L'effondrement progressif des places boursières et du dollar depuis le début de l'année 2002 a eu pour résultat de causer une crise sur le marché de l'art au niveau des œuvres de qualité moyenne mais aussi de créer une fièvre spéculative sur les pièces exceptionnelles. La vente Par Sotheby's le 10 juillet 2002 à Londres d'une œuvre redécouverte de l'artiste flamand Pierre-Paul Rubens intitulée « Le Massacre des Innocents » constitue à certains égard un cas exemplaire puisque ce tableau a culminé à 49, 5 millions de livres sterling, un record pour l'artiste, sur une estimation haute de six millions de livres.
L'argent peut donc couler encore à flots pour les plus belles œuvres, ce qui signifie qu'une pièce considérée comme exceptionnelle représente plus que jamais une valeur refuge par rapport aux actions des sociétés qui ne cessent de dégringoler sur les places boursières.
Mais qu'on ne s'y trompe pas. Les enchères stupéfiantes enregistrées ici et là pour des œuvres rares masquent une réalité inquiétante, à savoir que le marché de l'art est en nette régression concernant le milieu de gamme, ce qui sous-entend qu'il est devenu en fait de plus en plus sélectif.
Indépendamment du prix faramineux de cette œuvre de Rubens représentant le massacre des enfants juifs ordonné par le roi Hérode, il y a un fait qui semble-t-il est passé inaperçu, à savoir le problème de l'identification de nombreux tableaux.
Il a fallu plus de 250 ans pour rendre à Rubens ce qui lui appartenait car à la mort du prince du Liechtenstein, son propriétaire, ce tableau fut alors considéré comme étant d'un suiveur, le peintre de Nève, dans l'inventaire de ses biens puis comme étant de la main d'un de ses élèves, Van den Hoecke, dans celui de son héritier quelques années plus tard.
Un tel problème d'authentification s'est répété à plusieurs reprises pour des œuvres d'artistes du XVIe et du XVIIe siècle, déclassées, ré-attribuées ou redécouvertes au gré des expertises passées ou récentes. Toutefois, en toute logique, ce problème peut aussi concerner d'autres peintres du XIXe, voire du XXe siècle, ce qui veut simplement dire que des expertises peuvent parfois faire l'objet de réexamens dans un sens ou dans l'autre.
Bref, des jugements pourraient être remis en cause dans bien des cas à partir du moment où des historiens d'art, des spécialistes ou même des collectionneurs ou amateurs dénicheraient des éléments propres à susciter des révisions. Il est donc possible qu'une œuvre vieille d'une centaine d'années qui n'a pas été reconnue comme étant de la main de tel ou tel maître soit en fait bien de lui. Dès lors, certaines opinions négatives pourraient n'être que conditionnelles. Et dire que l'heureuse propriétaire de ce Rubens avait failli s'en défaire en le vendant comme une œuvre de son école avant de songer l'apporter chez Sotheby's !
On a déjà eu affaire à des litiges concernant des œuvres du début du XXe siècle, authentifiées par certains, rejetées par d'autres sans oublier que les différends en justice ont considérablement augmenté durant ces dix dernières années, ce qui signifie que les experts ne sont pas généralement infaillibles.
Dorénavant, les méthodes d'investigation des spécialistes sont cesse plus poussées grâce à l'augmentation substantielle d'ouvrages de référence et à l'utilisation croissante de techniques d'analyse plus élaborées, sans parler de celle de l'Internet qui permet d'étendre certaines recherches.
Les experts doivent ainsi s'adapter et s'éloigner de critères habituels mais aujourd'hui un peu surannés comme le flair, l'expérience et les connaissances pour travailler maintenant hors des sentiers battus et accepter plus souvent de confronter leurs opinions avec d'autres spécialistes et de faire parfois appel à des techniques modernes d'analyse.
Le marché de l'art a considérablement évolué depuis ces vingt dernières années. Il paraît donc normal que les experts s'adaptent aux changements qui ont déjà provoqué l'émergence de comités d'expertise pour de nombreux artistes. D'ores et déjà, l'expertise opère une mue qui n'en est qu'à ses prémices.
Adrian Darmon