Encore un peu plus d'une dizaine de mois avant d'atteindre l'an 2000, l'obstacle magique à franchir pour des milliards d'êtres humains qui auront enfin la sensation de vivre quelque chose d'unique, quoique le XXIe siècle ne commencera en fait que le 1er janvier 2001.
Et après, que se passera-t-il ? A part le bogue de l'an 2000, rien ne changera dans les habitudes des individus, hormis le fait qu'ils vivront des événements qui aujourd'hui restent à venir…
On avait les bull-dogs, on va avoir le dull(triste)-bog qui va mordre les systèmes informatiques et remplir les poches de ceux qui les avaient conçus en oubliant consciemment ou non que lorsque l'horloge devra passer à 2000, elle fera machine arrière. Pour un monde qui va de l'avant, c'est plutôt un comble !
BOGUE CULTUREL
A-t-on jamais évoqué le bogue culturel ? Celui qui bloque les mentalités, qui rend parfois aveugle, qui montre le contraire de ce qu'on pense voir, qui meuble les conversations pour ne rien dire, qui fait croire à certains qu'ils sont avertis et à d'autres qu'ils détiennent la vérité. Ce bogue là est en fait issu d'un placard poussiéreux de l'Education Nationale qui a oublié depuis belle lurette de favoriser l'enseignement de l'histoire de l'art dans les écoles et les collèges et ainsi privé les jeunes d'une véritable culture.
Ne parlons pas des adultes puisqu'ils ont été laissés pour la plupart livrés à eux-mêmes durant leur enfance. La voie vers la connaissance demeure pour eux étroite sauf pour quelques privilégiés qui ont eu la chance d'avoir des parents qui s'intéressaient à l'art et d'autres qui ont pu le découvrir à la suite d'un coup de cœur.
On court toujours autant les expositions en 1999, et sinon plus, qu'au siècle précédent mais parvient-on à comprendre l'art, à l'évaluer ou à la situer ? On voit souvent l'art comme l'expression d'une joie profonde ou d'un bonheur. Voir n'est cependant pas comprendre. La vue n'est qu'illusion- un autre bogue- car un tableau ne se regarde pas. Il faut aller au- delà de la couche picturale, le pénétrer. Mais d'abord, qu'en est-il de cette prétendue joie profonde, de ce bonheur transcendé à travers une toile ? Van Gogh n'a jamais été un artiste heureux. Sisley, Modigliani et tant d'autres ont vécu pauvrement. Le Caravage a eu une existence d'homme traqué. Picasso s'est sans cesse remis en question. Goya a mené une vie tourmentée. Cézanne, Soutine et des centaines d'artistes ont dû lutter constamment pour ne pas céder au désespoir alors que Dali était plutôt dérangé et que Chagall se révéla comme un doux inconscient. Chez la plupart des artistes, une œuvre est en fait un cri, une création faite dans la douleur…
Par Adrian Darmon
Encore un peu plus d'une dizaine de mois avant d'atteindre l'an 2000, l'obstacle magique à franchir pour des milliards d'êtres humains qui auront enfin la sensation de vivre quelque chose d'unique, quoique le XXIe siècle ne commencera en fait que le 1er janvier 2001.
Et après, que se passera-t-il ? A part le bogue de l'an 2000, rien ne changera dans les habitudes des individus, hormis le fait qu'ils vivront des événements qui aujourd'hui restent à venir…
On avait les bull-dogs, on va avoir le dull(triste)-bog qui va mordre les systèmes informatiques et remplir les poches de ceux qui les avaient conçus en oubliant consciemment ou non que lorsque l'horloge devra passer à 2000, elle fera machine arrière. Pour un monde qui va de l'avant, c'est plutôt un comble !
BOGUE CULTUREL
A-t-on jamais évoqué le bogue culturel ? Celui qui bloque les mentalités, qui rend parfois aveugle, qui montre le contraire de ce qu'on pense voir, qui meuble les conversations pour ne rien dire, qui fait croire à certains qu'ils sont avertis et à d'autres qu'ils détiennent la vérité. Ce bogue là est en fait issu d'un placard poussiéreux de l'Education Nationale qui a oublié depuis belle lurette de favoriser l'enseignement de l'histoire de l'art dans les écoles et les collèges et ainsi privé les jeunes d'une véritable culture.
