Artcult reçoit chaque semaine des e-mails de jeunes étudiants passionnés par l'art, ce qui démontre l'énorme intérêt que ce domaine peut susciter.
Raphaëlle C., une de nos correspondantes, a affirmé un talent rare pour évoquer Verrocchio dans le cadre d'un concours organisé par son lycée à tel point que son mail nous a entraîné dans un échange de vues passionnant.
On a particulièrement apprécié le petit laïus de Raphaëlle C. concernant certains débordements que l'art peut parfois entraîner, notamment au sujet de ces individus qui se livrent à des déprédations dans des musées.
Nous lui avons répondu que ceux qui s'attaquent à des œuvres comme la Pieta de Michel-Ange, la Ronde Nuit de Rembrandt ou dernièrement le Picasso du Stedelijk Museum sont des gens plutôt dérangés dont les actes ne sont rien mois qu'une agression contre l'humanité et un besoin de sortir de l'anonymat à travers une profanation.
Lors de notre échange d'e-mails, j'ai signalé que l'art ne causait pas de désillusions comme celles qu'on peut éprouver en amour ou en amitié et ce, en me plaçant essentiellement dans la peau du connaisseur qui possède certaines clés pour comprendre les œuvres qu'il a en face de lui. Par ricochet, j'ai été amené à regretter que le monde des connaisseurs soit si étroit. Il est notamment dommage que l'Education Nationale n'ait pas encore imposé l'enseignement de l'art et de son histoire dans les lycées alors que nous baignons tous dans l'art quotidiennement. Résultat : ce sont seulement quelques professeurs qui donnent envie à leurs étudiants de s'intéresser à l'art.
Concernant l'éducation, je pense même que l'art, reflet des civilisations et des concrétisations de l'homme, peut apporter encore plus de réponses que la philosophie tant il recèle de connotations relatives à l'existence de l'homme.
En fouillant plus profondément le domaine de l'art, on découvre qu'il existe déjà plusieurs sortes d'artistes : ceux qui n'ont fait que traduire les règles et les sentiments de leurs contemporains ; ceux qui ont exhalé une expression toute personnelle et ceux qui se sont cantonnés à glorifier les hauts faits de leurs protecteurs. Déjà, à partir du moment où on épluche les biographies de nombreux artistes, on peut découvrir des clés essentielles pour s'ouvrir des portes menant à une meilleure lecture de leurs réalisations. En fait, l'artiste n'est pas seulement un exécutant mais aussi un penseur qui transpose sur la toile ses sentiments et ses idées.
J'ai par exemple découvert Rembrandt à 15 ans à travers sa biographie. Les étapes de sa vie se sont révélées à travers ses oeuvres qui sont parfois des romans et à la limite des films.
On peut regarder intensément un de ses tableaux et ressentir les vibrations qu'il dégage et aller jusqu'à nouer un dialogue avec. On peut ainsi éprouver un grand frisson devant ses autoportraits et connaissant sa vie par cœur, j'ai eu souvent la sensation d'entrer en communication silencieuse avec lui.
Personnellement, je trouve Rembrandt plus passionnant comme artiste que Vinci ou Michel-Ange dont le côté ambivalent ferait qu'aujourd'hui on irait jusqu'à les cataloguer comme «Gays». Tout porte à croire que Vinci était homosexuel alors qu'on sait que Michel-Ange ne faisait pas mystère de sa préférence pour certains jeunes éphèbes de son temps. Mais là n'est pas la question.
Ces artistes étaient certes extraordinaires comme créateurs mais leur côté humain ne semble pas avoir la dimension de celui de Rembrandt qui, à travers ses œuvres, tour à tour vit, vibre, souffre, rit et pleure, jouit et peine.
Vinci est plus introverti, voire plus imbu de sa personne. Michel-Ange est un véritable démiurge quoique tout comme Rembrandt ceux-ci ont cependant vécu exclusivement pour leur art.
Regardez un Caravage et imaginez sa vie. Chaque tableau fait alors exploser sa rage de l'instant et son caractère permanent de révolté défiant la société de son temps. Contemplez un Picasso et pensez à son existence au moment où il a peint son œuvre, à l'angoisse qui l'habitait s'il s'agit de la période 1900-1906, à ses tâtonnements, si elle date de la période 1907-1914, à ses aventures amoureuses et à son côté vampire avec les femmes, l'art et ceux qui le cotoyaient si on a affaire au portrait de sa maîtresse ou à une œuvre copiée d'après untel. Les réponses jailliront devant vos yeux si vous connaissez leur existence.
