La robe que portait la star Marilyn Monroe le soir où elle chanta «» en s'adressant à John Fitzgerald Kennedy qui célébrait son anniversaire devant un parterre d'invités triés sur le volet a été vendue pour la somme incroyable de huit millions de francs chez Christie's en octobre dernier.
Certes, cette robe avait toute une histoire puisqu'elle avait été cousue à même le corps de la célèbre actrice qui ne portait rien en dessous ce fameux soir mais pareille relique n'aurait pas été vendue plus de 2000 FF si elle avait été portée par une femme anonyme. On croit donc rêver mais cela fait déjà quelques années que les grandes maisons de vente ont compris que les objets d'art ou autre babioles pouvaient atteindre des prix faramineux rien qu'en jouant sur une provenance prestigieuse.
Il leur suffit ainsi d'annoncer via la presse mondiale la dispersion de la collection d'une personnalité pour exciter la convoitise des acheteurs et réaliser des scores propres à défier tout entendement.
On a pu vérifier ce phénomène avec la vente des souvenirs de Jackie Kennedy lorsque des objets courants ont atteint des prix fous simplement parce qu'ils avaient appartenu à feu son mari. Une boite à cigares de John Kennedy et d'autres objets se sont vendus ce jour là à des prix démentiels qui prouvent que le marché de l'art est soumis en grande partie au règne de la folie.
Il y a quelques mois, une nature morte de Cézanne a atteint un prix record lors de la vente d'une partie de la collection de John Hay Whitney, un collectionneur célèbre et averti, mais ce tableau était pourtant loin de valoir en qualité plusieurs autres produits par celui qu'on considère comme l'initiateur du Cubisme.
Là encore, les acheteurs ont été conditionnés par la provenance tout comme ce jour récent où on a vendu la guitare électrique du musicien de Rock Eric Clapton à un prix mirifique.
La Starmania est de mise dans les ventes mais ce phénomène ne date que d'une quinzaine d'années. Songez, des caleçons portés par la reine Victoria ne se vendaient qu'à 500 francs l'unité vers 1970. Il est vrai pour la petite histoire que cette dernière n'en portait qu'une seule et unique fois et qu'elle en eut ainsi des milliers à sa disposition. N'empêche, si aujourd'hui on vendait un slip porté par Marilyn, et à fortiori un exemplaire qu'elle aurait oublié d'envoyer au lavage, il y aurait fort à parier qu'il atteindrait une somme folle en vente.
La raison semble bien absente des préoccupations des gros acheteurs qui ne jurent plus que par les provenances et font monter les enchères à des niveaux incroyables pour des objets parfois sans grand intérêt qui ont appartenu à des gens célèbres. L'acheteur de la robe de Marilyn n'a en outre été nullement perturbé par le fait qu'il venait de débourser une somme rondelette pour celle-ci, le plus dingue dans cette histoire étant qu'il a affirmé être certain de la revendre rapidement pour plus de 18 millions FF...
Il semble quand même utile d'avoir les pieds sur terre et d'enchérir à des niveaux acceptables pour les oeuvres offertes dans les ventes bien que celles-ci deviennent de plus en plus rare sur le marché de l'art. On comprend alors pourquoi les prix flambent mais il semble incongru que la provenance puisse emballer la machine à ce point surtout lorsque la qualité d'une pièce laisse parfois à désirer.
Il est vrai qu'on a déjà vendu de la merde d'artiste en boite à des prix dingues mais à présent, on peut vendre n'importe quelle relique de star encore plus cher qu'une rivière de diamants sans s'offusquer de ce fait le moins du monde. L'ennui est que les légendes débouchent souvent sur l'irrationnel, non seulement au niveau des prix mais aussi de l'authenticité de certaines pièces. Par exemple, si on mettait bout à bout les mèches de cheveux de Napoléon 1er passées en vente, on s'apercevrait que celui-ci n'aurait rien eu à envier à Samson, ce qui signifierait que bien des collectionneurs pourraient à leur tour se faire des cheveux à ce sujet.
Les gens qui fréquentent les salles de vente feraient mieux de jouer la carte du réalisme et de ne pas céder à des pulsions ridicules mais le fait est que celles-ci ont pris l'allure de casinos depuis quelques années et que l'instinct du joueur a finalement pris le dessus sur la raison. Cela ne veut pas dire que le marché de l'art soit sur le point de mourir mais que les goûts changent par nécessité. Dans un monde régi par la vitesse, qu'elle soit celle des avions ou de l'information, ce marché s'adapte au gré de nouvelles périodes et trouve de nouveaux débouchés. L'art des années 1960 et 1970 est maintenant très porteur. Après l'an 2000, on transformera les vieux ordinateurs et d'autres objets technologiques en objets d'art et les copies d'oeuvres anciennes inonderont encore plus notre environnement alors que les pièces originales vaudront sans cesse plus cher.
Avec l'afflux d'informations et la floraison de livres d'art, il ne reste pratiquement plus un domaine qui ne soit pas défriché et peu de pièces qui restent à découvrir. C'est une réalité qu'il faut affronter mais pour autant faut-il perdre la raison ?
Adrian Darmon