Sans Dora Maar, une photographe d'origine croate à la beauté froide mais au tempérament de feu, Picasso n'aurait pas totalement été aussi colossal et légendaire, comme une exposition organisée sous le titre Picasso/Dora Maar jusqu'au 22 mai 2006 tend à le démontrer. Leur rencontre au café de Flore en 1935 fut un tournant décisif dans la vie de l'artiste alors âgé de 54 ans, comme les visiteurs de cette exposition pourront le constater en découvrant 250 oeuvres, dont une centaine n'ont pas été vues en France depuis 60 ans. Leur aventure dura dix ans jusqu'à une rupture brutale qui plongea Dora Maar dans une profonde mélancolie jusqu'à friser la folie.
Ce fut Paul Eluard qui présenta Dora Maar à Picasso et la jeune trentenaire qui avait passé son enfance en Argentine parvint à séduire le peintre lors d'une visite à son atelier. La liaison entre la photographe surréaliste et l'artiste fut intense et importante pour la carrière du peintre qui marquait plutôt le pas avant cette rencontre.
Dora Maar devint alors sa muse mais aussi une collaboratrice avisée qui orienta judicieusement les choix de Picasso et lui permit de rebondir en trouvant un nouveau style de peinture, plus coloré, plus équilibré, plus violent, plus spectaculaire et plus voluptueux. Ce fut d'ailleurs sa maîtresse qui éveilla sa conscience face à la montée du péril fasciste en Europe et qui l'amena ainsi à réaliser ce chef d'oeuvre que fut "Guernica" en réalisant un étonnant reportage photographique des étapes de sa réalisation et dont les clichés servirent au peintre pour peaufiner son travail.
Picasso représenta maintes fois Dora Maar sous différentes facettes dans ses oeuvres allant jusqu'à la montrer en larmes. La guerre venue, il s'isola en sa compagnie en peignant des toiles aux couleurs sombres mais l'occupation ne manqua pas d'avoir des effets négatifs sur le couple qui se défit une fois la paix venue.
Entre-temps, Picasso avait rencontré Françoise Gilot en 1943 et Dora Maar, névrotique, entière et exclusive, n'accepta pas l'intrusion de cette rivale. Sa relation avec l'artiste devint alors conflictuelle et ce dernier n'eut pas d'autre choix que d'y mettre un terme. Blessée, Dora ne s'en remit jamais et sombra lentement dans la solitude en se laissant progressivement aller dans une sorte de délire obsessionnel. Pour elle, son existence s'était arrêtée le jour où Picasso l'avait quittée.