Ne parlons pas des adultes puisqu'ils ont été laissés pour la plupart livrés à eux-mêmes durant leur enfance. La voie vers la connaissance demeure pour eux étroite sauf pour quelques privilégiés qui ont eu la chance d'avoir des parents qui s'intéressaient à l'art et d'autres qui ont pu le découvrir à la suite d'un coup de cœur.
On court toujours autant les expositions en 1999, et sinon plus, qu'au siècle précédent mais parvient-on à comprendre l'art, à l'évaluer ou à la situer ? On voit souvent l'art comme l'expression d'une joie profonde ou d'un bonheur. Voir n'est cependant pas comprendre. La vue n'est qu'illusion- un autre bogue- car un tableau ne se regarde pas. Il faut aller au- delà de la couche picturale, le pénétrer. Mais d'abord, qu'en est-il de cette prétendue joie profonde, de ce bonheur transcendé à travers une toile ? Van Gogh n'a jamais été un artiste heureux. Sisley, Modigliani et tant d'autres ont vécu pauvrement. Le Caravage a eu une existence d'homme traqué. Picasso s'est sans cesse remis en question. Goya a mené une vie tourmentée. Cézanne, Soutine et des centaines d'artistes ont dû lutter constamment pour ne pas céder au désespoir alors que Dali était plutôt dérangé et que Chagall se révéla comme un doux inconscient. Chez la plupart des artistes, une œuvre est en fait un cri, une création faite dans la douleur…
ACTUALITE PARISIENNE
On a pu admirer les tableaux de Mark Rothko à Paris à partir du mois de janvier mais face aux gammes de couleurs si vibrantes, plus d'un visiteur s'est senti verser une larme ainsi que le voulait le peintre qui oeuvra dans la pauvreté et la douleur sa vie durant avant de mettre fin à ses jours. On a pu aussi s'extasier devant les œuvres de la collection du docteur Gachet, et notamment certaines toiles émouvantes de Van Gogh, autre martyr de l'art transformé en messie du marché à la fin du XXe siècle. L'ennui est que rares auront été les gens capables de comprendre les œuvres de Rothko ou celles de la collection Gachet. « Je suis venu, j'ai fait la queue et j'ai vu », pourra dire le visiteur qui aura au moins de quoi parler lors de son prochain dîner entre amis. Ca fait chic de courir les expositions. Ca permet de se rincer l'œil intellectuellement. N'allons pas plus loin. Sur cent mille visiteurs pas plus de mille auront pu analyser et comprendre ce qu'ils ont admiré.
Avant de devenir célèbre, Picasso mangea de la vache enragée durant plus de vingt ans. De Staël n'eut même pas la chance de vivre dans l'aisance et Yves Klein ne connut que le blues pour finalement disparaître à 37 ans.
A croire que les peintres heureux ont formé une petite race vraiment à part. Le marché de l'art semble avoir besoin de se repaître des artistes maudits pour fonctionner. Van Gogh, Modigliani, Soutine, Juan Gris, Basquiat et tant d'autres sont sa drogue. En attendant, s'il revenait sur terre, Van Gogh deviendrait carrément fou de rage de voir de quelle manière il a été exploité une fois disparu.
Le marché ne vit en fait qu'à travers les artistes morts et quelques rares valeurs sûres encore en vie. Picasso a été le dernier géant de la peinture mais depuis vingt-cinq ans, le marché n'a éprouvé nul besoin d'aller en dénicher un autre puisqu'il y a eu durant cette période suffisamment d'artistes à l'étage inférieur pour le faire vivre. D'ailleurs, une abondance de géants nuirait à la bonne marche des affaires du fait que la clientèle riche est encore restreinte. On peut donc attendre quelques années supplémentaires pour assister à l'éclosion d'une autre légende de la peinture. Il s'agit d'une conception bizarre maintenue par des intervenants à l'esprit criminel du fait qu'ils ne cherchent pas à se poser des questions au sujet de ce vide laissé par Picasso.
