains membres de son entourage, dont son fils Philippe est aujourd'hui en fuite.
Guy Loudmer, qui a déjà passé cinq mois en détention préventive entre 1997 et 1998, se serait servi de l'argent détourné pour acquérir des œuvres d'art des XIXe et XXe siècle, dont un tableau de Delacroix sans l'accord de l'association alors que Lucien Bourdon aurait également détourné des fonds de l'association pour en faire bénéficier un membre de son entourage.
C'est parce que les époux Bourdon n'arrivaient pas à vendre au mieux des tableaux signés de Modigliani, Léger ou de peintres fauvistes, qu'ils firent ainsi appel à Guy Loudmer pour disperser leur collection sur laquelle il préleva 10% de commission, soit plus de 50 millions FF.
Devant le tribunal, l'ex-commissaire-priseur, contre qui une peine de trois ans et demi de prison a été requise, a tenté d'expliquer que cette commission était la contre-partie d'un énorme travail pour organiser cette vente.
Le procureur a signalé en outre que Guy Loudmer avait organisé une vente fictive de tableaux achetés par une société écran qui n'avait pas déboursé un seul franc et que ceux-ci, invendus, avaient été retournés aux Bourdon en échange encore d'une commission de 2,5 millions FF. Guy Loudmer a justifié cette commission en précisant que toute vente, même sanctionnée par un échec, devait être rémunérée alors qu'on sait que nombre de commissaires-priseurs s'abstiennent d'appliquer des frais pour les invendus de leurs clients.
On a aussi reproché à Guy Loudmer d'avoir fait procéder à la vente d'un Delacroix et d'un Derain que les Bourdon désiraient offrir au Musée d'Art Moderne. Ces tableaux furent adjugés, et préemptés par l'Etat, pour 46 millions FF alors que le prévenu préleva pour sa part une commission de 10 millions FF.
La présidente du tribunal s'est risquée à demander pourquoi cette vente avait eu lieu puisque les Bourdon avaient l'intention de faire un don en faveur de l'Etat. Réponse de Guy Loudmer : «Pour que tout cela ne passe pas inaperçu».
Invité à s'expliquer à la suite du réquisitoire de l'avocat général, l'ex-commissaire-priseur a déclaré qu'en toute conscience, il ne pensait pas avoir porté un tort quelconque avec cette vente.
La chambre de discipline des commissaires-priseurs parisiens avait suspendu Guy Loudmer à la suite de cette affaire qui défraya tant la chronique tandis que l'étude de ce dernier avait été liquidée à la fin de 1998.
Le scandale Loudmer avait éclaboussé le monde de l'art parisien et révélé des pratiques peu orthodoxes de la part d'un commissaire-priseur en vue, dont l'étude se plaçait en troisième position dans le hit-parade des officiers ministériels.
L'enquête relative à cette affaire, où sept personnes comparaissent aujourd'hui en justice, avait notamment duré sept années car les policiers qui en étaient chargés avaient dû démêler les fils d'une affaire qui s'avérait extrêmement complexe.
Par ailleurs, la vente de la collection Bourdon avait été suivie de rumeurs selon lesquelles le couple de collectionneurs auraient acquis nombre d'œuvres importantes durant la guerre, ce qui laissait supposer que certaines d'entre elles auraient pu provenir de biens spoliés par les nazis et leurs séides à des familles juives.