Il y a toujours quelque chose de divin et de surnaturel dans le sport et la plus belle démonstration de ce constat se trouve dans la finale de la ligue des clubs champions le 26 mai entre Manchester et le Bayern de Munich.
Quel final extraordinaire, inattendu, mythique et surnaturel avec un dénouement à faire saliver l'écrivain à la recherche d'une conclusion déroutante pour laisser le lecteur pantois.
Deux buts inscrits dans les arrêts de jeu qui donnent une victoire incroyable aux Anglais, du jamais vu !
Le football peut atteindre parfois les sommets de l'art lorsqu'il provoque de telles émotions. Déjà, il combine l'art abstrait et l'art figuratif puisqu'il se joue sur un rectangle vert barré de lignes blanches et d'un cercle central avec les joueurs des deux équipes, véritables artistes du ballon, l'arbitre, ses assistants et autour la foule, bigarrée, mouvante et hurlante. Et puis, il y a le ballon, cette sphère parfaite qui rend le tableau encore plus expressionniste ou impressionniste et également vivant, comme une machine fantastique de Tinguely qui crache ses arabesques, un mobile de Calder ou un assemblage dadaïste de Duchamp.
Le football est aussi un jeu d'échecs, une joute, une chasse à courre avec ses rites et ses règles avec ce ballon qui devient la proie de ceux qui le pourchassent et tapent dedans.
Il y avait dans cette rencontre au sommet, une atmosphère de duel entre les Bavarois et les Anglais. La force contre l'abnégation, la hargne contre le courage.
Face aux charges héroïques des Anglais menés 1-0 à la 6e minute, les Allemands avaient construit une ligne de défense sur laquelle leurs adversaires venaient s'empêtrer. cela devenait suffoquant de voir ces vagues d'assaut se briser l'une après l'autre contre une muraille épaisse dressée devant une cage apparemment inviolable et que nul n'aurait imaginé voir céder alors que la pendule électronique du stade étranglait une à une et à qui mieux mieux les minutes et les secondes restantes.
Après avoir tant résisté et étouffé dans l'œuf toutes les tentatives anglaises, les Munichois sentaient la victoire leur tendre les bras à la 90e minute tant ils avaient dominé leur sujet. Trente secondes plus tard, ils eurent les jambes coupées et le regard vitreux du boxeur sonné lorsque les Mancuniens eurent égalisé à la suite d'une action confuse.
Les Allemands furent comme frappés par la foudre, figés de stupeur par ce but incroyable et irréel qui récompensait ce «fighting spirit» si légendaire qui fait qu'un Anglais n'abdique jamais même lorsque tout semble perdu.
La lueur d'espoir si fragile qui animait Manchester se transforma en éclair magique l'espace d'un centième de seconde. Une minute plus tard, cloués au sol, matraqués par ce retournement de situation homérique, les Allemands finirent par être immolés sur l'autel des dieux du sport qui avaient décidé en dernier ressort de choisir leur vainqueur.
Dieu ou dieux, qu'importe ! La vie se nourrit aussi de contradictions et de hasards. A la 90e minute, la messe semblait dite, 30 secondes plus tard, elle ne l'était plus. Lors de la deuxième des trois minutes supplémentaires décidées par l'arbitre, les célébrants allemands perdaient le fil de leurs prières. Funeste coup du sort pour les Munichois qui ne pensaient plus qu'aux prolongations pour se sortir de leur cauchemar.
Manchester est entré dans la légende du sport avec ses tuniques rouges, colonisant le football européen pour une année ou plus, redonnant aux Anglais, inventeurs du football, une fierté sans pareille qui, il faut l'espérer, ne les rendra pas condescendants.
Le foot n'est qu'un jeu, une science du placement ou du déplacement, un art stratégique, de l'offensive ou de la défensive, un ballet continu, viril et féerique qui laisse des impressions étonnantes mais qui peut aussi susciter la bêtise ou la haine chez certains de ses aficionados qui confondent la beauté du geste et son côté parfois bestial.
Ce match fut un pur chef d'œuvre dans le domaine de la tragédie, pas celui du jeu, rugueux, intense, souvent mal développé, limité à une guerre de tranchées avec ces assauts mal maîtrisés et de rares coups d'éclat devant les buts.
Il y avait une tension électrique dans le stade, une atmosphère étouffante tant l'enjeu était important pour les acteurs de cette rencontre. Le début fut crispé et décousu, aucune des deux équipes ne voulant ouvrir sa garde jusqu'à la sixième minute lorsque les Allemands flirtèrent avec la victoire se virent atteindre la terre promise à la 90 e. Quelques secondes plus tard, la porte du paradis leur claquait au nez. A la 92e minute, la trappe de l'enfer s'ouvrait sous leurs pieds.
Quelle fin délirante ! Unique pour les vainqueurs, inique pour les vaincus à la suite d'un match à couper au couteau digne de figurer dans la mythologie du sport tant il fut chargé d'émotion.