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Le spectateur face à la peinture
01 Janvier 2005



Cet article se compose de 2 pages.
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On évoque rarement l'attitude d'une personne face à un tableau sauf pour dire qu'une œuvre paraît à coup sûr digne d'intérêt lorsqu'elle capte son attention. Or, l'émotion suscitée par un tableau est variable selon chaque individu et dans bien des cas, elle ne constitue qu'une première étape pour bien comprendre son sens ou les sentiments que l'artiste y a instillés.

Lors de mes conférences sur l'art, j'ai eu maintes fois l'occasion de constater que les gens interprétaient un tableau chacun à leur façon. Certains se limitaient à leur émotion ressentie sur l'instant et d'autres cherchaient à comprendre le pourquoi de cette émotion alors que rares étaient ceux qui semblaient aptes à capter les mystères de l'œuvre qu'ils admiraient ou mieux encore, à la pénétrer.

Une collectionneuse m'a ainsi rétorqué un jour qu'elle s'était contentée de ressentir une émotion et rien d'autre face aux quelque cent tableaux qu'elle avait achetés au cours de son existence. Pour elle, le choc positif ressenti face à une toile s'est révélé amplement suffisant mais à mon sens, elle n'a éprouvé qu'une sensation primaire, certes intéressante mais o combien limitée. Je lui ai répondu qu'elle se trouvait dans la position de quelqu'un qui tombait en pâmoison devant une superbe automobile Bentley et qui l'achetait rien que pour le plaisir de la regarder sans prendre la peine d'ouvrir le capot pour découvrir son moteur, de s'installer au volant pour humer l'odeur du cuir recouvrant les sièges et du bois verni du tableau de bord, de mettre le contact pour écouter les vibrations feutrées des soupapes et de démarrer ensuite pour apprécier sa formidable tenue de route.

L'émotion ressentie devant un tableau est évidemment primordiale mais il convient d'aller plus loin pour appréhender sa quintessence et tout ce qui tourne autour de la démarche de l'artiste qui l'a réalisée.

Qui n'a pas été hypnotisé par un autoportrait de Rembrandt, par une scène dantesque de Jérôme Bosch, par une nature morte de Chardin, par une vue de la cathédrale de Rouen de Monet, par la Vénus de Botticelli, par une Vierge de Raphaël, par la Joconde de Vinci ou par une composition cubiste de Picasso ?

Il n'y a peut-être pas de différence entre l'émotion que suscite un tableau de la période bleue de Picasso et celle ressentie face à une œuvre de sa période rose mais en en n'allant pas au-delà de ce simple émoi, le spectateur se privera de l'excitation provoquée par le fait d'en savoir plus sur ces deux périodes. Idem pour un tableau de jeunesse de Rembrandt et une œuvre produite quelques années après la mort de son épouse Saskia ou pour une huile du début de la carrière de Goya et une toile produite après qu'il devint sourd tout en subissant les anathèmes de l'Inquisition espagnole et lorsqu'il dénonça les horreurs de la guerre.

Mon propos est de signaler que lorsqu'on s'intéresse à la vie d'un peintre on parvient à mieux comprendre le sens d'une œuvre peinte à une période donnée.

Rembrandt peignit des œuvres pleine de gaieté avec déjà un talent incommensurable à l'époque de son mariage avec Saskia. On devine une vie prospère et prometteuse dans celles-ci alors que les commandes affluaient de la part de clients issus de la riche bourgeoisie amstellodamoise. Après la mort de son épouse, le peintre se mit alors progressivement à dos sa belle-famille, ses clients et certains de ses protecteurs en menant une vie jugée plutôt dissolue. Ruiné, confronté aux huissiers, forcé de vendre ses magnifiques collections d'œuvres d'art, il s'était en outre mis en ménage avec une fille du peuple, ce qui fit jaser ses concitoyens, tout en peignant des œuvres considérées comme déplaisantes et peu en rapport avec les désirs des bourgeois.

Son œuvre maîtresse « La Ronde de Nuit » au titre plutôt trompeur car le tableau, placé au-dessus d'un poêle, avait fini par s'assombrir au fil des ans, choqua ses commanditaires qui s'estimèrent insultés et ridiculisés. En se limitant donc à une émotion devant cette œuvre, on se prive d'en comprendre le sens si on ignore son histoire et l'attitude de Rembrandt lorsqu'il la peignit. Par contre, en connaissant les conditions exactes de son exécution, on en saisit alors toutes les subtilités tout en la pénétrant et en ressentant un « kif » sans pareil.

Admirer un tableau du Caravage est une chose, comprendre pourquoi il représenta des saints en prenant des hommes du peuple avec des traits marqués et des pieds sales en est une autre.

Rester béat devant une composition cubiste de Picasso, Braque ou Juan Gris ne veut pas dire qu'on ait compris que ces artistes aient fait de l'anti-art en tournant le dos au réalisme. Par contre, connaître leurs états d'esprit et leurs démarches au moment où ils ont réalisé leur œuvre permet de mieux en saisir le sens et de les déchiffrer.

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