Les principales maisons de vente, naguère dirigées par des membres de l'aristocratie britannique, ont effectué leur mue depuis une dizaine d'années pour finalement avoir des allures de multinationales. La récente prise de participation majoritaire dans le capital de Christie's par l'homme d'affaires français François Pinault en est d'ailleurs une preuve incontestable.
On assiste dans le monde de l'art à un véritable branle-bas de combat pour le contrôle des ventes aux enchères qui laissera à court terme bien des victimes sur le carreau, à commencer par nombre d'études de commissaires-priseurs français. La révolution a commencé en 1983 lorsque la vénérable maison de vente Sotheby's est passée sous le contrôle du promoteur immobilier américain Alfred Taubman puis au début des années 1990 lorsque l'homme d'affaires britannique Joseph C. Lewis devint le principal partenaire de Christie's.
Pendant des lustres, ces deux maisons avaient été dirigées par des membres de l'aristocratie britannique plus habitués à l'atmosphère des clubs très fermés qu'à celle de Wall Street.
Le développement spectaculaire du marché de l'art au début des années 1980 a néanmoins bouleversé les vieilles traditions et aiguisé les appètits de ceux qui ont considéré les tableaux et les objets comme des marchandises sur lesquelles on pouvait spéculer.
Les méthodes d'Alfred Taubman puis celles de Joseph Lewis ont fait de Sotheby's et de Christie's des entreprises pour lesquelles les notions de rentabilité et de profit ont un sens primordial.
En rachetant pour 1,2 milliard FF les 29,1 % de part détenues par Joseph Lewis dans le capital de Christie's le 4 mai dernier, François Pinault, propriétaire de la chaîne Printemps-Redoute, a certainement misé sur une progression du chiffre d'affaires de Christie's lequel a atteint 12 milliard Francs en 1997 avec des bénéfices de l'ordre de 400 millions.
Le marché des ventes aux enchères n'a pas connu de ralentissement et tout porte à croire que les oeuvres d'art de qualité, de moins en moins nombreuses au fil du temps, se vendront encore mieux dans les années à venir.
C'est donc le pari tenté par François Pinault, lui-même amateur de tableaux modernes et contemporains même si son offensive réussie sur Christie's s'est accompagnée le lendemain d'une déception lorsque la vente de tableaux impressionnistes et modernes, au cours de laquelle un magnifique tableau de Renoir, estimé plus de 100 millions Francs est resté en rade, n'a pas donné les résultats escomptés.
Ce n'est probablement que partie remise car le marché de l'art , même aux mains d'entreprises aux allures de multinationales, n'est pas paramètré comme les marchés industriiels et commerciaux classiques. Soumis aux goûts des amateurs, à la loi de la demande, aux tendances et à la mode ainsi qu'aux toussotements qui peuvent le faire vaciller plus vite que la Bourse, ce marché montre ainsi clairement ses limites.
Il n'en reste pas moins que la politique agressive manifestée par les maisons de vente anglo-saxonnes ont fini par modifier le paysage du marché et que les vieilles recettes et traditions , n'ont plus cours, surtout en France où la profession de commissaire-priseur, instituée sous Henri II, a finalement vécu.
Sotheby's et Christie's vont pouvoir s'installer à Paris et y organiser des ventes dans quelques mois. Quand on connaît leurs méthodes de travail, leur sérieux et leur force financière, on peut être sûr qu'en face, les commissaires-priseurs français qui survivront aux réformes, devront batailler ferme pour leur résister.
Christie's qui passe en partie sous domination française à travers François Pinault sera là, tout autant que Sotheby's, pour s'octroyer avec avidité une part importante du marché en France car il ne faut pas oublier que le pays est le réservoir le plus riche en objets d'art et tableaux dans le monde.
En attendant, certains marchands qui achetaient à tout-va des tableaux du XIXe siècle à Drouot pour les revendre à New York ou à Londres avec un bénéfice confortable chez Christie's ou Sotheby's, craignent de voir s'envoler une manne importante du fait que les vendeurs iront probablement confier directement leurs oeuvres à ces maisons lorsqu'elles seront opérationnelles à Paris.
Cotées en bourse, ces institutions bi-centenaires travaillent déjà à l'heure de l'an 2000 en attendant vraisemblablement de trouver de nouveaux débouchés, comme par exemple les ventes sur l'Internet, et faire de l'art un produit de plus en plus commercial.