Pour l'artiste, le bonheur passe par une forme de masochisme, par un questionnement du moi, ses hésitations, sa faculté de s'isoler du monde extérieur, sa force pour affronter la mise en page des formes et des couleurs ainsi que par sa volonté.
Les artistes sont souvent des révoltés. Ceux qui ont voulu aller à contre-courant des idées reçues ont ainsi permis à l'art d'évoluer pour atteindre de nouvelles dimensions.
L'artiste est en quelque sorte un messager qui peut aller jusqu'à l'entêtement et même jusqu'à sacrifier sa vie comme le fit Van Gogh qui avait le sentiment d'être incompris.
L'amateur, lui a soif d'apprendre. Il lui faut opérer des sélections selon ses goûts mais aussi restreindre son appétit car il est pris d'une gourmandise frénétique, d'une boulimie qui le transcende jusqu'à le rendre irrationnel dans son comportement.
Lorsqu'on veut chercher l'idéal, on se laisse emporter dans des fantasmes infinis qui conduisent à de véritables obsessions comme l'envie de posséder à tout prix un objet et un morceau de vie de l'artiste qui l'a conçu et quand la possession est effective, intervient alors cette jouissance suprême qui fait qu'on possède cet objet totalement alors que s'il s'agissait d'une femme, un homme ne pourrait à la rigueur que la mettre en cage pour quelque temps car celle-ci a la possibilité de pouvoir s'envoler un jour ou l'autre ou à tout le moins d'être moins en osmose avec lui.
Il y a une profonde féminité dans un objet d'art dans ce sens qu'on peut le posséder et aussi en devenir son esclave tout en estimant qu'il ne nous trahira pas. Toutefois, cette certitude peut être fragile car qui nous dit que l'objet en question n'est pas un faux ?
En se posant cette question, l'amateur entre alors dans un autre jeu pervers et ambigu, celui qui le place face à lui-même vis-à-vis de ses convictions. Comme le monde repose sur maintes impostures, sommes-nous capables de cerner la vérité et ne sommes-nous pas finalement les inventeurs d'une vérité qui nous convient avant tout?
L'objet devient donc comme une lame à double tranchant et certains artistes eux-mêmes, Michel-Ange en particulier, ont cherché parfois à tromper leurs semblables en fabriquant des faux ou en semant des indices trompeurs dans leurs œuvres.
Il y a aussi matière à dire sur la signification d'une œuvre et certains commentaires publiés à leur sujet feraient rire leurs auteurs.
Il suffit d'interroger de grands artistes actuels pour découvrir que ce qu'on veut voir dans leurs œuvres est à l'opposé de leurs intentions. Certains vous diront qu'ils n'ont rien voulu dire, se jouant ainsi une comédie à eux-mêmes puisque leur subconscient a bien joué un rôle actif dans ce qu'ils ont créé. On a aussi tenté d'affirmer que Monet en peignant les nymphéas, qui forment le thème d'une grande exposition ce mois-ci à l'Orangerie, a cherché au fil du temps à aller vers l'abstraction en produisant cette extraordinaire série de tableaux. En fait, ses dernières œuvres où les nymphéas et leur environnement deviennent des taches de couleurs, ne traduisent pas une telle tentative mais sont simplement le résultat d'un début de cécité chez l'artiste.
De nombreux amateurs sont enclins à chasser l'objet ou le tableau qui reste à redécouvrir. La chasse est comme une quête du Graal puisqu'il s'agit de partir à l'aventure sans savoir sur qui ou sur quoi on va tomber et lorsque la découverte survient, il y a alors un travail extraordinaire à effectuer avec pour résultat soit une profonde déception soit le plaisir d'avoir ressorti un trésor de l'oubli.
Mais pour chasser, il faut pas mal de munitions, c'est à dire passer des milliers d'heures à visiter des musées, à lire des ouvrages, à palper des objets ou à examiner des tableaux chez les marchands et ailleurs.
Pour beaucoup, le trésor une fois déniché, il y a la constatation que la quête du Graal n'arrête pas de se poursuivre et qu'il reste encore des choses encore plus fantastiques à trouver que celles qu'on a découvertes. Maints chasseurs de trésors se retrouvent alors confrontés au syndrome de la vanité, qui fut tellement d'actualité au XVIIe siècle et qui, quoique moins perceptible aujourd'hui, reste finalement bien présent. Finalement, l'homme est plus que jamais éphémère à une époque de plus en plus dominée par la vitesse alors que l'œuvre d'art peut lui survivre durant des siècles sinon durant des millénaires.