Le terme « Pas vu, pas pris » n'a vraiment pas cours sur le marché de l'art concernant les œuvres de qualité qui ne sont pas passées en vente depuis plusieurs années. Une œuvre majeure proposée deux ou trois fois à la vente durant une décennie suscite moins l'engouement des amateurs pour la simple raison qu'elle suscite une certaine méfiance provoquée par la réflexion suivante : « Trop vue sur le marché, donc suspectée d'être moins facilement vendable »…
Par contre, si une œuvre est restée dans une collection durant plus de vingt ans, à une époque où le marché n'était pas confronté à une pénurie de pièces exceptionnelles, on peut alors avoir la certitude que les enchères s'emballeront grâce à des acheteurs très motivés.
Les œuvres exceptionnelles sont devenues plus rares sur le marché et moins elles ont été vues en vente, plus elles suscitent l'intérêt des amateurs. Le phénomène s'est vérifié avec la vente d'un Rubens oublié durant plus de 250 ans qui a atteint un prix phénoménal de 79 millions de dollars en juillet 2002.
Plus une œuvre est restée longtemps dans une collection, plus elle a de chances d'atteindre une enchère bien supérieure à son prix d'estimation alors que les pièces acquises à des prix conséquents et revendues trois ou cinq ans plus tard exposent souvent leurs vendeurs à des désillusions.
Attendre dix ans pour revendre une œuvre importante, c'est la bonne solution pour celui qui espère engranger un bénéfice sur celle-ci surtout que les acheteurs sont bien plus sélectifs que durant la fin des années 1980, époque durant laquelle le marché était saisi d'une intense fièvre spéculative sans précédent dans son histoire.
Depuis la Guerre du Golfe et la récession économique qui a suivi, le marché s'est reconstruit sur d'autres bases avec un retour vers la qualité et un resserrement des choix. On n'achète plus seulement une signature d'artiste célèbre mais ce qu'elle accompagne, avec le désir de s'intéresser surtout à une œuvre « fraîche » sur le marché. Pas vue depuis longtemps, donc plus apte à susciter la convoitise.
Il n'est donc pas étonnant de constater que les œuvres de qualité moyenne se sont bien moins vendues depuis un an et que la baisse des achats dans cette catégorie ait atteint un ratio de 25%.
D'un autre côté, la crise boursière qui a affecté le monde occidental durant plusieurs mois, a provoqué une forte hausse des prix pour les œuvres considérées comme exceptionnelles qui pour les acheteurs représentent des valeurs sûres susceptibles de susciter des plus-values à long terme. Investir dix millions de dollars dans une œuvre de ce type représente un risque limité par rapport à une mise semblable à la Bourse, soumise elle à de brusques mouvements négatifs depuis un an.
Adrian Darmon