Les Galeries nationales du Grand Palais à Paris présentent jusqu'au 18 juin 2006 une exposition consacrée au Douanier Rousseau, le roi des peintres naïfs qui dut une grande partie de sa gloire à Picasso et ses amis. En novembre 1908, Picasso eut en effet l'idée d'organiser avec ses amis Braque, Marie Laurencin, Apollinaire et Max Jacob un banquet en l'honneur du Douanier Rousseau, pour le découvrir mais aussi pour se payer une bonne tranche de rigolade. Un peu décontenancé au début, ce dernier se laissa progressivement aller pour finalement jouer du violon sous une bougie dont la cire fondante se mit à goutter sur sa tête. Inutile de dire que cette scène plutôt irréelle amena l'assistance à se plier de rire.
Pionnier de la peinture naïve en France, Henri Rousseau avait cependant rêvé d'égaler les grands artistes académiques comme Bouguereau ou Meissonier mais son style resta celui d'un peintre du dimanche cependant doté d'une extraordinaire imagination qui fit de lui un Surréaliste avant la lettre.
Raillé par la critique, il attira toutefois l'attention de plusieurs artistes avant-gardistes, subjugués par ses incroyables tableaux de jungles qui étaient de pures inventions car notre homme ne voyagea jamais dans aucune contrée mystérieuse.
Né à Laval en 1844, il vécut à Angers avec sa famille puis au sortir de l'adolescence, il travailla chez un avoué à qui il finit de voler quelques sous. Le service militaire tomba à point pour lui éviter la prison et lui permit de fréquenter des soldats qui avaient fait campagne à l'étranger, notamment au Mexique, et dont les récits lui inspirèrent plus tard certains de ses thèmes fantastiques.
Un peu mythomane sur les bords, il s'inventa des aventures fictives puis après sept ans de service il se rendit à Paris en 1868 où il travailla à l'octroi, d'où son surnom de Douanier, avant de se passionner pour la peinture. D'emblée, il rêva d'égaler les grands peintres académiques mais il n'eut guère le don d'avoir un trait sûr et un pinceau précis pour y parvenir. Si sa peinture fut avant tout naïve, il eut toutefois le rare talent de créer des compositions étonnantes, oniriques et colorées qui déclenchèrent cependant les moqueries du public lorsqu'il les exposa au Salon des Indépendants ou à celui des Refusés.
Néanmoins, Alfred Jarry osa l'encenser pour ensuite le présenter à Apollinaire qui le considéra comme un visionnaire, voire même un révolutionnaire en matière de peinture.
Le Douanier Rousseau resta quand même un personnage énigmatique, une sorte de Tartarin de l'art au parcours assez chaotique qui se retrouva mêlé un jour à une escroquerie au détriment de la Banque de France et alla même jusqu'à arborer de fausses décorations au revers de son veston sans âge. Vivant chichement, il donna des cours de violon, de musique et de peinture et organisa des soirées musicales pour ses voisins et relations.
Moqué, il étonna quand même Picasso et Kandinsky mais rares furent ceux qui virent en lui un maître. Dédaigné des collectionneurs, il décéda en 1910 des suites d'une gangrène à une jambe mais personne ne parvint à savoir s'il fut un rêveur, un génie ignoré comme Van Gogh ou simplement un doux-dingue.
Ce sont une cinquantaine de tableaux que les visiteurs du Grand Palais sont amenés à admirer, dont une douzaine d'extraordinaires jungles qui montrent cependant que le Douanier Rousseau fut terribelemnt inégal durant sa carrière, à croire qu'il fut en quelque sorte un Jekyll et Hyde de la peinture stimulé parfois par des éclairs de génie.
Ce peintre autodidacte eut quand même le mérite de toujours se croire doué en poursuivant son rêve de gloire contre vents et marées. Comme Jules Verne qui ne voyagea jamais, il inventa un monde fantastique à la seule force de son imagination féconde, un univers exotique et profondément poétique qui aurait fait de lui aujourd'hui un merveilleux artiste de la bande dessinée ou du dessin animé. Ses jungles et ses fauves ressortent du domaine de l'enchanteur en étant les fruits des rêves d'un homme mystérieux et si terriblement banal en apparence.
Il n'est pas étonnant d'apprendre que ses contemporains le considérèrent comme un illuminé ou plus sûrement un dérangé et si le Douanier Rousseau se révéla être un mythomane, ce fut vraisemblablement parce qu'il se constitua une carapace pour essayer de se faire une place au soleil après avoir vécu une jeunesse assez triste auprès d'un père qui avait fait faillite. Dénué de force de caractère et influençable dès le départ, il se réfugia dans les rêves tout en menant sa petite existence à la manière d'un marginal qui au contraire de Van Gogh n'eut pas la rage de se sentir incompris. Enfermé dans son propre monde, ce doux rêveur prit simplement le contre-pied de la réalité pour se croire ingénument au-dessus de tout, ce qui finalement le sauva mais ne lui permit pas d'atteindre la gloire à laquelle il aspirait. Celle-ci fut donc posthume mais o combien éclatante.