Certes, l'art ne mourra pas et tel un ver, il poursuivra lentement sa mue. En attendant, il n'a rien d'un ver luisant. Il évolue simplement et imperceptiblement à l'abri des regards mais qu'importe puisqu'il a déjà laissé sa trace d'une manière permanente comme ces vers qui ont rongé les cadavres de Van Gogh, Modigliani et de tous ces artistes dont les œuvres forment un paravent rassurant.
Pour ce qui est de l'art contemporain, il n'y a qu'à circuler et ne rien voir, ou si peu. Pourquoi ne pas voir en Ripolin, Avi 3000 ou Dulux les peintures de l'an 2000 puisqu'elles servent déjà à la décorations de millions de murs d'habitations ?
Trêve de plaisanterie, on a bien vu des tableaux tout blanc, tout rouge ou tout bleu ou de tout autre couleur accrochés aux cimaises de nombreux musées. On vous dira oui mais, ce blanc, ce rouge, ce bleu, ce n'est pas à la portée du premier venu. Bref, c'est de l'art. On vous affirme bien depuis des années que Omo lave plus blanc mais comment déjà expliquer la notion de plus blanc ?
Le bleu de Klein est un bleu hors pair. Le bleu du régiment n'est lui, qu'un bleu bien pâle… Tout est question d'interprétation, voire de goût. C'est de cette manière que Duchamp a pu faire passer un urinoir pour une œuvre d'art…
Un trou dans un mur peut être l'œuvre d'un rat (anagramme d'art), un trou dans une toile est une œuvre d'art comme l'a démontré Lucio Fontana. Il reste que pour savoir interpréter les œuvres d'art, il est nécessaire d'avoir un certain degré de connaissance. Comme l'art et son histoire ne sont pas enseignés aux enfants et aux adolescents, il n'y a donc qu'une minorité de gens pour comprendre ces œuvres. Résultat : l'art n'est réservé qu'à une élite qui cadenasse complètement ce domaine. Vous croyez que l'an 2000 y changera quelque chose ? Le 3 février 1999, on a vu Thierry Ardisson, le bateleur et provocateur de la télévision, inviter sur Paris 1ere Anne Distel, commissaire de l'exposition de la collection du docteur gachet, qu'il a opposée à Richard Rordiguez, le spécialiste de Basquiat, dans un débat sur les faux Van Gogh. Le risque de dérapage vers l'absurdité devient ainsi ébouriffant. Voilà qu'un empêcheur de tourner en rond, très sympathique au demeurant, qui avoue ne pas être un spécialiste patenté de van Gogh mais simplement un passionné d'art, peut venir sur un plateau de télévision expliquer qu'il y a plein de faux Van Gogh dans des collections privées et des musées en ridiculisant le monde de l'art.
Il suffit donc de faire partie du Tout-Paris, de faire le clown intelligent dans les dîners à la mode, pour se faire écouter et raconter ensuite n'importe quoi à la télévision. On ne dira jamais assez quel pouvoir ont les médias pour semer le désordre dans un domaine. Il suffit donc de pouvoir ramener sa «fraise» à la télé pour mettre de l'huile sur le feu.
On ne prétendra cependant pas que les experts sont exempts de reproches mais affirmer que le docteur Gachet ait pu produire des faux est une ineptie incroyable ! Néanmoins, on pourra bien dire qu'un docteur Gachet nous fait défaut aujourd'hui lorsqu'il s'agit de trouver un collectionneur qui sache miser sur les valeurs de demain.
On vous dira que le bon docteur fut un fieffé coquin car il se fit offrir la plupart des toiles de sa collection en échange de ses services. Et alors ? Combien de critiques d'art ont fait main basse sur des œuvres en échange d'articles louangeurs dans la presse pour tel ou tel peintre. On sera surpris de l'immensité de ce genre de pillage effectué par le biais d'un tel chantage. Au lieu de parler de Van Gogh, on se retrouvera plongé en plein gag, ou plutôt en plein Van Bogue de l'an 2000 à travers certaines impostures favorisées par des présentateurs de télévision qui auront écouté benoîtement des trublions dans quelque cocktail parisien. Il conviendrait déjà de vérifier si les dires de ces derniers sont vraiment sérieux. N'importe qui peut dire n'importe quoi. En attendant, mettez vos ceintures !